Ici et seulement Ici (2)

Le pourcentage de vécu

EYAEL : Dans ce livre, on sent vraiment  que tu vas chercher très loin dans l'émotionnel et qu'il y a forcément une grande part de vécu là-dedans. Quel pourcentage d'après toi ?

CHRISTELLE DABOS : Les chiffres, c'est pas du tout mon truc donc je ne vais pas me hasarder vers un pourcentage. Mais je pense qu'il n'y a pas une seule page du livre qui ne contienne pas une allusion  à quelque chose que j'ai soit vécu directement ou dont j'ai été témoin et qui m'a marquée. Après, c'est très transformé parce que tout ne m'est pas arrivé textuellement et parce qu'il y a quand même une dimension magique dans ce texte. J'ai puisé joyeusement dans ce vécu-là.

C'est vrai qu'il n'y a pas très longtemps, j'ai l'occasion de lire un extrait du livre alors que je ne l'avais pas relu depuis et je suis dit, « oh, c'est moi qui ai écrit ça ? Ah oui, c'est vrai. C'est chaud quand même ! » En fait, avec le recul, c'est vrai que c'est quand même assez fort de café. Au moment de l'écriture, ce n'était pas vécu du tout pareil. Et c'est là que j'ai remarqué un décalage extrême entre ce que moi j'ai ressenti à l'écriture et la façon dont ça a pu être vécu du côté de la lecture.

Je sais que dans la toute première version, quand j'avais voulu écrire une histoire sur le collège avant la Passe-Miroir, j'avais clairement un parti pris. Je pense que j'avais de la rancœur. Un mélange de rancœur et de culpabilité. Et j'avais envie de régler des comptes, ce qui est une très mauvaise raison. Et heureusement, ça ne s'est pas fait. De toute manière, très vite, ça sonnait faux à l'intérieur et très vite, je me suis arrêtée.

Alors que là vraiment, lorsque ce livre m'est venu, je n'avais pas envie du tout de régler mes comptes mais plutôt de voir les choses de leur point de vue. Je me dis que peut-être ce n'était pas si facile non plus, que c'est une sorte de jungle finalement, et que c'est un mécanisme de défense comme un autre.

Alors après, je n'irai pas jusqu'à cautionner tout. Mais comprendre un autre point de vue que le sien, je pense que c'est ça qui m'a le plus libérée. C'était de sortir de moi,
de ma petite histoire personnelle, me désengager de ça. Me dire, « OK, je vais revenir dans l'arène mais avec d'autres points de vue qui n'étaient pas forcément les miens et tous les personnages ne me correspondent pas. »

Les personnages n'ont rien à voir avec moi mais ça me permet tout d'un coup de voir les choses différemment. C'est un autre angle de vue et on peut comprendre. Ce qui ne veut pas dire cautionner. Il n'y a pas de jugement. Disons que ce n'est pas autobiographique qu'au sens strict. Sinon j'aurais fait un récit de vie et personnellement, j'aurais trouvé ça beaucoup moins intéressant.

Mais le but, c'était effectivement de sortir du prisme étroit de ce que moi, j'avais vécu, la façon dont j'avais perçu et de me demander, « tiens, ces personnes que j'ai côtoyées, comment de leur côté, c'était perçu ? Comment ça a été vécu ? » Et pour moi, l'incarner du point de vue de l'écriture, ça a été passionnant. Je me suis dit, « tiens, là vraiment, je sors complètement de ma petite histoire personnelle et ça devient plus vaste que moi toute seule ».

Ça veut pas dire forcément que je vais taper juste mais j'essaye. J'essaye de voir des choses sous un autre angle que le mien au sens strict.

Influences

EYAEL : Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec Ça de Stephen King. Même si les univers sont différents, les thématiques sont les mêmes à savoir les adultes qui ferment les yeux et manquent totalement de présence ; les cycles qui se répètent ; les disparitions ; et même quelque chose de similaire aux fameuses « chiottes de l'enfer ».

CHRISTELLE DABOS : Alors, je dois faire une confession, je n'ai lu, je crois, aucun roman de Stephen King. Je pense que le seul que j'ai lu, c'est son essai sur l'écriture.
En fait, je connais très très mal son univers. Mais c'est troublant. Vraiment troublant.

EYAEL : Ça m'a aussi fait pensé à Haraki Murakami, un auteur japonais que m'a fait découvrir un ami — parce qu'on est en plein réalisme et pourtant on glisse sans s'en rendre compte vers une dimension un peu surnaturelle sans pour autant être dans un roman fantastique à proprement parler. La frontière entre les deux est vraiment ultra floue.

CHRISTELLE DABOS : Pour la dimension surnaturelle, je m'en suis pas rendu compte sur le moment. Ce n'est qu'après coup quand on m'a posé la question. On m'a dit, « Mais en fait, c'est quoi le genre du livre ? » Donc avant même que ça sorte en librairie, avec Gallimard Jeunesse, on s'est beaucoup interrogés. Et en fait, c'est vrai, c'est quoi ?

Et en réfléchissant, j'ai pensé au réalisme magique qui est un courant littéraire sud-américain. Et en fait, lorsque j'étais étudiante, j'ai fait quelques années d'études d'espagnol et j'ai lu des romans issus de ce courant littéraire. Je pense à notamment Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Je pense qu'on peut y inclure la Maison aux esprits d'Isabel Allende. Et il y a un roman que j'ai adoré qui s'appelle Maison de campagne de José Donoso qui a cette atmosphère … exactement ce genre de lieu clôt où il y a une sorte de cohabitation entre une réalité très dure, très crue, et une dimension, un petit pas de côté qui fait qu'on se pose la question de l'interprétation — de se dire, « Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est vraiment cette dimension surnaturelle ? Ou est-ce que ce sont les personnages qui partent dans un délire ? » C'est très difficile de trancher. Et moi j'adore ça. Cette incertitude.

Mais l'incertitude n'est pas toujours bien vécue. Je pense qu'il y a des lecteurs qui préféreraient que ce soit plutôt tranché et que ce soit dit. Le fait, qu'en quelque sorte, ce soit à eux de décider, il y en a certains qui aiment et d'autres qui n'aiment pas du tout. Je pense que je ne ferai pas toujours systématiquement les mêmes fins mais là, en l'occurrence, pour moi, ça avait du sens. Après, c'est comme une sorte de balance et que je la fait quand même pencher plus d'un côté que de l'autre. Mais voilà, les fins complètement fermées ou qui apportent des réponses très binaires, ce n'est pas là où je me sens le mieux. J'ai envie de proposer autre chose.

