Affichage des articles dont le libellé est Interviews. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Interviews. Afficher tous les articles

Une créatrice atypique

C'est bientôt Noël et vous n'avez toujours pas d'idées de cadeaux originales ? 

Et si, au lieu de vous précipiter sur Amazon ou toute autre grande enseigne (au risque même que quelqu'un offre la même chose que vous), vous vous tourniez du côté des petits artisans qui n'ont pas forcément pignon sur rue mais qui allient talent, originalité et qualité ? 

Justement, je voudrais vous présenter une créatrice lyonnaise « ultra stylée », voire carrément atypique, avec qui je me suis longuement entretenue pour produire cette vidéo qui j'espère vous donnera envie d'aller faire un tour sur ses comptes TikTok et Instagram où elle expose et met en vente ses créations. 

Attention, il s'agit de pièces uniques donc si quelque chose vous tape dans l'œil, n'attendez pas trop avant de passer commande. Sinon, elle travaille également sur commission. Et si vous êtes dans le Haut-Jura, du côté de Saint-Claude, vous pourrez même la rencontrer sur les marchés.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Ici et seulement Ici (3)

Les profs fantômes

EYAEL : Les profs ont l'air de fantômes. Un peu comme s'ils faisaient juste partie du décor ou bien qu'ils appartenaient à une autre dimension.

CHRISTELLE DABOS : Ça fait partie des choses qui m'avaient été beaucoup reprochées par des enseignants. Il y a des enseignants qui ont lu le livre et n'ont pas apprécié parce que, justement, ça ne donnait pas une belle image du corps enseignant.

Mais moi, au moment où j'ai écrit le livre — encore une fois, le titre original, c'était les Contes d'Ici et seulement Ici, ce n'était pas une sorte d'état des lieux du système pédagogique actuel.

Je me rappelle que quand j'étais au collège, tout ce qui était le corps professoral, c'était des fantômes. Je n'ai pratiquement aucun souvenir des cours, de ce que j'ai appris. Je me souviens des cours de récréation. Je me souviens de ce qui se passait entre les heures du cours. C'est ce qui m'a personnellement beaucoup marquée. Et je me dis qu'en fait, c'est là que se faisait une grosse partie de l'apprentissage. Ce n'était finalement pas avec le savoir théorique en classe.

Et donc dans cette histoire-là, clairement, ce sont doublement des fantômes. D'abord parce que c'est une volonté de ma part de les mettre vraiment à la marge. Et également parce que, comme c'est écrit du point de vue des jeunes, pour eux aussi, en fait. Les enseignants sont plus présents qu'ils ne le pensent. C'est juste qu'eux aussi ont des angles morts. Ils ne voient que ce qui est leur réalité immédiate. Ils en font en partie quand même.

J'en ai eu plusieurs retours d'enseignants qui m'ont dit, « Oh la la, ça ne fait pas envie. Et ça ne donne pas une belle image de notre métier. » Je me suis quand même sentie mal parce que ce n'était tellement pas mon intention. Je n'avais aucune volonté dénonciatrice, mais pas du tout.

C'est un peu comme dans — excuse-moi le parallèle — Batman. Pour que la figure de Batman émerge, il faut un système policier qui soit au mieux incompétent, au pire corrompu. Si le système faisait correctement son job, la figure de Batman ne pourrait pas émerger. Et c'était un peu le but aussi. Si ça avait été un collège où tout se passait bien, avec une communication et tout, peut-être que ce n'aurait plus du tout été la même histoire. Ce n'est pas ça que j'allais raconter.

En fait, le problème Ici, ce n’est pas tant que ça ne change pas. C’est plutôt que tout recommence. Et j’ai peur.

~ La remplaçante

Je n'ai aucune volonté dénonciatrice, à tout point de vue, parce que c'est plutôt le système qui se met en place. Cette mécanique qui se reproduit de cour de récréation en cour de récréation ; de génération en génération. Et c'est comme un cycle sans fin. Les gens se voient vite coller cette étiquette. Il y a évidemment les victimes, les bourreaux et les personnes qui ne rentrent ni dans cette catégorie ni dans l'autre mais qui sont prises entre deux feux.

Intemporalité sans internet

EYAEL : Cette histoire pourrait se transposer n'importe où n'importe quand sauf que les technologies actuelles ne semblent pas en faire partie. Et avec cette dimension d'Internet, penses-tu que l'histoire aurait pu se terminer de la même manière ?

CHRISTELLE DABOS : Alors, effectivement, j'avais vraiment envie de donner une dimension la plus intemporelle possible. D'ailleurs, à la base, le titre originel n'était pas Ici et seulement Ici mais les Contes d'Ici et seulement Ici.

Et en fait, j'ai quand même fait mention de certaines choses pouvant  laisser entendre qu'ils ont peut-être des téléphones. Mais c'est très discret. Par exemple, je dis à un moment donné, qu'il y a un trafic de vidéos dans la classe. Ils s'échangent des vidéos mais je ne dis pas quoi. Il y en a un qui a une console de jeu. On va dire que ce sont de petits indicateurs que l'on n'est pas au début du XXe siècle.

Mais clairement, pour moi, ce n'était pas ce que j'avais envie d'explorer. Il faudrait presque faire un roman dédié pour parler de cyber-harcèlement. Je me suis dit, « non, je ne vais pas rentrer dans cette dimension-là. Je vais juste rester sur le terrain de Ici ». Surtout que le but, c'était vraiment parler du lieu. Je me suis dit, « là, avec Internet, on risque de sortir un petit peu de ça ». Mais effectivement, ça pourrait être intéressant d'explorer une histoire, partir sur le même postulat mais cette fois-ci, en y allant à fond avec Internet.

C'est tellement difficile pour moi déjà d'imaginer ce qu'ils peuvent vivre avec cette dimension d'internet très présente par rapport au collège. Donc je ne sais pas honnêtement.

EYAEL : Cela ne risque-t-il pas d'être un obstacle à l'identification des jeunes de maintenant ?

CHRISTELLE DABOS : Je sais que moi, quand j'étais une collégienne, je n'avais aucun problème à m’immerger dans des romans qui parlaient d'univers de collège mais au XIXe siècle.

Je me souviens, par exemple, du Petit Chose d'Alfonse Daudet où ça commence vraiment dans une sorte de pensionnat où au début, le Petit Chose est un pion. Bon, clairement, c'était très loin d'atteindre ce que moi je vous pouvais connaître mais les thématiques étaient là. C'était le bouc émissaire. Et pour moi, l'identification, elle était totale.

Ou Poil de carotte (de Jules Renard). Poil de carotte, je l'ai adoré. Je l'ai lu au collège justement. Je l'ai lu et relu. C'est extrêmement dur.

Le harcèlement scolaire

EYAEL : Le harcèlement scolaire est un sujet tabou dont on parle beaucoup en ce moment mais, en réalité, rien n'est vraiment fait. Du coup, ton livre tombe un peu à pic.

CHRISTELLE DABOS : En fait, avec cette thématique du collège, de ce qui se passe entre ses murs dont notamment le harcèlement mais pas que — c'est là que je me rends compte (en fait peut-être moins aujourd'hui) qu'il y quand même une sorte de tabou parce que c'est quelque chose que je n'ai abordé avec personne pendant très longtemps. Avec toutes les personnes, les amis que je me suis fait par la suite, on n'aborde pas ces sujets-là.

Et du coup, lorsque le livre est sorti et que j'ai eu des foules de témoignages de personnes qui m'ont dit, « voilà pour quelle raison ce livre m'a secoué », je trouve que c'est presque inquiétant. En fait, je me rends compte que neuf personnes sur dix ont très mal vécu leurs années-collège. Proportionnellement, ça fait peur.

Et là, je me suis dit, « tiens, mais moi, j'ai l'impression d'être toute seule ». Quand j'étais au collège, je me sentais très isolée. J'avais l'impression que ça se passait bien pour tout le monde sauf pour moi. Et là je réalise que c'était souffrance pour beaucoup de personnes.

