C'est bientôt Noël et vous n'avez toujours pas d'idées de cadeaux originales ?
Et si, au lieu de vous précipiter sur Amazon ou toute autre grande enseigne (au risque même que quelqu'un offre la même chose que vous), vous vous tourniez du côté des petits artisans qui n'ont pas forcément pignon sur rue mais qui allient talent, originalité et qualité ?
Justement, je voudrais vous présenter une créatrice lyonnaise « ultra stylée », voire carrément atypique, avec qui je me suis longuement entretenue pour produire cette vidéo qui j'espère vous donnera envie d'aller faire un tour sur ses comptes TikTok et Instagram où elle expose et met en vente ses créations.
Attention, il s'agit de pièces uniques donc si quelque chose vous tape dans l'œil, n'attendez pas trop avant de passer commande. Sinon, elle travaille également sur commission. Et si vous êtes dans le Haut-Jura, du côté de Saint-Claude, vous pourrez même la rencontrer sur les marchés.
Dans les profondeurs de l'océan, Au fond de la mer, Tes yeux — Ils m'attirent.
"Weird Fishes (Arpeggi)", Radiohead (2007)
Cet été, dans la série Polaroid Android, je vous avais présenté mon coup de cœur artistique : Chester Calayag, un jeune peintre philippin dont j'avais fait la connaissance sur W.A.S.T.E., le réseau officiel de Radiohead. Un artiste torturé qui pourtant avait le don de vous faire voir le bon côté des choses par son humour décalé et sa bonne humeur. Sauf qu'il s'agissait d'une façade et que son art n'aura finalement pas suffi à exorciser le mal-être profond qui le rongeait.
Chester a en effet décidé de nous quitter en ce 11 janvier dernier.
Tout doucement nous nous ouvrons Tels des fleurs de lotus, Parce que tout ce que je veux C'est décrocher la lune. Je danse autour d'un abîme Avec les ténèbres au-dessous.
Ce fut pour moi un grand choc parce que mon dernier contact avec lui remontait à quelques jours avant cette date fatidique où il était ravi d'avoir été ajouté à un groupe privé sur Twitter que j'avais créé pour célébrer le nouvel an.
« C'est sympa de lire des articles comme celui-ci et de savoir qu'une fois dans sa vie il a pu vivre cette expérience d'être reconnu » écrit Jhen, le frère aîné de Chester, par qui j'ai été informée de cette tragique nouvelle.
« Merci pour le temps passé et pour l'appréciation que vous avez témoigné à Chester. Je suis tellement reconnaissant envers les personnes qui apprécient mon frère, surtout de son vivant. Merci de continuer à prier pour son âme. ».
Oh mon dieu, je n'avais pas réalisé à quel point ça l'avait touché. J'avais d'ailleurs été trés émue moi-même lorsqu'il m'avait fait la surprise d'un portrait à l'huile réalisé à partir de ma photo de profil, estampillé de l'inscription « Gut Feeling » (instinct) — ce qui est effectivement mon trait dominant pour ceux qui me connaissent bien.
Dans les arc-en-ciel
Comme je l'avais expliqué précédement, Chester était un grand fan de Radiohead. « Il avait un tatouage [d'eux] sur le bras gauche, et avant de mourir il avait fabriqué une poupée à son effigie avec une cassette [de Pablo Honey, le premier album du groupe] en guise de tête et une guitare dans les bras » se rappelle Jhen, touché que j'aie informé la communauté Radiohead et posté quelques-unes des œuvres de son frère qui ont été mises à l'honneur.
Sur W.A.S.T.E., Jo se souvient d'ailleurs de la première fois où elle a vu les commentaires de Chester « souvent accompagnés d'un « hé hé » et d'un :) ou équivalent ».
Je sors de mon orbite Exécutant des figures acrobatiques Les yeux d'une tortue géante, Des méduses qui passent par là...