Les personnages

EYAEL : Vincent et Sofie sont, pour moi, les deux personnages les plus importants dans cette histoire dans le sens où ils font vraiment évoluer les autres ainsi le récit lui-même. Pourtant, il ne font pas partie des narrateurs de ce roman choral. Était-ce intentionnel ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, avec le recul mais pas au moment de l'écriture, je me rends compte qu'en fait, je ne parle pratiquement que de binômes.

Parce que pour le personnage d'Iris, toute son histoire est par rapport à sa sœur — sa frangine ; pour Madeleine, c'est par rapport à Louise ; pour Guy, c'est par rapport à Sofie ; et pour Pierre, c'est en fonction de Vincent. Et là je me suis dis, « tiens, mais tous les personnages, en fait, se construisent aussi par rapport à un autre personnage ».

Et comme tu dis, les personnages de Vincent et de Sofie sont hyper intéressants. Ils proposent autre chose. Quelque chose qui sort complètement des codes du collège. Et quelque part, ils sont dans une zone un peu dangereuse. En l'occurrence, Vincent met en danger Pierre. C'est à la fois fascinant et dangereux.

Et Sofie, c'est la voie du milieu. C'est un de mes personnages préférés. Je pense que j'aurais adoré avoir une Sofie dans ma classe au collège. Elle voit clair. Elle voit que c'est une sorte de grande illusion finalement, que tout ça est un jeu — une sorte de pièce à théâtre où chacun a un rôle. Elle dit, « OK, non, c'est un jeu. C'est juste que moi, je ne rentre pas dedans. »

EYAEL : Les personnages ont tous des prénoms très évocateurs par rapport à ce qu'ils sont.

CHRISTELLE DABOS : Pour la Passe-Miroir, j'avais choisi tous les noms des personnages à l'oreille parce que ça sonnait bien. Et après, on s'est rendu compte que ça avait énormément de sens du point de vue étymologique et ce n'était pas voulu du tout. Ou alors, effectivement, c'est mon inconscient qui était sur le coup.

Là, je me suis dit, « non, je veux vraiment choisir les prénoms de façon extrêmement consciente et assumée ». Et je sais pourquoi je leur donne à chacun ce prénom-là.

EYAEL : Donc pour Iris, c'est celle qui voit tout…

CHRISTELLE DABOS : C'est exact !

Sofie m’a écouté avec… comment on dit déjà ? intensité. On dirait qu’elle touche mes mots de toute sa peau et qu’elle capte quelque chose par-dessous, un genre de sens caché qui moi m’échappe complet. J’écoute vraiment pas comme elle.

~ Guy

EYAEL : Sofie, la voix de la sagesse… Mais pourquoi avec un "F" ?

CHRISTELLE DABOS : Pour Sofie, j'avais fait une recherche. Je voulais juste connaître le nom le plus donné au monde pour les filles. Et il y avait Sofie, Sofia mais avec un F du coup, le PH étant extrêmement français. Je voulais que ce prénom soit le plus universel possible.

Je suis l’impair, le valet de pique, le pouilleux et personne peut me reprendre ça.

~ Pierre

EYAEL : Pierre, la dureté ?

CHRISTELLE DABOS : Alors, pour le personnage de Pierre, c'est le nom du valet de pique dans le jeu de cartes. En fait, je savais que les figures des jeux de cartes avaient des noms. Je connaissais ceux des rois et des reines mais pas des valets. Et quand j'ai vu que Pierre était celui du valet de pique1, je me suis dit, « alors là c'est parfait ! »

Par contre, c'est côté français. Je pense que ce n'est pas le même nom pour l'international2. Donc, ça, je crois que malheureusement, quand ça a été traduit, ils ont conservé les prénoms français. Ça aurait pu avoir du sens d'adapter les traductions en fonction des pays. Après, ce n'est pas très grave.

Pour Pierre, du coup, effectivement, ça tombe plutôt bien, parce que comme il est tout le temps voûté, il a ce côté un peu roc qui se pose là.

Et les coups, j’aime déjà pas particulièrement les donner, alors les recevoir…

~ Guy

EYAEL : Guy, le parasite ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, pour la classe de Guy, je me suis énormément inspirée
de Robin des Bois. C'est vraiment une classe où il y a ces deux clans — ceux d'en haut et ceux d'en bas — avec cette collecte, ces impôts très lourds. Sauf que c'est une classe de Robin des Bois mais sans Robin des Bois.

Par contre, dans la légende de Robin des Bois, il y a un personnage un petit peu difficile à caser qui s'appelle Guy de Gisbourne et qui, en fonction des versions, est soit un mercenaire ou un cousin du shérif. Mais il est un petit peu ambivalent. On ne sait pas trop parfois dans quel camp il se positionne. Et pour ce personnage-là, je me suis dit, « tiens, lui, clairement, c'est pas un Robin des Bois ».

C'est pour ça que, d'ailleurs, il y a la figure du Prince. C'est vraiment le prince Jean.

C’est soit elle, soit moi ; il ne peut pas y avoir deux Choisies Ici.

~ Madeleine

EYAEL : Madeleine, comme Marie-Madeleine, la martyre ?

CHRISTELLE DABOS : Alors pour Madeleine, je me suis vraiment inspirée de Sainte Marie-Madeleine que dans ma tête, j'ai mixée — mais ce n'est pas dans le prénom — avec Jeanne d'Arc. Ce sont vraiment deux figures de saintes qu'on peut fusionner en une.

Vincent fredonne pendant toute la trigo. La haine qui embourbe la classe n’a aucune prise sur lui. C’est une île, Vincent, ça l’a toujours été ; du pacifisme en chair et en os, mais surtout en chair. Séparément, on est des impairs. Ensemble, on est rien.

~ Pierre

EYAEL : Vincent me fait penser à Saint Vincent, mort en riant et en chantant des supplices qu'on lui a infligé.