De mon ressenti, c'est une sorte de micro-société où on va retrouver tout ce qui se passe à un plus grande échelle par la suite. L'école primaire ne prépare pas du tout à ça. On passe d'un côté très entouré, très enveloppé, très encadré et puis tout à coup, il y a de nouveaux codes mais ils ne sont pas dits. Ils sont extrêmement tacites. Et quand on n'a pas le mode d'emploi, ce n'est pas évident.

Moi, j'ai eu la chance de ne pas connaître les réseaux sociaux quand j'étais au collège. Vraiment, je me dis, « oh la la, aujourd'hui au collège, vivre avec tout ça ». C'est du harcèlement ce truc-là. Ça veut dire qu'avant, quand on quittait le lieu, on le quittait. L'idée d'y retourner n'était pas agréable mais une fois qu'on l'avait quitté … Alors que là, avec les réseaux sociaux, ça poursuit jusque chez soi. Il n'y a plus de coupure, en fait. Ça peut continuer. C'est là, je me dis, ça devient assez terrifiant.

EYAEL : Mais est-ce que les personnes qui ont été victimes de harcèlement scolaire ont vraiment envie de se replonger là-dedans ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, même toute la question qui s'est posée pour ce roman,
c'était justement « qui est le public cible finalement ? » On s'est posé la question et on se la pose toujours.

En fait, pour la Passe-Miroir, en fin de compte, c'était beaucoup des parents — beaucoup des mamans qui avaient lu le livre, qui voulaient juste voir si c'était adapté pour leurs enfants et qui finalement sont devenues mes premières lectrices. Et après, elles ont transmis le livre à leurs enfants. Mais lorsque les mamans lisent Ici et seulement Ici, elle se disent « Je n'ai pas envie que mon enfant lise ça. Ça me fait peur ».

Ça fait peur soit parce qu'ils s'apprêtent à rentrer au collège, soit parce qu'ils sont en plein dedans et elles ont peur de faire peur à leur enfant. Donc Gallimard avait estimé qu'à priori ça s'adressait plutôt à des personnes qui étaient en train de sortir du collège ou qui en étaient vraiment sorties. Finalement, le public cible n'était pas le collégien mais plutôt des personnes déjà à l'étape d'après.

Il y a des gens qui portent ça très longtemps en eux. À mon niveau à moi qui n'est pas forcément extrême, je me rends compte que j'ai traîné le collège à l'intérieur de moi pendant presque toute ma vie. Et en fait, pour pouvoir en sortir, il a fallu que j'écrive ce livre. Je me suis dit, « tiens ça y est, maintenant je peux dire que je suis sortie du collège ».

EYAEL : Je ne sais pas si te souviens de "College Boy", ce fameux clip d'Indochine au début des années 2000, qui montrait un collégien harcelé par ses camarades et qui finit littéralement crucifié avant d'être fusillé. Ça avait fait un scandale et ça avait été carrément censuré en France.

CHRISTELLE DABOS : Toi, tu parlais du clip d'Indochine. Moi, je pense à des dramas japonais, coréens sur lesquels je suis tombée. Il y en a beaucoup qui abordent cette thématique de façon très frontale, je trouve. Eux, ils vont ! Vraiment, ils montrent des scènes — la façon dont ça se met en place. Donc très vite, quelqu'un peut se retrouver mis en marge d'une classe. Et toutes les violences d'abord psychologiques voire physiques qui peuvent s'ensuivre. Parfois ça va très, très loin. Et il y en a beaucoup. Pour moi, ça a été même étonnant. Ce n'est pas si souvent que je vois une mise en scène ainsi, que c'est traité, montré. Effectivement, c'est très dur mais ça correspond à quelque chose — à une réalité.

C'est ce qu'on disait tout à l'heure. Au final, c'est un microcosme qui est le reflet de quelque chose qui se passe à une plus large échelle. Ça commence à se mettre en place à ce moment-là.

Nouveau livre à venir

EYAEL : Est-ce que tu as d'autres projets d'écriture en cours ?

CHRISTELLE DABOS : Ce que je peux au moins dire car ça, à priori, je pense que c'est sûr, c'est qu'il y a un roman qui va sortir chez Gallimard Jeunesse en novembre.

C'est le fameux roman dont je parlais au tout début, que j'avais commencé juste après la Passe-Miroir et qui a été interrompu momentanément par l'écriture de Ici et seulement Ici.  Du coup, il fait assez trait d'union entre les deux.

Après, en termes d'univers, au sens strict, c'est de la fantasy puisque ce n'est pas notre monde et ce n'est pas exactement notre humanité. Ça y ressemble beaucoup mais c'est un peu comme pour la Passe-Miroir. Ça ressemble beaucoup mais ce n'est pas.

Sauf que cette fois-ci, je me suis beaucoup inspirée des années 80 en terme d'ambiance générale. C'est mon enfance hein! J'ai dit « je veux des baladeurs, je veux des rollers, je veux des minitels… » En termes de coloration, j'avais un peu envie de cette texture-là des années 80. Mais voilà, au sens strict, c'est de la fantasy et Gallimard Jeunesse, je pense, va davantage spécifier en parlant plutôt de dystopie.

Comme ça s'est écrit juste après la Passe-Miroir et avant Ici et seulement Ici, ça devrait se sentir même si je l'ai repris après avoir fini Ici et seulement Ici. Je pense qu'on va sentir effectivement qu'il y a un côté Passe-Miroir et un côté Ici et seulement Ici et qu'en même temps, ça ne ressemble à aucun des deux.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Ici et seulement Ici (2)

Le pourcentage de vécu

EYAEL : Dans ce livre, on sent vraiment  que tu vas chercher très loin dans l'émotionnel et qu'il y a forcément une grande part de vécu là-dedans. Quel pourcentage d'après toi ?

CHRISTELLE DABOS : Les chiffres, c'est pas du tout mon truc donc je ne vais pas me hasarder vers un pourcentage. Mais je pense qu'il n'y a pas une seule page du livre qui ne contienne pas une allusion  à quelque chose que j'ai soit vécu directement ou dont j'ai été témoin et qui m'a marquée. Après, c'est très transformé parce que tout ne m'est pas arrivé textuellement et parce qu'il y a quand même une dimension magique dans ce texte. J'ai puisé joyeusement dans ce vécu-là.

C'est vrai qu'il n'y a pas très longtemps, j'ai l'occasion de lire un extrait du livre alors que je ne l'avais pas relu depuis et je suis dit, « oh, c'est moi qui ai écrit ça ? Ah oui, c'est vrai. C'est chaud quand même ! » En fait, avec le recul, c'est vrai que c'est quand même assez fort de café. Au moment de l'écriture, ce n'était pas vécu du tout pareil. Et c'est là que j'ai remarqué un décalage extrême entre ce que moi j'ai ressenti à l'écriture et la façon dont ça a pu être vécu du côté de la lecture.

Je sais que dans la toute première version, quand j'avais voulu écrire une histoire sur le collège avant la Passe-Miroir, j'avais clairement un parti pris. Je pense que j'avais de la rancœur. Un mélange de rancœur et de culpabilité. Et j'avais envie de régler des comptes, ce qui est une très mauvaise raison. Et heureusement, ça ne s'est pas fait. De toute manière, très vite, ça sonnait faux à l'intérieur et très vite, je me suis arrêtée.

Alors que là vraiment, lorsque ce livre m'est venu, je n'avais pas envie du tout de régler mes comptes mais plutôt de voir les choses de leur point de vue. Je me dis que peut-être ce n'était pas si facile non plus, que c'est une sorte de jungle finalement, et que c'est un mécanisme de défense comme un autre.