« Je me suis d'abord demandée ce qu'il y avait de si amusant et j'ai pensé que c'était un type un peu bizarre. Et puis, petit à petit, je me suis rendu compte qu'il n'était pas bizarre du tout » avoue-t-elle. « Il avait ce merveilleux sens de l'humour parfois irrévérencieux, il était sensible et créatif. Ses « salut, comment allez-vous ? » étaient sincères. J'avais le sentiment qu'il voulait vraiment savoir comme nous allions. Avec le recul, il me semble qu'il essayait sans doute de tendre la main et avait besoin de montrer ce qu'il était incapable d'exprimer par des mots. »
« Ses publications créatives dans lesquelles il nous montrait ses œuvres faisaient toujours l'effet de cadeaux qu'ils nous offrait.À l'instar de son caractère, elles représentaient ce qu'il y a d'unique et de magnifique, le chagrin, la souffrance mais aussi l'humour dans sa vie et dans les nôtres. Il y avait tant de talent et de générosité dans son art. Je me souviens en particulier de ces personnages aux membres allongés (en rapport avec Radiohead, il me semble ?) qui étaient si géniaux. »
« C'est vraiment dommage que je n'aie pas été très longtemps en contact avec lui. Il a vraiment laissé une trace. Quelle perte tragique pour sa famille, ses amis et les membres de W.A.S.T.E. qu'il se soit senti incapable de continuer. Il nous manquera cruellement. Le monde entier a besoin d'autres Chester même si, bien sûr, il était unique. Adieu Chester et merci. »
Dans les limbes
J'ai sauté dans le fleuve et qu'est-ce que j'ai vu ? Des anges aux yeux noirs qui nageaient avec moi, Une lune remplie d'étoiles et des véhicules astraux — Toutes les choses que j'avais l'habitude de voir. Toutes mes amantes étaient là-bas avec moi — Tous mes passés et avenirs. Et nous sommes tous allés au paradis Dans une petite barque, Il n'y avait rien à craindre Ni aucun doute à avoir.
Selon ses proches, Chester souffrait apparemment du même mal que Thom Yorke dans ses jeunes années : la dépression. C'est très certainement parce qu'il se reconnaissait que trop bien dans certains de ses textes qu'il vouait un culte à la musique de Radiohead.
« Nous pensions qu'il souffrait de dépression mais il disait toujours qu'il allait bien » explique Jhen Calayag. « En réalité, la dépression n'a pas de visage. Même si on voyait la tristesse dans ses yeux, que parfois il décidait de dormir davantage et de rester au calme, il arrivait quand même à sourire et à s'amuser avec nous et ses amis. Il appréciait vraiment les petites choses, surtout ces derniers temps avant de nous quitter. »
Dans la nuit noire, Je m'en vais parcourir ton paysage, Trébuchant sur des branches cassées À l'instant même où je te parle. Le simple fait d'éprouver cela Ne veut pas dire que c'est réel...
- "There There", Radiohead (2003)
« Mais Dieu sait ce qu'il y avait vraiment dans son cœur et dans sa tête. Nous ne savons toujours pas ce qui l'a poussé à mettre fin à ses jours. C'est tellement horrible qu'il ait lui-même abrégé son séjour sur terre. Peut-être que c'était pour se libérer de la souffrance émotionnelle que certains lui ont infligée. J'ai l'impression qu'à mesure que les jours passent, il est de plus en plus difficile d'accepter son départ. Il avait beaucoup de projets. »
« C'était une bonne personne en tant qu'ami, fils et frère. Je ne me souviens pas qu'on se soit jamais disputés avec lui. Il avait du respect pour moi, son grand frère. Je savais que s'il m'arrivait de faire des choses qui lui déplaisaient, je pouvais toujours compter sur son soutien. Il y a encore tant de choses que j'aimerais dire de lui. »
« On ne peut pas dire que j'ai beaucoup échangé avec Chester » s'excuse B. « Pour moi, c'était une belle âme et c'est pourquoi je l'avais ajouté à ma liste d' "amis". Quelle tragédie qu'il nous ait quitté si prématurément et de sa propre décision. Comme il a dû souffrir au fond de lui. Il va nous manquer. J'espère qu'il vole en liberté maintenant et qu'il est en paix. »
Il y a un espace vide dans mon cœur Où les mauvaises herbes prennent racine, C'est pourquoi maintenant je te libère...
« Je prie pour qu'il trouve la paix qu'il recherchait » écrit Jean Dotson. « Je prie pour que sa famille et ses amis trouvent le réconfort après son décès. Je dois croire qu'il s'en est allé vers une vie meilleure. Il était si doué, si expressif. Ce fut tellement merveilleux de le croiser dans cette vie même pour un court instant. Le démon de la dépression ne pourra plus le hanter. Qu'il connaisse la paix et la bénédiction. »
« En tant qu'homme et frère humain, j'aimerais seulement qu'on puisse faire plus pour éviter que cela se reproduise. Tant de bonnes personnes, talentueuses et souvent trop jeunes ne sont plus parmi nous. Mes pensées les plus sincères à la famille de Chester. Qu'il puisse trouver la paix qu'il cherchait sur terre dans le monde où il vit désormais » conclut Ian The Trickster.