CHRISTELLE DABOS : Ah, non, je ne savais pas. Alors, pour Vincent… je ne sais plus pour la classe de Pierre. C'est un nombre forcément impair, je crois qu'il y est dans une classe de 25. Et en fait, Vincent, c'est tout bête : c'est 20-100. C'est un nom-chiffre. Il y a des noms, comme ça. C'était vraiment une question de chiffre aussi pour que dans cette classe-là, Pierre se retrouve impair.

Notre preuve de la distorsion du champ de réalité intra-muros est une substance non identifiée que nous avons appelée « le schmoïlle ». Le schmoïlle est à l’origine même de la fondation du Club Ultra-Secret, lorsque Numéro Un a découvert son existence forti… fortuitement dans un caniveau du collège qui évacue les eaux usagées. Le schmoïlle a ceci de sépi… spéfi… spécifique qu’il ne s’écoule dans le caniveau qu’une seule et unique fois par semaine, toujours un jeudi et toujours à 14 h 28 très exactement, mais jamais pendant les vacances scolaires.

~ Le Club Ultra-Secret

EYAEL : Et le Club Ultra-Secret sont un peu « complotistes », non ? En ce sens où qu'ils se posent plein de questions, investiguent et remarquent toutes les choses bizarres que les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir. Cette histoire avec le « schmoïlle », notamment, ne pourrait-elle pas faire penser à la pollution des nappes phréatiques ?

CHRISTELLE DABOS :  En fait, moi-même quand j'étais enfant — c'était juste avant d'entrer au collège, avec mon petit frère et mes voisins, on explorait un peu notre quartier et on est tombés sur une substance hyper bizarre dans un ruisseau. Et pour nous, ça ne faisait pas un pli : c'était soit des extraterrestres, soit une substance fantomatique. Et comme on venait de voir SOS Fantômes au cinéma…

Le truc, c'est qu'on ne se rappelait pas du terme. Le véritable terme, c'était « slime ». Mais nous, on l'avait oublié. Et du coup, c'était devenu « schmoïlle ». On l'a complètement déformé. On a pris des échantillons dans des tubes. Mon voisin avait la boite du Petit Chimiste et il a procédé à des expériences pour voir « tiens, si je mélange avec ça… »

Bon, ça rien donné, hein ! Mais s'il vous plaît, ne faites pas ça chez vous. Si vous trouvez une substance bizarre dans un ruisseau, ne touchez pas à ça !

On ne se rendait pas compte.

Je dois avouer que c'était vraiment un souvenir d'enfance que j'ai ré-injeté. Honnêtement, pour qu'on tombe sur cette substance bizarre, mes voisins, mon frère et moi, quand même, c'est qu'il y a un problème. Des enfants ne devraient pas tomber sur des substances ainsi hautement suspectes.

J'avoue que j'ai beaucoup rigolé avec le Club Ultra-Secret. Ils m'ont bien fait rire.

D'ailleurs, entre parenthèses, on ne connaît jamais leurs noms. C'est vraiment Numéro Un, Numéro Deux, Numéro Trois, Numéro Quatre… Et du coup, par conséquent, je ne voulais pas non plus qu'on connaisse forcément leur genre. Je ne précise jamais, à part pour le Numéro Trois. Et à cette exception près, pour les autres, on ne sait pas si ce sont des garçons ou des filles. Je ne le précise pas et ce n'est pas important.

Ceci dit, la question, c'était posée pour le livre audio parce que comme ils avaient engagé des comédiens — il me semble qu'il y avait une voix de fille. Mais voilà, moi à la base, comme c'était écrit, je me disais comme ça, on ne connaît pas du tout leur identité et ce n'est pas important.

Mais par contre, ils vont vraiment très, très loin dans leur réflexion. Et parce que là aussi, il y a cette dimension autobiographique. Moi, quand j'avais 13 ans — c'est l'année où je suis tombée sur des livres dans la bibliothèque de ma grand-mère où je me suis dit, « oh la la ! » Pour moi, si quelque chose était écrit dans un livre, c'était forcément vrai. Il y avait absolument zéro esprit critique de ma part. Si c'était écrit, si c'était imprimé, c'était forcément une vérité.

Je suis tombée sur des livres qui parlaient de toutes sortes de sujets ésotériques. Il y avait vraiment de tout. Et du coup, j'ai eu une phase adolescente où je voyais vraiment des signes partout. Pour moi, c'était le petit mix entre Madeleine et le Club Ultra-Secret. J'étais vraiment dans ces trucs-là.

Et là où je suis amusée avec eux, c'est que quelque part, ils n'arrêtent pas de prédire une apocalypse mais ils y participent. Ils restent dans les coulisses mais quelque part, ils ne sont pas si observateurs neutres que ça.

C'est vrai que l'humour va être très important. Ce n'est pas ce que j'ai écrit de plus léger, je dois dire, mais l'humour… Indépendamment d'eux, pour moi, il y avait des choses que j'ai écrites dans certains textes qui m'ont beaucoup fait marrer. Mais entre moi qui me tape sur les cuisses et le lecteur qui, peut être, se fend vaguement d'un petit sourire, il y a sans doute un petit décalage. Mais, bon clairement, avec le Club Ultra-Secret, je suis partie loin. Et j'ai beaucoup ri.

Et à ce niveau-là, j'ai beaucoup aimé ce qui a été fait avec le livre audio. D'ailleurs, toutes les personnes qui ont découvert Ici et seulement Ici en version audio ont toutes en commun qu'elles ont adoré l'histoire (ce qui est effectivement mon cas — Ed.) Effectivement, j'avais écouté les enregistrements et je trouvais que ça restituait vraiment bien l'esprit. Moi, c'est comme ça que je les entendais parler dans ma tête.

À suivre : troisième et dernière partie à paraître prochainement.

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Ici et seulement Ici (1)

J'ai découvert la plume magique de Christelle Dabos en 2013 (cette même année où j'ai créé la Pensine) à l'occasion de la parution des Fiancés de l'hiver, grand gagnant de la première édition du concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard Jeunesse, RTL et Télérama au printemps 2012 et qui s'inscrira, par la suite, dans la quadrilogie de la Passe-Miroir, gros succès international désormais traduit en une vingtaine de langues. Christelle, pour moi, c'est un peu la J.K. Rowling française mais en mieux — sans vouloir aucunement dénigrer les écrits de cette dernière dont je me délecte toujours autant. D'ailleurs, c'est indirectement un peu grâce à Harry Potter si elle s'est lancée dans l'écriture puisqu'à l'origine, elle se plaisait à mettre en scène le Professeur Rogue dans des fanfictions de son propre cru.