Alors après, je n'irai pas jusqu'à cautionner tout. Mais comprendre un autre point de vue que le sien, je pense que c'est ça qui m'a le plus libérée. C'était de sortir de moi,
de ma petite histoire personnelle, me désengager de ça. Me dire, « OK, je vais revenir dans l'arène mais avec d'autres points de vue qui n'étaient pas forcément les miens et tous les personnages ne me correspondent pas. »

Les personnages n'ont rien à voir avec moi mais ça me permet tout d'un coup de voir les choses différemment. C'est un autre angle de vue et on peut comprendre. Ce qui ne veut pas dire cautionner. Il n'y a pas de jugement. Disons que ce n'est pas autobiographique qu'au sens strict. Sinon j'aurais fait un récit de vie et personnellement, j'aurais trouvé ça beaucoup moins intéressant.

Mais le but, c'était effectivement de sortir du prisme étroit de ce que moi, j'avais vécu, la façon dont j'avais perçu et de me demander, « tiens, ces personnes que j'ai côtoyées, comment de leur côté, c'était perçu ? Comment ça a été vécu ? » Et pour moi, l'incarner du point de vue de l'écriture, ça a été passionnant. Je me suis dit, « tiens, là vraiment, je sors complètement de ma petite histoire personnelle et ça devient plus vaste que moi toute seule ».

Ça veut pas dire forcément que je vais taper juste mais j'essaye. J'essaye de voir des choses sous un autre angle que le mien au sens strict.

Influences

EYAEL : Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec Ça de Stephen King. Même si les univers sont différents, les thématiques sont les mêmes à savoir les adultes qui ferment les yeux et manquent totalement de présence ; les cycles qui se répètent ; les disparitions ; et même quelque chose de similaire aux fameuses « chiottes de l'enfer ».

CHRISTELLE DABOS : Alors, je dois faire une confession, je n'ai lu, je crois, aucun roman de Stephen King. Je pense que le seul que j'ai lu, c'est son essai sur l'écriture.
En fait, je connais très très mal son univers. Mais c'est troublant. Vraiment troublant.

EYAEL : Ça m'a aussi fait pensé à Haraki Murakami, un auteur japonais que m'a fait découvrir un ami — parce qu'on est en plein réalisme et pourtant on glisse sans s'en rendre compte vers une dimension un peu surnaturelle sans pour autant être dans un roman fantastique à proprement parler. La frontière entre les deux est vraiment ultra floue.

CHRISTELLE DABOS : Pour la dimension surnaturelle, je m'en suis pas rendu compte sur le moment. Ce n'est qu'après coup quand on m'a posé la question. On m'a dit, « Mais en fait, c'est quoi le genre du livre ? » Donc avant même que ça sorte en librairie, avec Gallimard Jeunesse, on s'est beaucoup interrogés. Et en fait, c'est vrai, c'est quoi ?

Et en réfléchissant, j'ai pensé au réalisme magique qui est un courant littéraire sud-américain. Et en fait, lorsque j'étais étudiante, j'ai fait quelques années d'études d'espagnol et j'ai lu des romans issus de ce courant littéraire. Je pense à notamment Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Je pense qu'on peut y inclure la Maison aux esprits d'Isabel Allende. Et il y a un roman que j'ai adoré qui s'appelle Maison de campagne de José Donoso qui a cette atmosphère … exactement ce genre de lieu clôt où il y a une sorte de cohabitation entre une réalité très dure, très crue, et une dimension, un petit pas de côté qui fait qu'on se pose la question de l'interprétation — de se dire, « Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est vraiment cette dimension surnaturelle ? Ou est-ce que ce sont les personnages qui partent dans un délire ? » C'est très difficile de trancher. Et moi j'adore ça. Cette incertitude.

Mais l'incertitude n'est pas toujours bien vécue. Je pense qu'il y a des lecteurs qui préféreraient que ce soit plutôt tranché et que ce soit dit. Le fait, qu'en quelque sorte, ce soit à eux de décider, il y en a certains qui aiment et d'autres qui n'aiment pas du tout. Je pense que je ne ferai pas toujours systématiquement les mêmes fins mais là, en l'occurrence, pour moi, ça avait du sens. Après, c'est comme une sorte de balance et que je la fait quand même pencher plus d'un côté que de l'autre. Mais voilà, les fins complètement fermées ou qui apportent des réponses très binaires, ce n'est pas là où je me sens le mieux. J'ai envie de proposer autre chose.

Les personnages

EYAEL : Vincent et Sofie sont, pour moi, les deux personnages les plus importants dans cette histoire dans le sens où ils font vraiment évoluer les autres ainsi le récit lui-même. Pourtant, il ne font pas partie des narrateurs de ce roman choral. Était-ce intentionnel ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, avec le recul mais pas au moment de l'écriture, je me rends compte qu'en fait, je ne parle pratiquement que de binômes.

Parce que pour le personnage d'Iris, toute son histoire est par rapport à sa sœur — sa frangine ; pour Madeleine, c'est par rapport à Louise ; pour Guy, c'est par rapport à Sofie ; et pour Pierre, c'est en fonction de Vincent. Et là je me suis dis, « tiens, mais tous les personnages, en fait, se construisent aussi par rapport à un autre personnage ».

Et comme tu dis, les personnages de Vincent et de Sofie sont hyper intéressants. Ils proposent autre chose. Quelque chose qui sort complètement des codes du collège. Et quelque part, ils sont dans une zone un peu dangereuse. En l'occurrence, Vincent met en danger Pierre. C'est à la fois fascinant et dangereux.

Et Sofie, c'est la voie du milieu. C'est un de mes personnages préférés. Je pense que j'aurais adoré avoir une Sofie dans ma classe au collège. Elle voit clair. Elle voit que c'est une sorte de grande illusion finalement, que tout ça est un jeu — une sorte de pièce à théâtre où chacun a un rôle. Elle dit, « OK, non, c'est un jeu. C'est juste que moi, je ne rentre pas dedans. »

EYAEL : Les personnages ont tous des prénoms très évocateurs par rapport à ce qu'ils sont.

CHRISTELLE DABOS : Pour la Passe-Miroir, j'avais choisi tous les noms des personnages à l'oreille parce que ça sonnait bien. Et après, on s'est rendu compte que ça avait énormément de sens du point de vue étymologique et ce n'était pas voulu du tout. Ou alors, effectivement, c'est mon inconscient qui était sur le coup.

Là, je me suis dit, « non, je veux vraiment choisir les prénoms de façon extrêmement consciente et assumée ». Et je sais pourquoi je leur donne à chacun ce prénom-là.

EYAEL : Donc pour Iris, c'est celle qui voit tout…

CHRISTELLE DABOS : C'est exact !

Sofie m’a écouté avec… comment on dit déjà ? intensité. On dirait qu’elle touche mes mots de toute sa peau et qu’elle capte quelque chose par-dessous, un genre de sens caché qui moi m’échappe complet. J’écoute vraiment pas comme elle.

~ Guy

EYAEL : Sofie, la voix de la sagesse… Mais pourquoi avec un "F" ?

CHRISTELLE DABOS : Pour Sofie, j'avais fait une recherche. Je voulais juste connaître le nom le plus donné au monde pour les filles. Et il y avait Sofie, Sofia mais avec un F du coup, le PH étant extrêmement français. Je voulais que ce prénom soit le plus universel possible.

Je suis l’impair, le valet de pique, le pouilleux et personne peut me reprendre ça.

~ Pierre

EYAEL : Pierre, la dureté ?

CHRISTELLE DABOS : Alors, pour le personnage de Pierre, c'est le nom du valet de pique dans le jeu de cartes. En fait, je savais que les figures des jeux de cartes avaient des noms. Je connaissais ceux des rois et des reines mais pas des valets. Et quand j'ai vu que Pierre était celui du valet de pique1, je me suis dit, « alors là c'est parfait ! »

Par contre, c'est côté français. Je pense que ce n'est pas le même nom pour l'international2. Donc, ça, je crois que malheureusement, quand ça a été traduit, ils ont conservé les prénoms français. Ça aurait pu avoir du sens d'adapter les traductions en fonction des pays. Après, ce n'est pas très grave.