Dernières fleurs
Pour ma part, j'aimerais que l'on se souvienne davantage de son côté lumineux même si sa part d'ombre a fini par l'emporter, parce que c'est ce que tout être humain devrait choisir de nourrir en lui. Nous sommes à la fois ombre et lumière mais en tant que jardiniers de notre propre sanctuaire intérieur, il nous appartient par-dessus tout de veiller au bon équilibre de ce que nous laissons y pousser.
Même si c'est sans doute la chose la plus difficile au monde dans une société égotique gérée par des psychopathes qui ridiculise la souffrance émotionnelle en faisant passer l'hypersensibilité pour une tare. La force n'est pas de ne rien ressentir mais de ne plus s'épuiser à réagir. Je ne détiens malheureusement pas (encore) la méthode parfaite mais quand ce sera le cas, je vous tiendrai au courant (et gratuitement). Ne restez pas chacun enfermés dans votre propre enfer personnel à faire comme si tout allait bien. Désherbez.
Peindre est une autre manière de donner la vie.
- Chester Calayag
Merci à Jhen Calayag et à toutes les personnes qui ont pris le temps d'apporter leur témoignage.
Et surtout, un immense merci à Chester pour avoir croisé nos routes ici bas en les illuminant avec son art, tel une comète passée trop rapidement dans notre ciel.
Vous vous souvenez, il y a trois ans, je vous avais fait part d'un de mes gros coups de cœur artistiques pour le travail de l'illustrateur argentin Gaston Viñas. Voici mon nouveau « méga kif » comme on dit aujourd'hui.
Chester Calayag est philippin. La peinture est la seule manière qu'il connaisse de gagner sa vie mais, dit-il, « ce n'est vraiment pas facile du tout. D'aussi loin que je me souvienne, enfant j'ai gagné ma vie avec ce talent certes naturel mais également acquis par l'apprentissage. Cependant, en grandissant cette lutte prend une différente tournure car de nos jours, il est facile de peindre. Parfois, il n'est pas nécessaire d'avoir un concept en tête ou quelque chose à dire. Ceci dit, pour ma part, ce n'est pas comme ça que j'ai été élevé et que je conçois l'art » ajoute-t-il.
La plupart de ses œuvres parlent de tout et de rien, de ce qu'il voit, de sa propre histoire et des interprétations de sa vie et la manière dont il perçoit le monde. « Peindre est une autre moyen de donner la vie, dit-il. La musique l'a déjà fait, il est temps maintenant que l'art s'y essaie aussi ». Ses influences sont très diverses et vont de la Renaissance au surréalisme fantastique en passant par toute une variété d'arts modernes. Dali, Varo, Klimt mais aussi certains artistes locaux et Stanley Donwood, illustrateur attitré du groupe Radiohead dont il est un grand fan. Car la musique l'inspire également beaucoup en lui fournissant l'énergie et la motivation nécessaires pour démarrer ses journées où qu'il soit.
Chester est un artiste visionnaire au style percutant parfois dérangeant, à la fois très torturé et plein d'amour, conscient des parts d'ombre et de lumière qui s'affrontent douloureusement en chaque être humain, à l'image de ces contrastes si puissants qu'il affectionne tant dans sa manière de peindre. « La lumière est très importante pour moi, dit-il, et sans doute pour nous tous, mais elle est vraiment difficile à trouver ».
« Je crois qu'il n'y a rien d'impossible, conclut-il, qu'il y a toujours une possibilité en toute chose, que nous devons juste trouver le moyen d'y parvenir. Il y en a toujours un, le moyen parfait et je suis content d'avoir trouvé le mien. Comme un portail vers quelque chose à l'intérieur de nous-mêmes. »
Et comme les images se suffisent à elles-mêmes et expriment bien plus d'émotions que les mots ne pourront jamais susciter en vous, je vous invite à parcourir la sélection ci-dessus en cliquant sur chaque vignette pour l'agrandir et peut-être poursuivre votre découverte en allant visiter ses sites dont les liens figurent au bas de cette page.
J'espère que mes œuvres vous inspireront, même un tout petit peu, ou vous apporteront quelque chose de positif, n'importe quoi qui, à votre tour, pourrait vous aider à avancer sur votre chemin.