J'ai d'abord fait la connaissance de Christelle en 2020, sur un salon littéraire virtuel en ligne durant le confinement. Depuis, nous nous sommes rencontrées en chair et en os, en juin 2023, avant une séance de dédicaces à la librairie indépendante Ici Grands-Boulevards de Paris. Et finalement, ce 29 février dernier, j'ai eu le grand honneur et le grand privilège de pouvoir m'entretenir avec elle, par visioconférence, de son dernier livre, Ici et seulement Ici (dont le titre s'inspire directement de la fameuse librairie parisienne sus-mentionnée), un roman choral inclassable qui emprunte au réalisme magique sud-américain en le transposant à l'univers impitoyable du collège.

Je vous invite donc à visionner ce petit docu-interview vidéo sur lequel j'ai passé tant de jours et de nuits, beaucoup de galères informatiques étant venues plomber mon travail de montage. J'espère de tout cœur qu'il vous donnera envie de lire le livre ou d'écouter sa version audio. Je vous retranscris également ci-dessous (en trois parties au vu de sa longueur) l'intégralité de cet entretien que j'ai quelque peu remis en forme par rapport à la version orale pour un meilleur confort de lecture. Vous y trouverez même un passage bonus (Réactions des uns et des autres) que j'ai dû couper au montage afin de rester dans un format d'une trentaine de minutes.

Par-dessous la peinture, le plâtre et le ciment, à l'intérieur des murs, au fond de l'invisible, je perçois quelque chose que j'arrive pas encore à nommer, quelque chose de foutrement féroce qui habite le collège tout entier et qui me rentre dans les os. Qui fera bientôt partie de moi.

Iris

Virage à 180 degrés

EYAEL : Ici et seulement Ici est radicalement différent de la Passe-Miroir. Tant au niveau de l'univers, des personnages mais aussi de la narration, du langage. Était-ce par volonté délibérée ou un simple caprice de muse ?

CHRISTELLE DABOS : Ça, c'est vraiment imposé de soi.

En fait, je n'ai pas écrit Ici et seulement Ici directement dans la foulée après la Passe-Miroir. Ce qui s'est passé, c'est qu'après avoir terminé le quatrième tome dont l'écriture avait été très intensive, je m'étais promis de prendre une année sans parce que là, j'étais vraiment au bout du rouleau. Et je n'ai pas tenu 24 heures !

Le lendemain de la sortie en librairie du dernier tome de la Passe-Miroir, j'écrivais déjà. Sauf que ce que j'écrivais, ce n'était pas Ici et seulement Ici. C'était un autre roman. Et déjà, dans ce roman, je faisais déjà des expériences de laboratoire. Je me suis dit, « allez, maintenant, j'ai vraiment envie de tester d'autres choses ». Donc écrire à la première personne, au présent, avec un langage plus oralisé, différents narrateurs… Rien qu'au niveau formel, je me suis dit, « allez, on va vraiment casser le moule de la Passe-Miroir ». Pouf ! On casse et voilà, on fait des expériences.

Et ce roman-là, en fait, je l'ai mis sur pause un moment parce que j'étais en plein déménagement durant la période du confinement. Et c'est ce déménagement qui a fait éclore Ici et seulement Ici. Il n'était pas du tout prévu au programme. Vraiment pas !

En fait, c'est tout bête : j'ai déménagé devant une école. Au début, ça a fait remonter des souvenirs. D'abord des souvenirs d'école primaire qui chez moi étaient plutôt joyeux, lumineux, très légers. Et puis, comme la mémoire a son chemin linéaire, j'ai glissé, tout d'un coup, vers mes années-collège et je me suis dit, « ah ouais, là, il y a quelque chose ».

Et durant cette période de déménagement, je me souviens j'étais dans les cartons, je n'arrivais plus du tout à écrire de façon très structurée. Donc je me suis dit, « c'est pas grave, j'ai quelque chose qui a  très envie de se raconter et ça va sortir comme ça sort ».

Et je pensais pas du tout à l'édition. Je n'y pensais pas du tout. Je n'avais pas de public cible. Je ne suis pas dit, « voilà, c'est un nouveau projet que je vais soumettre ». Je ne suis pas du tout posé la question, c'est arrivé comme ça.

Et je me suis dit, « c'est pas grave, je vais écrire une petite nouvelle sur un personnage ». Puis un deuxième personnage est apparu ; puis un troisième ; puis un quatrième… Et ça a fait une sorte d'alternance. je n'ai fait aucun plan. Je n'ai pris aucune note et ça s'est écrit d'un bout à l'autre.

Honnêtement, c'est la première fois que ça m'arrive sur un projet littéraire.

Publier ou ne pas publier ?

EYAEL : Et donc à aucun moment, tu ne comptais le publier ?

CHRISTELLE DABOS : Ah ça, j'y ai pensé mais une fois que je l'ai eu terminé.

Et en fait, même une fois que je l'ai eu terminé, je me suis dit, « bon, il y a ce truc qui m'est sorti du corps. Qu'est-ce que je vais en faire ? »

Je ne me suis même pas précipitée tout de suite. J'ai laissé le texte reposer un petit peu. Et en fait, à ce moment-là, je venais tout récemment de prendre une agence littéraire. Et j'ai dit, « tiens, on peut démarrer avec elle sur ce projet-là ». Je lui ai soumis et c'est comme ça que c'est rentré dans les mécanismes éditoriaux.

Mais je dois tout à fait être honnête, en réalité, je pense que je n'étais pas pressée de me remettre là-dedans. Parce que bon, l'air de rien, avec la Passe-Miroir — il y a eu énormément de bons côtés, et ça vraiment, je ne peux pas le nier. Mais il y a eu aussi une pression psychologique très forte, très intense.

Et lorsque ce confinement est arrivé, moi, j'étais dans une petite parenthèse dorée. Je me suis dit, « bon, de toute manière, comme tout est en pause, il n'y a pas d'autre choix que de se poser là ». Pour moi, ça a été l'écriture.