Pour Pierre, du coup, effectivement, ça tombe plutôt bien, parce que comme il est tout le temps voûté, il a ce côté un peu roc qui se pose là.

Et les coups, j’aime déjà pas particulièrement les donner, alors les recevoir…

~ Guy

EYAEL : Guy, le parasite ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, pour la classe de Guy, je me suis énormément inspirée
de Robin des Bois. C'est vraiment une classe où il y a ces deux clans — ceux d'en haut et ceux d'en bas — avec cette collecte, ces impôts très lourds. Sauf que c'est une classe de Robin des Bois mais sans Robin des Bois.

Par contre, dans la légende de Robin des Bois, il y a un personnage un petit peu difficile à caser qui s'appelle Guy de Gisbourne et qui, en fonction des versions, est soit un mercenaire ou un cousin du shérif. Mais il est un petit peu ambivalent. On ne sait pas trop parfois dans quel camp il se positionne. Et pour ce personnage-là, je me suis dit, « tiens, lui, clairement, c'est pas un Robin des Bois ».

C'est pour ça que, d'ailleurs, il y a la figure du Prince. C'est vraiment le prince Jean.

C’est soit elle, soit moi ; il ne peut pas y avoir deux Choisies Ici.

~ Madeleine

EYAEL : Madeleine, comme Marie-Madeleine, la martyre ?

CHRISTELLE DABOS : Alors pour Madeleine, je me suis vraiment inspirée de Sainte Marie-Madeleine que dans ma tête, j'ai mixée — mais ce n'est pas dans le prénom — avec Jeanne d'Arc. Ce sont vraiment deux figures de saintes qu'on peut fusionner en une.

Vincent fredonne pendant toute la trigo. La haine qui embourbe la classe n’a aucune prise sur lui. C’est une île, Vincent, ça l’a toujours été ; du pacifisme en chair et en os, mais surtout en chair. Séparément, on est des impairs. Ensemble, on est rien.

~ Pierre

EYAEL : Vincent me fait penser à Saint Vincent, mort en riant et en chantant des supplices qu'on lui a infligé.

CHRISTELLE DABOS : Ah, non, je ne savais pas. Alors, pour Vincent… je ne sais plus pour la classe de Pierre. C'est un nombre forcément impair, je crois qu'il y est dans une classe de 25. Et en fait, Vincent, c'est tout bête : c'est 20-100. C'est un nom-chiffre. Il y a des noms, comme ça. C'était vraiment une question de chiffre aussi pour que dans cette classe-là, Pierre se retrouve impair.

Notre preuve de la distorsion du champ de réalité intra-muros est une substance non identifiée que nous avons appelée « le schmoïlle ». Le schmoïlle est à l’origine même de la fondation du Club Ultra-Secret, lorsque Numéro Un a découvert son existence forti… fortuitement dans un caniveau du collège qui évacue les eaux usagées. Le schmoïlle a ceci de sépi… spéfi… spécifique qu’il ne s’écoule dans le caniveau qu’une seule et unique fois par semaine, toujours un jeudi et toujours à 14 h 28 très exactement, mais jamais pendant les vacances scolaires.

~ Le Club Ultra-Secret

EYAEL : Et le Club Ultra-Secret sont un peu « complotistes », non ? En ce sens où qu'ils se posent plein de questions, investiguent et remarquent toutes les choses bizarres que les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir. Cette histoire avec le « schmoïlle », notamment, ne pourrait-elle pas faire penser à la pollution des nappes phréatiques ?

CHRISTELLE DABOS :  En fait, moi-même quand j'étais enfant — c'était juste avant d'entrer au collège, avec mon petit frère et mes voisins, on explorait un peu notre quartier et on est tombés sur une substance hyper bizarre dans un ruisseau. Et pour nous, ça ne faisait pas un pli : c'était soit des extraterrestres, soit une substance fantomatique. Et comme on venait de voir SOS Fantômes au cinéma…

Le truc, c'est qu'on ne se rappelait pas du terme. Le véritable terme, c'était « slime ». Mais nous, on l'avait oublié. Et du coup, c'était devenu « schmoïlle ». On l'a complètement déformé. On a pris des échantillons dans des tubes. Mon voisin avait la boite du Petit Chimiste et il a procédé à des expériences pour voir « tiens, si je mélange avec ça… »

Bon, ça rien donné, hein ! Mais s'il vous plaît, ne faites pas ça chez vous. Si vous trouvez une substance bizarre dans un ruisseau, ne touchez pas à ça !

On ne se rendait pas compte.

Je dois avouer que c'était vraiment un souvenir d'enfance que j'ai ré-injeté. Honnêtement, pour qu'on tombe sur cette substance bizarre, mes voisins, mon frère et moi, quand même, c'est qu'il y a un problème. Des enfants ne devraient pas tomber sur des substances ainsi hautement suspectes.

J'avoue que j'ai beaucoup rigolé avec le Club Ultra-Secret. Ils m'ont bien fait rire.

D'ailleurs, entre parenthèses, on ne connaît jamais leurs noms. C'est vraiment Numéro Un, Numéro Deux, Numéro Trois, Numéro Quatre… Et du coup, par conséquent, je ne voulais pas non plus qu'on connaisse forcément leur genre. Je ne précise jamais, à part pour le Numéro Trois. Et à cette exception près, pour les autres, on ne sait pas si ce sont des garçons ou des filles. Je ne le précise pas et ce n'est pas important.

Ceci dit, la question, c'était posée pour le livre audio parce que comme ils avaient engagé des comédiens — il me semble qu'il y avait une voix de fille. Mais voilà, moi à la base, comme c'était écrit, je me disais comme ça, on ne connaît pas du tout leur identité et ce n'est pas important.

Mais par contre, ils vont vraiment très, très loin dans leur réflexion. Et parce que là aussi, il y a cette dimension autobiographique. Moi, quand j'avais 13 ans — c'est l'année où je suis tombée sur des livres dans la bibliothèque de ma grand-mère où je me suis dit, « oh la la ! » Pour moi, si quelque chose était écrit dans un livre, c'était forcément vrai. Il y avait absolument zéro esprit critique de ma part. Si c'était écrit, si c'était imprimé, c'était forcément une vérité.

Je suis tombée sur des livres qui parlaient de toutes sortes de sujets ésotériques. Il y avait vraiment de tout. Et du coup, j'ai eu une phase adolescente où je voyais vraiment des signes partout. Pour moi, c'était le petit mix entre Madeleine et le Club Ultra-Secret. J'étais vraiment dans ces trucs-là.

Et là où je suis amusée avec eux, c'est que quelque part, ils n'arrêtent pas de prédire une apocalypse mais ils y participent. Ils restent dans les coulisses mais quelque part, ils ne sont pas si observateurs neutres que ça.

C'est vrai que l'humour va être très important. Ce n'est pas ce que j'ai écrit de plus léger, je dois dire, mais l'humour… Indépendamment d'eux, pour moi, il y avait des choses que j'ai écrites dans certains textes qui m'ont beaucoup fait marrer. Mais entre moi qui me tape sur les cuisses et le lecteur qui, peut être, se fend vaguement d'un petit sourire, il y a sans doute un petit décalage. Mais, bon clairement, avec le Club Ultra-Secret, je suis partie loin. Et j'ai beaucoup ri.

Et à ce niveau-là, j'ai beaucoup aimé ce qui a été fait avec le livre audio. D'ailleurs, toutes les personnes qui ont découvert Ici et seulement Ici en version audio ont toutes en commun qu'elles ont adoré l'histoire (ce qui est effectivement mon cas — Ed.) Effectivement, j'avais écouté les enregistrements et je trouvais que ça restituait vraiment bien l'esprit. Moi, c'est comme ça que je les entendais parler dans ma tête.