Finies les vacances : le projet Eklabugs reprend, tant bien que mal, du service et nous nous sommes tous donnés rendez-vous ce mois-ci pour vous parler de culture (voir la liste des participants en fin de billet comme d'hab). Mais de quelle culture ? Dans le style bien tordu que vous semblez apprécier, je vous avais déjà parlé de celle de l'oxymore. Passer à un registre plus sérieux en vous brossant le portrait de Monsatan et de ses graines généreusement modifiées conçues pour vous transformer en légumes que l'on n'a pas besoin d'éplucher ou encore vous vanter les bienfaits du canna bistre (une variété de liliacées) ? Avouez que ça aurait manqué un peu d'originalité. Tout comme ces copycats, certes talentueux, que j'ai décidé d'épingler.
Les fondements de la dépersonnalisation
Si l'on se base sur la théorie évolutive selon laquelle l'Homme descendrait du singe, quoi de plus normal, sans doute, que de vouloir imiter ceux qui nous servent de modèle. Après tout, n'est-ce pas en reproduisant les sons que nous entendions que nous avons appris à parler ? N'est-ce pas en copiant nos parents, nos frères et sœurs, que nous avons faits nos tous premiers pas dans la vie ?
La réplication fait donc bien partie intégrante de l'apprentissage. C'est en copiant que l'on acquiert les bases de tout art ou technique qui, dans le meilleur des mondes, devraient nous permettre de trouver nos marques et exprimer ainsi nos pleins potentiels créatifs. Mais malheureusement, nous ne vivons pas dans un tel monde.
Bien au contraire, à l'image de l'effrayante dystopie du roman éponyme d'Aldous Huxley (le Meilleur des mondes) dans lequel les humains, répartis en cinq classes bien distinctes, sont conçus in vitro, clonés et génétiquement modifiés en vue du rôle qui leur sera assigné, cette société n'a de cesse de vouloir nous organiser selon le principe des poupées russes, de nous étiqueter, nous formater, nous conformer à des normes anti-naturelles, nous marquant au passage au fer rouge comme le vulgaire bétail que nous sommes à ses yeux. À tel point que beaucoup ne savent plus du tout qui ils sont et se cherchent désespérément.
Ajoutez à cela cette obsession malsaine de la comparaison systématique, cet esprit de compétition permanent qui n'engendre qu'agressivité, et surtout, à l'ère des médias tout-puissants, le culte des célébrités. Pas étonnant que de plus en plus d'esprits craquent, se fissurent et en viennent à effectuer ce que les psychologues appellent, dans leur jargon, des transferts ou projections. La vie par procuration sponsorisée par les réseaux sociaux constitue très certainement le dernier tour d'écrou avant l'avènement imminent du transhumanisme ou fusion de l'homme et de la machine.
Je ne sais pas ce que je raconte, Je suis prisonnier de ce corps Dont je ne peux m'extraire. Émettre un son, Retourner maison, Pâle imitation Dont on a raboté Toute aspérité.
Car soyons clairs : si les milliards d'humains qui peuplent actuellement cette planète parvenaient à réaliser qui ils sont réellement, à s'aligner sur les lois naturelles qui reposent sur la diversité et la symbiose parfaite, les barreaux de cette matrice d'illusion voleraient en éclat dans la seconde.
Il ne s'agit donc pas d'une faille mais d'une défaillance voulue.
Et dans une société manipulée par les faux semblants, l'invraisemblable et la diversion, il est normal que l'art hérité de l'harmonie constitue une cible privilégiée, particulièrement à l'ère de la surinformation, de la sur-communication et de l'hyper connectabilité où le cyberespace se voit soudain pris d'assaut par les copycats de tout poil, pas tous malhonnêtes ni malintentionnés certes — certains simplement paumés dans cette quête inaboutie d'eux-mêmes, d'autres purement inconscients de n'être que des portraits de Dorian Gray.
L'art du faux plus vrai que nature
Même s'il a beaucoup évolué au fil des siècles, l'art est initialement né du désir de reproduire la nature et d'en capturer le plaisir esthétique qu'il procure à nos sens. Rien d'étonnant à ce qu'il ait vite été réapproprié par les élites déterminées à s'accaparer toute source de jouissance. De cette monétisation engendrant la rareté naquit alors l'art de la contrefaçon basé sur le principe de l'offre et de la demande.