Et en fait, j'étais très bien dans ma petite parenthèse. Je savais que ça ne pouvait pas durer éternellement mais ça a été un moment d'apesanteur. Je savais qu'en remettant un livre dans les rouages éditoriaux, que j'allais à nouveau rentrer dans cette … pas forcément la mécanique éditoriale en elle-même mais tout simplement le fait que voilà, il y a des lecteurs et des attentes. Surtout pour l'après Passe-Miroir.

Déjà pour la Passe-Miroir, je n'arrivais à écrire que si je faisais abstraction. Donc, il fallait que j'arrive à me mettre dans une bulle pour écrire sinon ça ne fonctionnait pas. Et ça, c'était très difficile à atteindre. Il y a des moments où je n'y arrivais pas parce que il y avait trop de choses.

Donc là, je n'ai pas du tout eu à me forcer. J'étais déjà dans cette bulle-là. Et en plus, ce texte m'est arrivé comme une sorte de d'évidence, de pulsion libératrice
qui disait, « bon, il y a un truc là ».

Réactions des uns et des autres

EYAEL : Comment le livre a-t-il été accueilli par les lecteurs de la Passe-Miroir mais aussi par Gallimard Jeunesse quand tu leur a soumis le projet ? Tu n'avais pas un peu peur de leur réaction ?

CHRISTELLE DABOS : D'abord, la réception par l'éditeur où effectivement, je me suis posé la question. Je me suis dis, « je prends un sacré virage par rapport à la Passe-Miroir, est-ce qu'ils vont me suivre ? »

Eh bien oui. Vraiment, les yeux fermés. Ça n'a même pas fait l'objet d'une discussion où on m'aurait dit « oui, bon, effectivement… » Il n'y a rien eu à négocier par rapport au texte. Dès qu'il a été lu, il a tout de suite été accepté et adopté tel quel par Gallimard Jeunesse.

Et le responsable éditorial m'a téléphoné, il m'a dit, « Christelle, honnêtement, je n'aurais pas su que c'était toi, je ne l'aurais jamais deviné. ». Il a dit « je suis stupéfait. »

Donc surprise plutôt dans le bon sens. Du coup, ils avaient très envie de se lancer. On a vraiment une bonne entente littéraire avec Gallimard Jeunesse. On est assez raccord et donc au niveau éditorial, il n'y a eu aucun accroc.

La grande question, c'était maintenant la réception du public. Comment cela allait-il être reçu de ce côté-là ?

Alors c'est particulier parce que je pense que le qualificatif qui a été employé à l'unanimité, c'est OVNI.

Je pense que les gens ont eu beaucoup de mal à le classer. Pour certains, c'était dans le bon sens et pour d'autres, c'était trop déconcertant. C'est très difficile à évaluer ainsi mais déjà, je m'étais demandé combien de personnes qui avaient lu la Passe-Miroir allaient me suivre dans ce nouveau projet.

En fait, c'est juste une fraction. Ceux qui me connaissaient à travers la Passe-Miroir ne se sont pas forcément précipités en se disant « tiens, c'est le nouveau roman de Christelle Dabos ». Je pense qu'ils voyaient bien que ce n'était pas la Passe-Miroir. Finalement, c'est déjà une fraction assez minime de l'ensemble de mon lectorat qui est allée pousser la porte de ce Ici. Et parmi ceux-là, ça a été assez divisé.

Il y a ceux qui se sont dit « oh la la, on est très perplexes, on ne sait pas ce qu'on a lu, c'est très déconcertant et du coup, on ne sait pas si on a aimé ou pas » et pour qui, de fait, ça a posé quelques problèmes. Sans compter que ça pouvait aussi faire remonter des souvenirs.

Il y en a certains pour qui l'école n'était pas confortable. Ce que je peux parfaitement entendre. Et ceux pour qui c'étaient en fait les mêmes choses : « Oui, on peut pas le classer. Oui, on est déconcertés mais on aime ça. On aime avoir été surpris ». C'est plutôt dans ce sens-là.

À ce niveau-là, je trouvais ça assez normal. Là où j'ai été étonnée et où je ne m'étais peut-être pas préparée, c'est que j'étais un peu partie du principe que les professionnels du livre allaient me suivre comme ils l'avaient fait sur la Passe-Miroir.

Une des raisons qui ont fait que ça a si bien marché, c'est parce qu'au niveau des librairies, des bibliothèques, des enseignants — vraiment tout le circuit, ils s'en sont tous emparé et l'ont tous défendue sur le terrain.

EYAEL : Et les influenceurs ? Parce que je n'ai pas trouvé grand chose sur Ici et seulement Ici.

CHRISTELLE DABOS : Et les influenceurs, bien sûr. Il y a eu une rencontre avec cinquante influenceuses — je mets au féminin parce que je crois qu'il n'y avait un seul garçon contre quarante-neuf, ce jour-là. C'était une rencontre organisée dans le cadre du lancement du livre par Gallimard. Mais sur les cinquante, je ne pense pas que chacune ait fait une chronique. Et chez celles qui l'ont fait, je sais pas dans quelle mesure ça a beaucoup circulé.

Mais celle qui m'avait aussi donné un bon coup de pouce pour la Passe-Miroir, c'était Émilie Bulledop, une influenceuse avec une énorme communauté derrière elle qui m'avait fait une publicité phénoménale. Ça aide quand on a quelqu'un comme ça
qui fait ce boulot-là, je l'ai bien vu.

Donc là, j'ai senti que le projet était moins porté par d'autres personnes que moi et Gallimard Jeunesse. Aussi, je me suis rendu compte en allant en librairie, en bibliothèque, en échangeant avec les professionnels que certains ont complètement pris le virage. Ils ont dit, « Voilà, nous, on a adoré ce virage complètement inattendu ».  Tandis que pour  d'autres, c'était : « Ben le livre, il ne donne pas envie d'être élève. Il ne donne pas envie d'être enseignant. Et il touche à des sujets très touchy. Moi, personnellement, je ne le conseillerais pas aux personnes trop sensibles. »

EYAEL : Dans ses livres, la psychologue Christel Petitcollin distingue les sur-efficients des normo-pensants en ce qu'ils disposent d'un câblage neurologique totalement différent et explique notamment qu'une grande majorité de gens chercheront à fuir leurs angoisses existentielles à tout prix à l'opposé de cette minorité dotée d'un cerveau effervescent qui fonctionne en arborescence plutôt que de manière linéaire. Ce qui pourrait sans doute expliquer ces réactions aussi tranchées de part et d'autre.