À suivre : troisième et dernière partie à paraître prochainement.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Ici et seulement Ici (1)

J'ai découvert la plume magique de Christelle Dabos en 2013 (cette même année où j'ai créé la Pensine) à l'occasion de la parution des Fiancés de l'hiver, grand gagnant de la première édition du concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard Jeunesse, RTL et Télérama au printemps 2012 et qui s'inscrira, par la suite, dans la quadrilogie de la Passe-Miroir, gros succès international désormais traduit en une vingtaine de langues. Christelle, pour moi, c'est un peu la J.K. Rowling française mais en mieux — sans vouloir aucunement dénigrer les écrits de cette dernière dont je me délecte toujours autant. D'ailleurs, c'est indirectement un peu grâce à Harry Potter si elle s'est lancée dans l'écriture puisqu'à l'origine, elle se plaisait à mettre en scène le Professeur Rogue dans des fanfictions de son propre cru.

J'ai d'abord fait la connaissance de Christelle en 2020, sur un salon littéraire virtuel en ligne durant le confinement. Depuis, nous nous sommes rencontrées en chair et en os, en juin 2023, avant une séance de dédicaces à la librairie indépendante Ici Grands-Boulevards de Paris. Et finalement, ce 29 février dernier, j'ai eu le grand honneur et le grand privilège de pouvoir m'entretenir avec elle, par visioconférence, de son dernier livre, Ici et seulement Ici (dont le titre s'inspire directement de la fameuse librairie parisienne sus-mentionnée), un roman choral inclassable qui emprunte au réalisme magique sud-américain en le transposant à l'univers impitoyable du collège.

Je vous invite donc à visionner ce petit docu-interview vidéo sur lequel j'ai passé tant de jours et de nuits, beaucoup de galères informatiques étant venues plomber mon travail de montage. J'espère de tout cœur qu'il vous donnera envie de lire le livre ou d'écouter sa version audio. Je vous retranscris également ci-dessous (en trois parties au vu de sa longueur) l'intégralité de cet entretien que j'ai quelque peu remis en forme par rapport à la version orale pour un meilleur confort de lecture. Vous y trouverez même un passage bonus (Réactions des uns et des autres) que j'ai dû couper au montage afin de rester dans un format d'une trentaine de minutes.

Par-dessous la peinture, le plâtre et le ciment, à l'intérieur des murs, au fond de l'invisible, je perçois quelque chose que j'arrive pas encore à nommer, quelque chose de foutrement féroce qui habite le collège tout entier et qui me rentre dans les os. Qui fera bientôt partie de moi.

Iris

Virage à 180 degrés

EYAEL : Ici et seulement Ici est radicalement différent de la Passe-Miroir. Tant au niveau de l'univers, des personnages mais aussi de la narration, du langage. Était-ce par volonté délibérée ou un simple caprice de muse ?

CHRISTELLE DABOS : Ça, c'est vraiment imposé de soi.

En fait, je n'ai pas écrit Ici et seulement Ici directement dans la foulée après la Passe-Miroir. Ce qui s'est passé, c'est qu'après avoir terminé le quatrième tome dont l'écriture avait été très intensive, je m'étais promis de prendre une année sans parce que là, j'étais vraiment au bout du rouleau. Et je n'ai pas tenu 24 heures !

Le lendemain de la sortie en librairie du dernier tome de la Passe-Miroir, j'écrivais déjà. Sauf que ce que j'écrivais, ce n'était pas Ici et seulement Ici. C'était un autre roman. Et déjà, dans ce roman, je faisais déjà des expériences de laboratoire. Je me suis dit, « allez, maintenant, j'ai vraiment envie de tester d'autres choses ». Donc écrire à la première personne, au présent, avec un langage plus oralisé, différents narrateurs… Rien qu'au niveau formel, je me suis dit, « allez, on va vraiment casser le moule de la Passe-Miroir ». Pouf ! On casse et voilà, on fait des expériences.

Et ce roman-là, en fait, je l'ai mis sur pause un moment parce que j'étais en plein déménagement durant la période du confinement. Et c'est ce déménagement qui a fait éclore Ici et seulement Ici. Il n'était pas du tout prévu au programme. Vraiment pas !

En fait, c'est tout bête : j'ai déménagé devant une école. Au début, ça a fait remonter des souvenirs. D'abord des souvenirs d'école primaire qui chez moi étaient plutôt joyeux, lumineux, très légers. Et puis, comme la mémoire a son chemin linéaire, j'ai glissé, tout d'un coup, vers mes années-collège et je me suis dit, « ah ouais, là, il y a quelque chose ».

Et durant cette période de déménagement, je me souviens j'étais dans les cartons, je n'arrivais plus du tout à écrire de façon très structurée. Donc je me suis dit, « c'est pas grave, j'ai quelque chose qui a  très envie de se raconter et ça va sortir comme ça sort ».

Et je pensais pas du tout à l'édition. Je n'y pensais pas du tout. Je n'avais pas de public cible. Je ne suis pas dit, « voilà, c'est un nouveau projet que je vais soumettre ». Je ne suis pas du tout posé la question, c'est arrivé comme ça.

Et je me suis dit, « c'est pas grave, je vais écrire une petite nouvelle sur un personnage ». Puis un deuxième personnage est apparu ; puis un troisième ; puis un quatrième… Et ça a fait une sorte d'alternance. je n'ai fait aucun plan. Je n'ai pris aucune note et ça s'est écrit d'un bout à l'autre.

Honnêtement, c'est la première fois que ça m'arrive sur un projet littéraire.

Publier ou ne pas publier ?

EYAEL : Et donc à aucun moment, tu ne comptais le publier ?

CHRISTELLE DABOS : Ah ça, j'y ai pensé mais une fois que je l'ai eu terminé.

Et en fait, même une fois que je l'ai eu terminé, je me suis dit, « bon, il y a ce truc qui m'est sorti du corps. Qu'est-ce que je vais en faire ? »

Je ne me suis même pas précipitée tout de suite. J'ai laissé le texte reposer un petit peu. Et en fait, à ce moment-là, je venais tout récemment de prendre une agence littéraire. Et j'ai dit, « tiens, on peut démarrer avec elle sur ce projet-là ». Je lui ai soumis et c'est comme ça que c'est rentré dans les mécanismes éditoriaux.

Mais je dois tout à fait être honnête, en réalité, je pense que je n'étais pas pressée de me remettre là-dedans. Parce que bon, l'air de rien, avec la Passe-Miroir — il y a eu énormément de bons côtés, et ça vraiment, je ne peux pas le nier. Mais il y a eu aussi une pression psychologique très forte, très intense.

Et lorsque ce confinement est arrivé, moi, j'étais dans une petite parenthèse dorée. Je me suis dit, « bon, de toute manière, comme tout est en pause, il n'y a pas d'autre choix que de se poser là ». Pour moi, ça a été l'écriture.

Et en fait, j'étais très bien dans ma petite parenthèse. Je savais que ça ne pouvait pas durer éternellement mais ça a été un moment d'apesanteur. Je savais qu'en remettant un livre dans les rouages éditoriaux, que j'allais à nouveau rentrer dans cette … pas forcément la mécanique éditoriale en elle-même mais tout simplement le fait que voilà, il y a des lecteurs et des attentes. Surtout pour l'après Passe-Miroir.

Déjà pour la Passe-Miroir, je n'arrivais à écrire que si je faisais abstraction. Donc, il fallait que j'arrive à me mettre dans une bulle pour écrire sinon ça ne fonctionnait pas. Et ça, c'était très difficile à atteindre. Il y a des moments où je n'y arrivais pas parce que il y avait trop de choses.

Donc là, je n'ai pas du tout eu à me forcer. J'étais déjà dans cette bulle-là. Et en plus, ce texte m'est arrivé comme une sorte de d'évidence, de pulsion libératrice
qui disait, « bon, il y a un truc là ».