Qui dit œuvres d’art dit contrefaçon : l’appât du gain appelle ceux qui ne peuvent être reconnus pour leur art à imiter celui d’autres afin de gagner leur vie. Ainsi, déjà sous l’Empire Romain, la demande d’œuvres grecques est si grande que plusieurs artistes méconnus y voient une occasion de mettre à profit leur talent. Jusqu’à aujourd’hui, la tradition du faux s’est perpétuée, fluctuant en popularité selon les époques. (Source)
Qui sont ces faussaires ?
Ce sont en général des artistes qui n’arrivent pas à obtenir la reconnaissance qu’ils souhaiteraient. En produisant des faux, ils font un pied de nez aux experts et critiques d’art qui n’ont pas su voir leur talent quand ils créaient sous leur propre nom. Ces faussaires sont souvent manipulés par des faiseurs d’argent, des réseaux de trafiquants d’art qui organisent la vente des fausses œuvres. (Source)
Le grand Michel-Ange lui-même aurait copié des dessins de maîtres en les substituant aux originaux. « Il avait également sculpté un Cupidon endormi, l'avait patiné puis enterré afin de le vieillir artificiellement puis vendu comme une sculpture hellénistique au cardinal Riaro ». (Source)
Certains artistes reconnus jouèrent même les mécènes. Ainsi Corot « débordé de commandes, quand il voyait ses amis artistes dans la détresse financière, n’hésitait pas à signer leurs tableaux pour qu’ils puissent les vendre sous son nom. La rumeur dit même que Pablo Picasso, pris par le temps, commandait des œuvres à sa manière à des artistes de Montparnasse et y apposait sa signature ». (Source)
Quand d'autres se permettent, ailleurs, de corriger les originaux :
Les écrivains de l'ombre
Mais ce phénomène n'est pas le propre des beaux-arts. On le retrouve également en littérature où l'activité des nègres, blanchisseurs (dixit Voltaire), teinturiers, prête-plume ou autres écrivains à gage, s'apparente beaucoup à celle des faussaires, à ceci près qu'ils ne violent pas la propriété intellectuelle d'autrui mais cèdent plutôt la leur pour survivre dans l'espoir, tout comme ces faussaires bourrés de talent, de se voir un jour reconnus pour eux-mêmes.
Tu verras qu'un jour dans notre vie On nous illuminera, Qu'un jour dans nos esprits Le rêve continuera, Que nous nous emporterons Vers nos célébrations, Qu'une nuit dans notre vie Nous nous illuminerons.
À l'instar de certains grands artistes croulant sous le poids des commandes, de nombreux auteurs renommés eurent recours à la sous-traitance par des écrivains fantômes. Le plus célèbre cas est sans doute celui d'Alexandre Dumas père. Une anecdote rapporte qu'ayant toujours besoin d'argent, « il signait, dans différents journaux, des feuilletons confiés à des nègres et dont il ignorait jusqu’à la première ligne. Un soir, il apprend que son nègre est mort subitement, juste avant l’heure à laquelle il avait l’habitude de remettre sa copie au journal. Dumas, épouvanté, rentre chez lui et passe une nuit abominable. Au petit matin, le cœur battant, il va acheter le journal. Il l’ouvre et, à sa grande stupeur, découvre la suite du feuilleton. La clé de l’énigme ? Le nègre avait un nègre. Et le nègre du nègre, n’ayant pas été informé de la mort du nègre, avait, comme d’habitude, envoyé directement sa copie au journal ». (Source)
Cinquante nuances de pénombre
Depuis quelques décennies, on observe un nouveau phénomène de détournement d’œuvres littéraires ou cinématographiques, ou encore de séries télévisées, mangas, jeux vidéos, etc., communément appelé fanfiction. Comme son nom le laisse deviner, il s'agit d'histoires originales écrites par des fans, centrées autour de personnages ou d'univers existants qu'ils se réapproprient non pas dans un but existentiel ou lucratif mais pour prolonger le plaisir que leur procure cette immersion dans l'imaginaire d'autrui.
Ce mode de création, souvent au sein d'une communauté apprenante, est aussi considéré par de nombreux auteurs comme un moyen d'apprendre à écrire, de développer l'imaginaire individuel et collectif. (Source)
Après tout, il n'y a pas de sotte méthode. Certains de ces apprentis-écrivains ont même fini ainsi par y trouver gloire et fortune comme E.L. James, l'auteure britannique de la trilogie Cinquante nuances de Grey qui fut à l'origine une fanfiction basée sur l'univers de la saga Twilight de l'américaine Stephenie Meyer (qui elle-même démarra sa carrière d'écrivain en s'inspirant d'un rêve).