CHRISTELLE DABOS : Effectivement, il y a déjà le fait que nous ne sommes peut-être pas tous égaux face au rapport à la peur et que nous n'en sommes pas tous au même stade du chemin. Par exemple, avant la Passe-Miroir, j'avais essayé d'écrire sur ce sujet-là et ça avait été un échec total. Parce que je savais… je pense que je sentais déjà…

Il y a plusieurs années, je m'étais dit, « tiens, j'ai vraiment envie d'écrire une histoire qui se passe dans un collège et d'aborder certains sujets ». Et alors que c'était infiniment plus soft que ce que j'ai fait avec Ici et seulement Ici, malgré tout, je me suis sentie mal à l'aise. Très vite, je me suis dit, « non, vraiment, je ne peux pas, je ne suis pas prête ». Et c'est après le processus de la Passe-Miroir, tout ce par quoi je suis passée… Parce que la Passe-Miroir a été un très long processus : entre le premier et le dernier tome, pour moi, ça a été douze ans de vie — mais ça a aussi été un terrain où j'ai pu rencontrer beaucoup de peurs. Les rencontrer et les embrasser.

Et donc une fois passée par ce très long processus,  là j'étais prête. Mais je peux comprendre. Je peux comprendre que tout le monde n'en soit pas à ce moment-là. Je pense que pour un livre, il y a le bon moment. Il y a certains livres qu'on ne peut pas lire avant et qu'on ne peut pas lire après. Il y a un moment exact pour les lire. Et là, c'était le moment.

À suivre : deuxième partie à paraître prochainement

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Prière à Saint Patrick

Ô Saint Patrick, viens à nous ! 
Les vilains Leprechauns 
Sont devenus complètement fous 
Et sèment le dawa dans tout le Royaume. 
Ces démons sans foi ni loi 
Qui se défient de toi, 
Défont les lois Et filent les foies. 
Ils ont tout peint envers 
Et il n'y a plus d'endroit. 
Tout va de travers, 
Il n'y a plus de droit. 

Ô Saint Patrick, réveille le monde ! 
Secoue les légions d'endormis, 
Sors-les de leur hypnose profonde 
Pour faire face à l'Ennemi. 
Arrache-leur leurs œillères 
Avant que ces va-t-en-guerre, 
Hors de nos frontières, 
N'aillent titiller l'Ours dans sa tanière. 
Qu'ils ne voient plus tout envers 
Et contre nous. 
Que l'appel de la Lumière 
Soit plus fort que tout.

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5.000 inventions en suspens et « au secret » à l'office des brevets américain

J'ai écrit et posté cet article en 2018. Je l'ai récemment révisé et confirmé l'importance de cette information recueillie par Steve Aftergood.

Des décennies durant, le gouvernement a été accusé de dissimuler la technologie avancée. C'est un indice sérieux. Un truc dans le dossier sur le dossier. C'est juste une minuscule pièce du puzzle mais qui en dit long quand on y pense.

Le monde s'éveille à la censure de l'information opérée par la presse, les corporations et le gouvernement. Ce que nous avons là ressemble à une politique du gouvernement américain consistant à censurer certaines inventions — des inventions révolutionnaires.

Voici mon court article de 2018 :

Combien de ces brevets, si accordés, pourraient changer la donne pour cette planète ? Qui sait ?

Bouclez vos ceintures, c'est parti.

Extrait d'un article de la FAS (Fédération des scientifiques américains) intitulé "Le secrets des inventions toujours en vigueur", publié sur Secrecy News le 21 octobre 2010 par Steve Aftergood :

« À la fin de l'année fiscale 2010, il y a eu 5.135 inventions mises au secret » a confié, la semaine dernière, l'office des marques et brevets américain à Secrecy News.  C'est 1% de plus que l'année précédente et le plus grand pourcentage sur plus d'une décennie.

En vertu de la loi de 1951 sur le secret d'invention, les demandes de brevet pour de nouvelles inventions peuvent être assujetties à une mise au secret restreignant leur publication si les agences gouvernementales estiment que leur divulgation risque d'être « préjudiciable à la sécurité nationale ».

La liste actuelle des domaines technologiques servant à évaluer les demandes de brevet susceptibles de restrictions en vertu de la loi sur le secret d'invention n'est pas accessible au public et a été refusée en vertu de la loi sur la liberté d'information. (Un appel est en cours.) […]

La plupart des domaines technologiques recensés sont étroitement liés aux applications militaires. Mais certains s'étendent bien au-delà.

Ainsi, pour 1971, la liste indique que des brevets pour des générateurs photovoltaïques étaient soumis à examen avec restriction potentielle QUAND L'EFFICACITÉ DES PHOTOVOLTAÏQUES EXCÉDAIT 20%. De même, les systèmes de conversion d'énergie étaient soumis à examen avec restriction potentielle QUAND LEUR RENDEMENT DE CONVERSION EXCÉDAIT 70 À 80%.

On est en droit de se poser la question à savoir si la divulgation de telles technologies pourrait réellement être « préjudiciable à la sécurité nationale » ou bien si l'inverse ne serait pas plus proche de la vérité. On pourrait même aller plus loin en se demandant quelles avancées technologiques comparables pourraient être sujettes à restriction et non-divulgation aujourd'hui. Mais nous n'aurons aucune réponse et le système du secret d'invention perdure sans évaluation exterieure en vue.

Si vous êtes de ceux qui soutiennent que la technologie de pointe est dissimulée au public, voici une preuve tangible pour valider votre position.

Et vous pouvez voir que cette technologie énergétique révolutionnaire, qui réduirait drastiquement les besoins en pétrole, serait sur la liste des secrets à ne pas divulguer.

Quoi d'autre sur cette liste ? De vieux brevets de Tesla, par exemple ?

L'office des brevets américain est un goulot d'étranglement officiel pour la « planification sociale » ou plutôt « restriction sociale».

Mais cela ne veut pas dire que les technologies de pointe soient toujours écartées ou sabordées. Les demandes de brevet en hibernation à l'office des brevets peuvent, par exemple, être divulguées discrètement aux chercheurs de l'État engagés sur des projets financés par des caisses noires où il peut être fait un « usage nouveau » de ces données et recherches.