Réactions des uns et des autres

EYAEL : Comment le livre a-t-il été accueilli par les lecteurs de la Passe-Miroir mais aussi par Gallimard Jeunesse quand tu leur a soumis le projet ? Tu n'avais pas un peu peur de leur réaction ?

CHRISTELLE DABOS : D'abord, la réception par l'éditeur où effectivement, je me suis posé la question. Je me suis dis, « je prends un sacré virage par rapport à la Passe-Miroir, est-ce qu'ils vont me suivre ? »

Eh bien oui. Vraiment, les yeux fermés. Ça n'a même pas fait l'objet d'une discussion où on m'aurait dit « oui, bon, effectivement… » Il n'y a rien eu à négocier par rapport au texte. Dès qu'il a été lu, il a tout de suite été accepté et adopté tel quel par Gallimard Jeunesse.

Et le responsable éditorial m'a téléphoné, il m'a dit, « Christelle, honnêtement, je n'aurais pas su que c'était toi, je ne l'aurais jamais deviné. ». Il a dit « je suis stupéfait. »

Donc surprise plutôt dans le bon sens. Du coup, ils avaient très envie de se lancer. On a vraiment une bonne entente littéraire avec Gallimard Jeunesse. On est assez raccord et donc au niveau éditorial, il n'y a eu aucun accroc.

La grande question, c'était maintenant la réception du public. Comment cela allait-il être reçu de ce côté-là ?

Alors c'est particulier parce que je pense que le qualificatif qui a été employé à l'unanimité, c'est OVNI.

Je pense que les gens ont eu beaucoup de mal à le classer. Pour certains, c'était dans le bon sens et pour d'autres, c'était trop déconcertant. C'est très difficile à évaluer ainsi mais déjà, je m'étais demandé combien de personnes qui avaient lu la Passe-Miroir allaient me suivre dans ce nouveau projet.

En fait, c'est juste une fraction. Ceux qui me connaissaient à travers la Passe-Miroir ne se sont pas forcément précipités en se disant « tiens, c'est le nouveau roman de Christelle Dabos ». Je pense qu'ils voyaient bien que ce n'était pas la Passe-Miroir. Finalement, c'est déjà une fraction assez minime de l'ensemble de mon lectorat qui est allée pousser la porte de ce Ici. Et parmi ceux-là, ça a été assez divisé.

Il y a ceux qui se sont dit « oh la la, on est très perplexes, on ne sait pas ce qu'on a lu, c'est très déconcertant et du coup, on ne sait pas si on a aimé ou pas » et pour qui, de fait, ça a posé quelques problèmes. Sans compter que ça pouvait aussi faire remonter des souvenirs.

Il y en a certains pour qui l'école n'était pas confortable. Ce que je peux parfaitement entendre. Et ceux pour qui c'étaient en fait les mêmes choses : « Oui, on peut pas le classer. Oui, on est déconcertés mais on aime ça. On aime avoir été surpris ». C'est plutôt dans ce sens-là.

À ce niveau-là, je trouvais ça assez normal. Là où j'ai été étonnée et où je ne m'étais peut-être pas préparée, c'est que j'étais un peu partie du principe que les professionnels du livre allaient me suivre comme ils l'avaient fait sur la Passe-Miroir.

Une des raisons qui ont fait que ça a si bien marché, c'est parce qu'au niveau des librairies, des bibliothèques, des enseignants — vraiment tout le circuit, ils s'en sont tous emparé et l'ont tous défendue sur le terrain.

EYAEL : Et les influenceurs ? Parce que je n'ai pas trouvé grand chose sur Ici et seulement Ici.

CHRISTELLE DABOS : Et les influenceurs, bien sûr. Il y a eu une rencontre avec cinquante influenceuses — je mets au féminin parce que je crois qu'il n'y avait un seul garçon contre quarante-neuf, ce jour-là. C'était une rencontre organisée dans le cadre du lancement du livre par Gallimard. Mais sur les cinquante, je ne pense pas que chacune ait fait une chronique. Et chez celles qui l'ont fait, je sais pas dans quelle mesure ça a beaucoup circulé.

Mais celle qui m'avait aussi donné un bon coup de pouce pour la Passe-Miroir, c'était Émilie Bulledop, une influenceuse avec une énorme communauté derrière elle qui m'avait fait une publicité phénoménale. Ça aide quand on a quelqu'un comme ça
qui fait ce boulot-là, je l'ai bien vu.

Donc là, j'ai senti que le projet était moins porté par d'autres personnes que moi et Gallimard Jeunesse. Aussi, je me suis rendu compte en allant en librairie, en bibliothèque, en échangeant avec les professionnels que certains ont complètement pris le virage. Ils ont dit, « Voilà, nous, on a adoré ce virage complètement inattendu ».  Tandis que pour  d'autres, c'était : « Ben le livre, il ne donne pas envie d'être élève. Il ne donne pas envie d'être enseignant. Et il touche à des sujets très touchy. Moi, personnellement, je ne le conseillerais pas aux personnes trop sensibles. »

EYAEL : Dans ses livres, la psychologue Christel Petitcollin distingue les sur-efficients des normo-pensants en ce qu'ils disposent d'un câblage neurologique totalement différent et explique notamment qu'une grande majorité de gens chercheront à fuir leurs angoisses existentielles à tout prix à l'opposé de cette minorité dotée d'un cerveau effervescent qui fonctionne en arborescence plutôt que de manière linéaire. Ce qui pourrait sans doute expliquer ces réactions aussi tranchées de part et d'autre.

CHRISTELLE DABOS : Effectivement, il y a déjà le fait que nous ne sommes peut-être pas tous égaux face au rapport à la peur et que nous n'en sommes pas tous au même stade du chemin. Par exemple, avant la Passe-Miroir, j'avais essayé d'écrire sur ce sujet-là et ça avait été un échec total. Parce que je savais… je pense que je sentais déjà…

Il y a plusieurs années, je m'étais dit, « tiens, j'ai vraiment envie d'écrire une histoire qui se passe dans un collège et d'aborder certains sujets ». Et alors que c'était infiniment plus soft que ce que j'ai fait avec Ici et seulement Ici, malgré tout, je me suis sentie mal à l'aise. Très vite, je me suis dit, « non, vraiment, je ne peux pas, je ne suis pas prête ». Et c'est après le processus de la Passe-Miroir, tout ce par quoi je suis passée… Parce que la Passe-Miroir a été un très long processus : entre le premier et le dernier tome, pour moi, ça a été douze ans de vie — mais ça a aussi été un terrain où j'ai pu rencontrer beaucoup de peurs. Les rencontrer et les embrasser.

Et donc une fois passée par ce très long processus,  là j'étais prête. Mais je peux comprendre. Je peux comprendre que tout le monde n'en soit pas à ce moment-là. Je pense que pour un livre, il y a le bon moment. Il y a certains livres qu'on ne peut pas lire avant et qu'on ne peut pas lire après. Il y a un moment exact pour les lire. Et là, c'était le moment.

À suivre : deuxième partie à paraître prochainement

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Perception Majuscule : Les personnages

Il y a un peu plus d'un an, je publiais mon premier documentaire-interview avec Rudy à l'occasion de son premier roman auto-édité sur Amazon (disponible en version papier et Kindle).

Un thriller fantastique palpitant qui vous tiendra en haleine tout au long de ces 450 et quelques pages et dont le second tome est actuellement en cours d'écriture.

Ne souhaitant pas produire une vidéo trop longue risquant de décourager le spectateur lambda, j'avais réduit à l'essentiel, mettant de côté tout ce qui touchait à l'inspiration et la génèse des personnages. Voici donc, aujourd'hui, un an après, une annexe à ce documentaire qui explore plus en profondeur cet aspect plus personnel de son œuvre littéraire qui s'adresse surtout à ceux qui ont lu le livre, qui comptent le faire, ou aux indécis qui ne savent pas trop et dont la curiosité pourrait être éveillée par ce petit rappel que j'ai eu beaucoup de plaisir à concocter.