Même si, dans ce cas bien précis, la qualité littéraire reste largement discutable (et ce n'est certainement pas Stephen King qui me contredira sur ce point), je confirme, de par mon expérience personnelle en la matière, que c'est bien en forgeant que l'on devient forgeron ou plus précisément en écrivant (ou comme dans mon cas, en traduisant) que l'on devient écrivain. Ou du moins que l'on apprend à écrire. Car le mythe du talent pur, hérité des dieux ou de la bonne fée penchée sur le berceau, qui ne demanderait aucun effort, relève de l'hérésie pure et sert surtout à nourrir et renforcer l'apathie et l'infantilisme. À ce sujet, je vous conseille vivement l'essai autobiographique du Maître, Écriture : Mémoires d'un métier.
Succès damné
Le domaine de la musique non plus n'est pas en reste. Même si la reprise d’œuvres musicales se veut en général et surtout une forme d'hommage voire d'honneur suprême lorsque certains artistes méconnus se font reprendre par d'autres plus renommés, ne manquant jamais, au demeurant, de leur conférer une nouvelle dimension en y ajoutant leur touche personnelle.
Le phénomène semble avoir pris de l'ampleur depuis la surmultiplication des télé-crochets dans lesquels on se livre au formatage en direct de jeunes talents en quête de reconnaissance en les contraignant à chanter exclusivement des chansons d'artistes reconnus pour faire de l'audience plutôt que les promouvoir réellement ni rendre hommage à qui que ce soit non plus.
Et à l'instar des peintres et écrivains, certains musiciens en arrivent également à renier leur personnalité et leur créativité pour survivre. Je veux parler de ceux que l'on appelle tribute bands ou encore cover bands, spécialisés dans la reprises d’œuvres d'autres groupes ou artistes, qui se produisent généralement dans les fêtes, mariages ou autres manifestations privées ou publiques ne pouvant s'offrir les services des originaux.
Les groupes-hommage sont devenus une sous-culture à part entière. Ce qui démarra, à la base, il y a des années, comme un moyen de se réunir entre amis pour jouer et rendre hommage à la musique de ses groupes préférés, est devenu un aspect important et lucratif du paysage rock permettant à bon nombre de musiciens prometteurs de faire leurs armes au sein de tribute bands avant de démarrer une carrière. En fait, plusieurs groupes dont Journey, Yes et Judas Priest ont trouvé des remplaçants pour leurs membres stratégiques en se tournant vers ces fameux groupes hommage. (Source)
Et certains de ces groupes ne se contentent pas juste d'interpréter à la perfection la musique de leurs idoles ; ils copient même leur look, leurs attitudes, leurs mimiques, jusqu'à donner l'illusion d'être des clones à défaut de sosies parfaits.
Je suis le substitut d'un autre mec, J'ai l'air grand mais je porte des talons hauts. Comme tu vois, toutes les choses simples sont compliquées. Je fais plutôt jeune et pourtant je ne suis déjà plus dans le coup.
Comme ce groupe japonais, ci-dessous, baptisé On A Saturday (OAS) en hommage à Radiohead qui, avant d'adopter ce nom, étaient connus sous celui de On A Friday :
Ces jeunes gens sont époustouflants. Ils ont même poussé le vice jusqu'à se procurer le même matériel que leurs ainés oxfordiens. Et imiter aussi bien ceux que l'on considère, à juste titre, comme l'un des plus grands groupes contemporains, ne peut que susciter l'admiration. Et la pitié aussi. Ou plutôt l'incompréhension.
Pourquoi gaspiller un tel potentiel en n'étant que des clones ? J'espère que c'est ce que les frères Greenwood auront dit à leurs doppelgangers ou doubles japonais en leur serrant la main lors de leur récent passage au pays du soleil levant.
Il n'empêche que si j'étais célèbre pour la qualité mon art — et non pour ma bancabilité ou ma connerie légendaire comme malheureusement cela semble être devenu la norme — rencontrer mon double me flanquerait certainement un sacré malaise même si cela peut sembler extrêmement flatteur au premier abord. Pas vous ?
L’art est une activité humaine, le produit de cette activité ou l'idée que l'on s'en fait s'adressant délibérément aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l'intellect. On peut dire que l'art est le propre de l'Homme, et que cette activité n'a pas de fonction pratique définie. Il semble toutefois que l'objectif de l'art soit d'atteindre le beau.