Les ingénieux inventeurs, qui peuvent révolutionner la société pour de bon, courent des risques en soumettant leurs demandes de brevets à l'État. L'un de ces risques est de rester coincés dans les limbes tout en se faisant purement et simplement voler leurs recherches.

Par ailleurs, quand une méga corporation détient une invention recourant au génie génétique des cultures alimentaires et déverse des millions de tonnes de pesticides toxiques dans l'environnement, sa demande de brevet est rapidement examinée par l'office des brevets.

Texte original de JON RAPPOPORT traduit de l'anglais par EY@EL
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Mettre un terme à l'auto-envoûtement

En discutant avec une amie thérapeute qui m'expliquait à quel point le recours aux métaphores pouvait grandement aider les gens à comprendre certains principes autrement abscons pour eux, elle émit toutefois une réserve quant à l'emploi de ces figures de style pour exprimer des émotions. À mon grand étonnement, elle argua que le cerveau ne faisant pas la différence entre le propre et le figuré, ces tournures idiomatiques, que l'on aime tant à répéter pour exprimer des émotions passagères, pouvaient finir par se cristalliser dans la matière sous forme d'affections ou maladies psychosomatiques.

Combien de poignards métaphoriques, par exemple, a-t-elle ainsi dû retirer des corps subtils de personnes se sentant trahies qui s'étaient auto-envoûtées à force de répéter qu'elles s'étaient pris un couteau dans le dos. Mieux vaut donc exprimer clairement et proprement nos états d'être passagers — une émotion est toujours passagère, elle ne définit personne même si, malheureusement, beaucoup d'individus finissent par s'identifier à leur colère ou leur tristesse, rarement à leur joie — car le subconscient ne distingue pas le propre du figuré.

À ce propos, peu importe l'émotion qui vous traverse, ne dites jamais « je suis… » (définitif) mais « je me sens… » (passager). Imaginez que vous ayez passé la journée à déménager et que le soir, tous vos muscles et articulations se rappellent à votre bon souvenir et que la fatigue vous envahit. Ne dites jamais « je suis mort » ou « je suis crevé » ni même « je suis fourbu » mais plutôt « je me SENS fourbu » car votre cerveau ne retiendra que les mots-clefs à savoir « suis/mort/crevé/fourbu ». C'est là le principe même de la loi d'attraction et du pouvoir du verbe.

Bien sûr, une ou deux fois, ce n'est pas suffisant pour vraiment s'imprégner mais vous aurez certainement pu constater qu'à l'instar des tics de langage, les gens ont tendance à répéter sans cesse les mêmes expressions de manière quasi automatique et totalement inconsciente. Et si les autres le font, vous le faites aussi. On le fait tous.

Un exemple que j'entends souvent pour exprimer son plaisir après avoir dégusté un plat particulièrement délicieux : « C'est une vraie tuerie ! » Eh bien, imaginez que vous le répétiez suffisamment à chaque fois que vous mangez quelque chose de bon, il y a de grandes chances pour que ces gourmandises finissent par avoir un effet néfaste sur votre corps car vous pensez que ce sont des « tueries ». Surtout si vous avez déjà d'autres facteurs aggravants. Encore une fois, le subconscient ne sait pas distinguer la réalité d'une suggestion pas plus qu'il ne fait la différence entre les premier et second  degrés.

Ces métaphores qui font sale quand prises au propre

Voici, présentée de façon ludique, une petite compilation non-exhaustive d'expressions courantes pouvant s'avérer délétères si vous les employez trop souvent.

Le dos

Ludo en a plein le dos. Kévin s'échine et Blaise, ça lui pèse.

Au final, tous les trois souffrent de douleurs dorsales. Au sens métaphysique, le dos est la structure sur laquelle nous nous appuyons mais c'est aussi notre bouclier de protection. On fait le dos rond, on courbe l'échine, ou on tourne le dos pour se protéger d'une situation ou d'une personne. Ludo, Kévin et Blaise devraient plutôt se sentir dépassés, agressés, car « se sentir » n'est pas « être » mais juste exprimer une émotion pour lui permettre de sortir de l'ombre sans en faire un état permanent comme lorsqu'on en a plein le dos.

Les genoux

Jean-Loup est sur les genoux, Ursule sur les rotules.

À force de le répéter avec conviction, les pauvres ne peuvent plus marcher car ça bloque au niveau de l'articulation. Le genou est à la fois symbole de flexibilité et d'humilité. Il représente le rapport à l'autre (je/nous) et la souveraineté. Peut-être que Jean-Loup et Ursule ne savent pas dire non ou veulent tout contrôler tous seuls et se retrouvent confrontés dans leur orgueil.

Les pieds

Maïté me casse les pieds.

Du coup, j'ai peut-être des cors qui me font mal, un oignon ou des douleurs dans la voûte plantaire ou au talon. Le pied est avant tout notre point d'ancrage. On attend quelqu'un de pied ferme. Je devrais plutôt me sentir entravée par Maïté, ça m'éviterait le podologue.

Les fesses

Manu en a plein le cul.

Bien fait pour lui s'il a des hémorroïdes ! Le popotin étant la partie charnue sur laquelle on s'assoit et prend sa place, il représente le pouvoir. Les hémorroïdes traduiraient ainsi une faiblesse intérieure identitaire. Manu n'a qu'à être moins vulgaire et se sentir pas à sa place sur le trône !

Les organes génitaux

Jacquouille s'en bat les couilles. Marie-Claire s'en bat les ovaires.

S'il tenait vraiment à ses bijoux de famille, Jacquouille en prendrait davantage soin. À force, sa virilité ou son pouvoir de procréer vont en prendre un coup. Pareil pour Marie-Claire au féminin.

Les Anglais ont une expression quand ils se sentent énervés, excédés, contrariés qui est « pissed off », impossible à traduire littéralement mais qui implique le mot « pisse » qui, à force de réitérations, est susceptible d'induire cystites, infections urinaires voire incontinence d'origine psychosomatique.

L'estomac

Nicole en a ras-le-bol et Gustave, ça le gave.

Autant dire que l'estomac se met en grève parce qu'il n'arrive plus à assimiler les expériences ou les émotions du fait d'un trop plein. Et hop, ça remonte en reflux acides (le bol fait ici référence au bol alimentaire stomacal).

Pareil si René vous donne la nausée et si Vladimir est à vomir.

Par contre si André est ulcéré, c'est qu'il se sent rongé par quelque chose. Et qu'est-ce qui ronge ? Le cancer. Attention donc en exprimant l'inquiétude, le doute, la colère, les remords et même la curiosité. Ne prenez pas l'habitude de laisser ces émotions vous bouffer par le verbe. Sentez-vous plutôt inquiet, dubitatif, etc.

Les intestins

Aristide, ça lui fait mal au bide mais moi ça me gonfle.

Là c'est quand j'ai des difficultés à lâcher-prise d'une situation ou d'une personne. je ne peux pas contrôler et donc ça provoque des ballonnements.

Chloé, ça la fait chier et Deirdre, ça l'emmerde.

Les intestins sont le siège même des émotions (deuxième chakra). Le rejet, la non-acceptation, la peur nous emmerdent (désolée pour ce langage grossier mais ce sont des expressions très usitées) et donc syndrome du côlon irritable et diarrhées peuvent être un des effets psychosomatiques des gens qui ne devraient pas se laisser atteindre par le caca mais juste le ressentir et tirer la chasse.

La gorge

Georges, ça lui reste en travers de la gorge.

Il n'a pas su s'exprimer et à force de le répéter, il risque l'extinction de voix, la laryngite, l'angine ou autres problèmes affectant la gorge.

Les dents

Adam est sur les dents.

C'est son dentiste qui va être content. Les dents symbolisent le pouvoir de décision et le libre-arbitre d'où les expressions « avoir du mordant » et les « sans-dents ». Et quand on enrage trop souvent, la rage se propage aux dents.

Les glandes

Raoul a les boules. Audrey est nouée.

Deux angoissés qui risquent de se retrouver avec des problèmes glandulaires.

Les nerfs

Jennifer est sur les nerfs. Hervé est énervé.

Problèmes de communication. Beaucoup de douleurs en perspective. Sentez-vous, ne soyez pas.

Les oreilles

Mireille lui casse les oreilles. Avec Alexandre, elle ne peut s'entendre.

Les oreilles sont le siège de la réceptivité intérieure et extérieure.

Le cœur

Fleur, ça lui fend le cœur.

Quand notre centre émotionnel est atteint les conséquences peuvent être gravissimes car aucun problème cardiaque n'est bénin (sauf les myocardites de Pfizer). Et il y a tellement d'expressions métaphoriques qui malmènent le cœur que ce n'est vraiment pas anodin.

Les poumons

Yvonne s'époumone. Dorothée en a le souffle coupé.

Les poumons représentent la vie et quand une personne éprouve un profond mal de vivre, du désespoir, du découragement ou de la tristesse, les poumons sont souvent affectés.

Les allergies

Monique est allergique. Solange, ça la démange. Et Robert, ça lui donne de l'urticaire.

Réaction d'autodéfense du système immunitaire face à une agression. Quand on se sent agressé par la personnalité de quelqu'un, on emploie souvent ce type d'expression. Autant utiliser une paraphrase moins imagée que de s'infliger un tel sortilège.

La tête

Odette en a ras-la-casquette. Juliette lui prend la tête.

Migraines, céphalées, etc. La tête nous permet de garder le contrôle. Avoir toute sa tête, c'est être en possession de tous nos moyens, en contrôle. Quand on nous la prend, c'est qu'on ne l'a plus (lapalissade).

Abdoul, ça le saoule. Jérémie lui file le tournis.

Problèmes d'équilibre qui s'installent. Ce qui en dit long aussi sur les rapports énergétiques entre les personnes.

Si Céline hallucine trop souvent, elle risque peut-être des problèmes cognitifs.

Les surrénales

Agnès est HS. Louise, ça l'épuise.

À force, déplétion d'énergie, fatigue chronique invalidante. Surtout pour Agnès hors service. Usure prématurée.

La mort qui tue

Casimir s'ennuie à mourir. Eve a la crève. Lulu ça la tue. Mais Victor est mort.

Là, on risque d'aller direct au cimetière sans passer par la case maladie. Même quand on a une mort joyeuse par le rire ou que l'on aime à mourir.

Les chutes

Véro tombe de haut mais Mumu est sur le cul.

On se demande des fois pourquoi on a des accidents mais à force d'avoir ce genre d'incantation inconsciente…

Je terminerai avec les plus glauques tellement elles sont violentes :

  • Matthieu en mettrait sa main au feu et Xavier la donnerait à couper.
  • Ombe, les bras lui en tombent.
  • Arnaud a reçu un coup de poignard dans le dos.
  • José est damné. Et pour Albert, c'est l'enfer.

Loin de moi l'idée de vous glacer le sang et de vous pétrifier d'effroi mais quand même ! Prendre les mots à la légère, c'est un peu comme jongler avec des poignards les yeux bandés.

Transformer nos automatismes

Pour ma part, je me suis rendu compte que j'utilisais très souvent l'expression « ça me gave » pour tout ce qui m'est insupportable ou toutes les situations que je ne parviens pas à assimiler. Résultat, j'ai de sérieux problèmes d'estomac tant ce dernier est « gavé » des mauvais sorts que je lui jette sans m'en rendre compte. Il ne fait qu'obéir à mes injonctions ! Et je fais pourtant bien tout ce qu'il faut pour lui faciliter le travail de digestion. Mais le pouvoir du verbe est tout-puissant surtout lorsqu'on n'a pas conscience de ce qu'on se dit.

Je vais donc apprendre à m'écouter parler pour essayer de repérer mes expressions fétiches afin de leur trouver des substituts inoffensifs — ce qui va demander pas mal d'efforts mais si vous avez la chance d'avoir des personnes dans votre entourage volontaires pour vous corriger dès que vous prononcerez les mots fatidiques, cela pourra accélérer votre reconditionnement, sachant qu'il faut en général trois semaines pour établir de nouveaux circuits neuronaux. Et si jamais vous vous surprenez à replonger, il suffit de dire « Stop, j'annule » et de reformuler autrement.

J'espère que cet article vous aura été utile. N'hésitez pas à venir poser vos questions en commentaires ou à apporter votre témoignage.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Image couverture : Erik Mclean

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