Des sous-titres en anglais (réalisés par mes soins et non automatiquement par un algorithme) sont également disponibles sur YouTube.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Le jour où le monde est devenu fou

Il y presque six mois, lors de notre entretien à propos de la sortie de son premier roman, Rudy me confiait son envie soudaine d'écrire un livre pour enfant. Le lendemain, c'était chose faite ! Aujourd'hui, il vous présente fièrement son ouvrage illustré avec humour par Papou et publié aux éditions A Vol d'oiseaux.

Résumé :
Tout va bien dans le monde, jusqu'au jour où un étrange et dangereux virus fait son apparition... Seul moyen de s'en protéger, porter un slip sur la tête et se couvrir les yeux ! Une satire de la crise Covid, à prendre au second degré, pour enfants et ados.

Date de parution : 15 décembre 2022

Prix :
11,00 €

Disponible uniquement en précommande :
https://asso-lire-ici-ailleurs.sumupstore.com/article/le-jour-ou-le-monde-est-devenu-fou

« Si jamais vous avez des pilules bleues dans la famille » prévient Rudy, « ça risque de venir les gratouiller. Donc vous êtes prévenus, si vous offrez ça à votre cousine full pilule bleue ou à ses enfants, vous risquez d'avoir un peu à Noël des conversations animées mais bon... hein ! Nous, quand on nous a enfermés chez nous et qu'on nous a passeport vaccinalisés, on ne s'est pas trop demandé si jamais on était choqués et si on était heurtés dans notre sensibilité par ça donc on va dire donnant-donnant. »

« Moi, mon fils ça le fait beaucoup rire et voilà. Je pense que c'est un beau cadeau à faire pour Noël. On a essayé de garder le prix au minimum, le plus bas possible. Et pour l'instant, il n'est disponible qu'en Europe. Je suis en train de chercher un éditeur du côté du Canada.» ajoute-t-il.

NOTE : La situation actuelle de la chaîne logistique et de pénurie de papier fait que l'éditeur ne peut pas garantir de date de réception. Je vous demande donc de prendre en compte que peut-être le livre n'arrivera qu'en janvier. Désolé pour ce contretemps indépendant de notre volonté. — Rudy

Une version avec uniquement les animations pour les enfants...

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Perception Majuscule (3)

MK-Ultra

RUDY : Il y a un passage où je traite de certaines théories du complot dont une en particulier qui est en fait très vivace à Montréal parce qu'elle est née en partie à Montréal. C'est ce qu'on appelle le le projet MK-Ultra, un projet de contrôle mental par des voies qui sont pas toujours forcément très cool à décrire.

J'ai essayé de laisser ce côté les passages les plus sordides et les plus dégueulasses de tout ça. Je veux que ce bouquin attire l'attention sur ce sujet-là. MK-Ultra est un sujet ou où il y a beaucoup de choses très troublantes à dire. Les personnes qui ont envie d'aller creuser peuvent aller creuser. C'était juste pour dire que ça existe.

J'ai essayé de donner des éléments de recherche aux gens, en particulier une vidéo que je t'avais envoyée (Les dernières images du documentaire. – Ed.) où on voit des choses très troublantes qui permettent après de se poser des questions.

Si tu as envie d'aller creuser, tu vas creuser. Mais le but du jeu, c'était pas non plus d'en faire un livre politique – un livre pour orienter les gens dans une certaine direction politique. Le choix est ouvert. Tu as envie de te dire : « Ah ça c'est un bouquin de fantastique » et de laisser ça comme ça, je n'ai pas de problème avec ça.

EYAEL : Je ne verrais pas MK-Ultra comme une théorie du complot parce que c'est quelque chose d'avéré maintenant. Officiellement, c'est terminé mais officieusement ça continue.

RUDY : Bien sûr ! C'est ma compréhension aussi. Mais ce que je veux dire c'est que ce n'est PAS une théorie du complot, mais c'est une théorie du complot dans le sens où ça n'est pas rentré dans le cerveau de Monsieur Tout-le-Monde qui regarde TF1.

Non seulement, ils l'ignorent si tu leur en parles mais tu leur montres des preuves, ils auront cette espèce de réaction de rejet : « Non, ça ne correspond pas avec la vision de la réalité que j'ai, donc c'est une théorie du complot, donc c'est les fous qui en parlent et donc je ne m’intéresse pas au sujet. Je vais retourner dans mon confort, dans mon cocon TF1-BFM ».

Et je propose aux gens un choix : si tu n'as jamais entendu parler de ça... Je mentionne que Bill Clinton en a parlé à un moment donné, il a fait une déclaration quand il était président sur le sujet – ce qui me paraît être un argument de poids, un président des États-Unis en exercice qui parle de ça et qui fait des excuses. Après si tu n'as pas envie de creuser ça...

Mais oui, la réalité par rapport à la fausse réalité qu'on nous présente comme la vérité, c'est au centre de mes préoccupations quotidiennes. Certainement beaucoup plus en fait depuis que ces deux ans et demi qui viennent de s'écouler.

Et je vais te dire un truc parce que là quand je parle de ces deux ans et demi, je fais évidemment référence au Covid et tout. Et ça me pose pas mal de problèmes pour la suite de mon bouquin. Parce que le récit commence le mardi 11 juin 2019. Donc nécessairement, là on arrive en 2020 et moi quand j'ai commencé à écrire ça, il n'y avait pas de Covid, il n'y avait pas tout ça.

EYAEL : Tu pourrais situer ça dans un monde parallèle où il n'y a pas le Covid ?

RUDY : J'en sais rien du tout. Il y a un petit clin d'œil au Covid à un moment donné où quelqu'un fait une réflexion sur les masques des Japonais dans le métro. Je ne sais pas trop comment ça va évoluer de ce côté-là mais ça me gratte un peu la tête. Je ne sais pas comment je vais résoudre ce problème. On verra.

Les personnages

EYAEL : Tes personnages centraux sont des héros vraiment atypiques. Et surtout, ils évoluent à une vitesse fulgurante sur le laps de temps assez court dans lequel se déroule le récit. C'est étonnant.

RUDY : Ils ont pris des claques dans la tête aussi !

EYAEL : On a un peu l'impression qu'ils s'éveillent à eux-mêmes, que d'un coup, ils se découvrent des capacités incroyables. Ils ont tous plus ou moins des blocages psychologiques et là ils se prennent des claques et sont capables de faire des choses incroyables. Je pense notamment à Wendy. Et Yvan aussi.

RUDY : Wendy – petit spoiler – est en fait un personnage qui existe pour de vrai. Il s'agit d'une vraie personne qui s'appelle réellement comme ça. C'est une ex à moi. Bon c'est terminé, il n'était pas question de régler des comptes ou quoi que ce soit. Wendy est donc une personne atypique. D'ailleurs je lui ai dit, je lui ai envoyé le texte en lui disant qu'elle faisait un bon personnage de roman.

Mais  finalement, de ce personnage qui est la personne que j'ai rencontrée et avec qui j'ai eu une relation pendant deux ans, il y a des années, c'est devenu un personnage à part entière dont je m'inspire et qui après je cherche à savoir ce qui lui arrive. Le but du jeu n'est vraiment pas de régler ses comptes. Et je pense que la Wendy du bouquin ressort comme un personnage sympathique.

EYAEL : Et les autres personnages ?

RUDY : Il y a deux personnages, Yvan et Gauthier, qui sont colocataires et les meilleurs amis du monde. Il y a une partie de moi dans chacun de ces personnages. Par exemple, à un moment donné, on demande à Yvan sa date de naissance et il se trouve que c'est celle de mon frère.