Qui ne s'est jamais posé la question de savoir ce qu'était l'art en voyant d'autres personnes voire les médias s'extasier devant telle ou telle œuvre qui le laisse pourtant totalement perplexe et insensible ? Je pense qu'il y a là bien plus qu'une simple affaire de goût ou d'éducation. On aura beau essayer de le cerner, le définir ou l'enfermer dans des petites cases bien délimitées comme on adore le faire pour tout, l'art n'en demeurera toujours pas moins purement subjectif et en constante évolution. Bien arrogant et hypocrite celui qui peut prétendre tout comprendre de l'art. Ceci dit parfois, on en vient à se demander ce qui cloche chez nous. Comme pour avoir étudié et passé des heures à contempler les œuvres des impressionnistes au Louvre pour poser ensuite mon regard sur un point de couleur au milieu d'une toile blanche estampillée « œuvre d'art » au National Gallery de Londres (avec l'étiquette prix qui fait bondir), il y a de quoi s'interroger. Comme le soulignaient, ci-dessus, avec humour et dérision les Inconnus dans leur célèbre sketch des années 80. Non pas pour dénigrer une certaine forme « d'art-provocation » poussée à l'extrême mais pour rappeler qu'à mon humble avis, c'est surtout l'aspect mercantile disproportionné qu'on lui a sciemment rattaché qui le rend tout à la fois « élitiste » et difficile à saisir pour le commun des mortels. L'art ne devrait-il pas plutôt être intuitif et appréhendé comme tel ? J'aimerais beaucoup connaître votre avis dans les commentaires.
Ey@el
Au cours de l'histoire, l'art a revêtu bien des formes et la manière dont nous le définissons a considérablement changé elle aussi. Selon Platon, l'art était une imitation de la nature et des années durant nous nous sommes raccrochés à ce principe, mais au début du XIXe siècle, ce rôle fut essentiellement repris par la photographie.
Au XXe siècle, l'art abstrait émit l'idée que l'art était bien plus que purement représentatif. L'art est un animal mystérieux dont l'interprétation demeure incroyablement subjective et pourtant, en tant que société, notre cerveau se heurte encore aux confins des limites des murs d'un atelier qui l'empêchent d'exploser à la question : qu'est-ce que l'art ?
Dans ce domaine, il est dit que tout peut être de l'art dès lors qu'un artiste le décide. Pensez à Marcel Duchamp et son tristement célèbre urinoir de porcelaine blanche qui remit en question notre conception de l'art jusque dans son fondement même. Il s'agit des « toilettes qui ébranlèrent le monde » signé R. Mutt et intitulé "Fontaine". Et cela remonte à 1917. Alors devrait-on vraiment s'étonner du fait que certains qualifient d'art des éclaboussures de peinture sur un mur ? Ou quelqu'un restant assis pendant 700 heures d'affilée ?
Fontaine, 1917/1964 Titre attribué : Urinoir
L'original, perdu, a été réalisé à New York en 1917. La réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz, Milan et constitue la 3e version. (Source)
Décider de ce qui fait de quelque chose une œuvre d'art n'a probablement aucun sens d'un point de vue esthétique ou philosophique mais d'une manière ou d'une autre, toute chose devient art dès lors que quelqu'un le décrète. C'est une affaire de pouvoir. Mais constamment remise en question aussi bien par les artistes que les amateurs d'art. L'art doit-il être beau ? Original ? Intellectuel ? Il continue de s'éloigner de ses définitions traditionnelles au point que même une blague peut amener à se poser la question de ce qu'il est vraiment.
Récemment, au musée d'art moderne de San Francisco, deux adolescents ont posé une paire de lunettes par terre dans une réaction de mécontentement envers les pièces exposées. Mais ce qui au départ n'était qu'une simple plaisanterie a pris une tournure plus profonde dans la conversation lorsque des visiteurs ont supposé à tort que les lunettes faisaient partie de l'exposition et ont commencé à les photographier en se demandant ce que pouvait bien être cette œuvre « d'art » moderne.
Un des deux jeunes âgé de 17 ans, T. J. Khayatan a pris des clichés de la réaction du public et les a mis en ligne sur Twitter où ils ont fait le buzz avec plus de 40.000 partages.
Tout en provoquant l'hilarité, cette blague a probablement attisé la question du mystère de l'art et ce qui pousse les gens à percevoir une paire de lunettes comme une œuvre d'art du simple fait qu'elle ait été placée dans un espace dédié.
Un autre gros coup de coeur artistique en provenance d'Argentine. Manifestement, le style graphique aux lignes très épurées de Gastón Viñas — sur lequel je n'ai pu trouver d'informations hormis l'essentiel (son art) — n'est pas sans rappeler les animations de Gerald Scarfe pour le film Pink Floyd The Wall qui m'avaient tant impressionnée à l'époque. Il semble aussi beaucoup s'inspirer des univers de Tim Burton, Neil Gaiman, Lewis Carroll et des designs de Stanley Donwood. L'imagerie torturée des textes de Thom Yorke, Roger Waters, Muse, Cure et autres artistes de la même veine est également très présente dans ses dessins. C'est d'ailleurs grâce aux deux clips alternatifs de Radiohead qu'il a réalisés ("2+2=5" et "A Wolf At The Door") que je l'ai découvert.
Au-delà des mots, bien futiles, le clip promotionnel, ci-dessus, conçu pour 081, le nouveau roman d'un certain Luca Delgado, offre un bel aperçu de son talent. Tout comme cette sélection d'images issues de sa page Facebook : des univers très sombres, surréalistes, fantasmagoriques et terrifiants, entachés d'hémoglobine, pour se raconter des histoires à se faire très peur.
Dehors le monde s'était mué en brume tourbillonnante et informe qui ne recelait ni silhouettes ni ombres. La maison semblait s'être déformée et en quelque sorte étirée. Coraline avait l'impression qu'elle s'était accroupie pour la toiser, comme si ce n'était pas vraiment une maison, mais une idée de maison. Et le créateur de cette idée n'était pas quelqu'un de bien — Coraline en était certaine.
Un artiste est-il uniquement quelqu'un qui peint, joue d'un instrument, cuisine ou bien écrit ? Un artiste produit de la beauté par la maitrise d'un certain talent. Vivre en utilisant un savoir-faire, c'est vivre comme un artiste — une activité qui se limite généralement à quelques heures par jour, lesquelles s'opposent au reste de l'existence où règnent la monotonie, le désordre, le conformisme ou le conflit. Est-ce donc vraiment cela être un artiste ?
Un homme qui joue de la guitare en quête de notoriété n'est pas intéressé par sa musique mais uniquement par l'exploitation de son talent dans le but de devenir célèbre. Le « moi » prend alors le pas sur la musique, ce qui est le cas pour le peintre ou l'écrivain attiré par l'argent ou le prestige. Ces gens sont doués dans des domaines particuliers mais ils font fi de tout le reste que constitue le vaste domaine de la vie.
Alors comment mène-t-on une existence empreinte de talent et de beauté ? Vivre est une activité en soi tout comme jouer d'un instrument, sculpter, tisser ou bien écrire. Lorsqu'elle devient source de chagrin, de friction, de jalousie, de cupidité ou de conflit, elle perd toute subtilité.
La question n'est donc pas de savoir qui est artiste mais si baser sa vie sur un talent artistique ou sur la beauté est à la portée de tout un chacun.
Nous ne pouvons pas nous contenter de ne cultiver qu'une petite parcelle de cet immense champ de la vie en guise d’échappatoire pour la beauté et la joie que nous en retirons. Nous devons le prendre en compte dans son intégralité.
Être artiste, c'est être totalement conscient et exercer son savoir-faire dans le domaine de l'existence pris dans son ensemble. N'importe quel type de travail peut se révéler source d'art — ce qui importe, c'est d'être éveillé. L'êtes-vous par les circonstances ? Par des défis, des week-ends organisés, la pratique d'un instrument ou une réunion entre amis ? Confronté à un évènement — une cause — qui vous éveille vous en devenez alors dépendant. Et lorsque l'on dépend de quelque chose, on s'autorise à être mis en veille. La dépendance signe donc la fin du talent, de l'art.
L'amour est la seule chose qui soit sans cause — libre. Il est beauté, talent, art. Sans amour, il ne peut y avoir d'art. Lorsqu'un artiste joue avec brio, il n'est nullement question du « moi ». Le talent en action, c'est l'absence du « moi », de l'ego. L'art est l'absence du « moi ». L'art est l'absence du « moi » dans l'existence, l'amour inconditionnel, la beauté et la création, ce qui s'appelle vivre avec talent dans le vaste champ de la vie.