Donc c'est un peu moi, un peu d'autres personnes. Pas uniquement dans un seul personnage mais réparti sur différents personnages. Je ne sais pas, c'est le premier livre que j'écris mais je vois difficilement comment on peut écrire un bouquin qui n'a pas une part de soi-même, une part autobiographique à l'intérieur, d'une manière ou d'une autre.

EYAEL : Et Ginette alors ? C'est de la pure fiction ou tu connais quelqu'un comme elle ?

RUDY : Oui, c'est de la pure fiction mais c'est vrai quand j'y pense...

Tu sais, je suis arrivé à Montréal, ça fait dix ans et je faisais du théâtre avant d'aller y vivre. J'avais envie de continuer (maintenant je n'en fais plus), de reprendre ça et donc j'ai fait une pièce amateur à Montréal, Douze hommes en colère qui est d'ailleurs une très bonne pièce de théâtre. Moi, j'étais le méchant n°5 – le plus en colère des douze hommes en colère, on va dire. Et dans les onze personnes avec qui je partageais la scène, il y avait une dame qui était dans la tranche d'age de Ginette et quand je pensais à Ginette, c'était sa tête à elle qui m'apparaissait. Mais par contre, elle ne partage rien d'autre que l'apparence.

Et donc c'est marrant parce que les deux personnages que j'ai, notamment Yvan et Ginette, proviennent d'un exercice que ma prof d'écriture nous avait donné à faire : "Inventez deux personnages. Écrivez une scène avec deux personnages."

J'ai donc écrit une scène où j'étais dans un métro et je faisais face à un personnage qui deviendra Yvan par la suite, dont la caractéristique, on l'apprend dès le début, est que c'est une espèce de colosse, une force de la nature. Il est très grand, il est très fort, il est très musclé, et très timide aussi.

J'ai écrit cette scène avec ce personnage : il est une heure du matin, je suis dans le métro et face à moi, il y a un type hyper imposant physiquement. C'est ce personnage qui m'a accompagné. L'autre c'est Ginette que j'avais inventée dans le cadre de cet exercice-là. Puis après j'ai écrit une scène, puis une autre, puis une troisième et finalement différentes scènes.

Ah oui, ça je ne te l'ai pas dit : il y a plusieurs scènes dans le bouquin que j'ai écrites au cours d'exercices que j'ai faits dans ce cours-là et que j'ai intégrées par la suite.

EYAEL : Et pour Rara, comment t'est venue l'idée ?

RUDY : Difficile d'en parler sans spoiler. Rara est un personnage qui sort de nulle part et c'est une petite bête bleue qui parle et qui est grossière, vulgaire, qui regarde du porno, fume des joints et accompagne Yvan qui, à ce moment-là de sa vie, est dans une phase où il est paumé, ne sait pas où il est, ce qu'il fait ni pourquoi il est en vie alors que dans sa tête il devrait être mort. Et il voit ce personnage-là et se demande : « Est-ce que je suis fou ? Est-ce que je suis pas fou ? »

On parlait tout à l'heure de la rencontre d'Yvan avec son demi-frère et la discussion philosophico-spirituelle qui s'ensuit – ça en fait, ce sont des enseignements que j'ai pris dans une espèce d'éveil spirituel.

Tu sais, moi, pendant très longtemps j'étais complètement coupé de Dieu et tout ça et depuis la naissance de mon fils, je m'en suis rapproché. Et il y a différentes personnes, par le biais de vidéos YouTube principalement, qui m'ont aidé à évoluer sur ce plan-là et donc certains de ces enseignements viennent de là.

EYAEL : En fait, sans spoiler, ce que ce personnage représente dans l'histoire, ça existe réellement ?

RUDY : Ça existe réellement.. Oui, toutes les explications qu'on donne, d'où ça vient, les textes qui y font référence et tout ça sont des choses authentiques. Du moins, c'est MA compréhension de choses authentiques parce qu'on parle de sujets très pointus et il y a peut-être quelqu'un qui dira « Ah oui, il y a un détail qui ne marche pas ». J'ai donc fait ce que j'ai pu.

EYAEL : Il est très sympathique ce Rara et vers la fin, j'ai l'impression qu'il devient plus humain dans le sens où il veut vraiment aider alors que ce n'est pas vraiment son but premier.

RUDY : C'est expliqué pourquoi. Au début, son rôle n'est pas d'aider mais Yvan se retrouve dans la cosmologie de l'univers à une place très particulière qu'il ne comprend pas du tout et à ce moment-là, le personnage de Rara qui, normalement est plutôt quelqu'un qui doit lui pourrir la vie, a le mandat de venir l'aider dans sa quête.

EYAEL : Il me fait un peu penser au djinn de la Trilogie de Bartiméus avec sa façon de parler et son humour un peu similaire.

RUDY : Tu m'as parlé de ça, je ne l'ai pas lu, il faudrait que je le fasse.

Il y a une petite fille qui intervient vers la fin du bouquin qui s'appelle Amélia. Du fait que c'est une petite fille, j'ai un attachement particulier pour ce personnage-là qui se retrouve dans une situation personnelle qui est horrible.

EYAEL : Ce n'est pas tellement de la fiction ce qui lui arrive.

RUDY : Non, tristement non. Je passe ce côté horrible – l'horreur des sujets dont je parle est abordée très légèrement. Le but n'est pas d'effrayer les gens mais plutôt de les faire sourire et de les faire réfléchir. Ce n'est pas que j'ai un attachement particulier pour elle mais je ne suis pas vraiment sûr de ce qui va lui arriver et j'y pense beaucoup.

Réalité vs fiction

EYAEL : Avec les sujets que tu abordes justement, tu avais donc l'intention de planter des graines dans l'esprit des lecteurs pour les inciter un petit peu à creuser ?

RUDY : Quand j'ai commencé le livre, oui, c'était ça l'objectif. Et puis 2020, 2021 et 2022 sont arrivés et là, je pense que c'est vraiment une problématique qui est centrale, dans le monde, de voir qu'il y a la réalité de la télévision et la Réalité et que ces réalités divergent de manière gigantesque.

© Ey@el

On est dans une espèce de grand écart. Et pour quiconque n'a ne serait-ce que un petit peu les yeux ouverts sur l'information – je parle pas de spiritualité, je ne parle pas de foi, je ne parle pas de ces sujets qui peuvent bloquer certains – mais juste tu ouvres un petit peu tes yeux sur ce qui s'est passé. Soit tu es encore dans un endoctrinement total, soit tu as réellement pris conscience du fait qu'il y a sérieusement quelque chose qui cloche dans notre société aujourd'hui.

Pour te donner un exemple, moi, je suis confiné au Canada jusqu'au 20 juin et depuis pratiquement un an et demi ou plus, je n'ai plus le droit de prendre l'avion parce que j'ai pris une décision médicale me concernant, de ne pas me prendre une injection et de tous les problèmes que ça cause et tout ça.

(Pour l'anecdote, quelques jours après cet entretien, le Canada levait cette restriction et nous avons pu nous rencontrer en chair et en os ! - Ed.)

Tu te rends compte que quand je suis arrivé au Canada, il y a dix ans, dans ma tête et dans la tête de tout le monde, c'était le pays des droits de l'Homme, des libertés, où on aime la nature, les gens. Les gens sont gentils, ils sont pacifiques. Et au niveau individuel, c'est vrai mais au niveau politique, c'est devenu un enfer.

Tu as vu les camionneurs canadiens et ce que notre dictateur Justin Trudeau est en train de faire, à couper des comptes en banque parce qu'il y a des gens qui manifestent pacifiquement pour exprimer leur désaccord face à des décisions politiques qui sont prises. Là, on est à une croisée des chemins et je pense qu'il est important d'en parler.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

À l'affiche

Mademoiselle chante le blues

Mademoiselle chante le blues Soyez pas trop jalouses Mademoiselle boit du rouge Mademoiselle chante le blues ...

Derniers commentaires

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *