Conversation avec Moi-Même

Il faut regarder les choses en face : en quelques mois seulement, le projet Eklabugs est passé de la Croisière s'amuse à Robinson Crusoë sauvé de justesse de la noyade par le Commandant Costaud et sa boite de pois cassés... mais qu'est-ce que je raconte ? Je crois que je suis victime de la maladie des caissons. Bibi a le mal des profondeurs, oh non1 ! Juste une naufragée échouée sur une île perdue au milieu de l'océan qui envoie un SOS au monde en espérant que quelqu'un trouvera son message dans une bouteille.2 La solitude aura beau s'imposer, elle n'aura jamais raison de Moi, Moi-Même, Grand Moi et Petit Moi.

Je parle seule et j'entends des voix

La solitude est bonne aux grands esprits et mauvaise aux petits. La solitude trouble les cerveaux qu'elle n'illumine pas.

Victor Hugo

Je sais ce que vous vous dites (et aussi ce que vous allez me dire) : elle travaille du chapeau et entendre des voix, ce n'est pas bon signe. D'aucuns diraient même que « le soliloque, c'est-à-dire le discours qu'une personne seule se tient à elle-même, est l'un des premiers signes diagnostiques isolés de la schizophrénie ou de certaines formes de psychose ».3

En réalité, ce serait une pratique saine voire même le propre des génies ! Albert Einstein lui-même avait l’habitude de se répéter ses phrases à lui-même, doucement et à voix basse.

« Pour Freud », explique un psychologue, « on a ce dialogue car il y a plusieurs instances à l'intérieur de nous. C'est comme un dialogue entre plusieurs dimensions de notre personnalité. Le "tu" dénote d'ailleurs d'une position d'extériorité. La personne s'identifie alors à son surmoi. »3

Il se trouve que nous passons, en fait, un quart de notre vie éveillée à nous parler à nous-mêmes.

Converser tout haut (ou tout bas) avec nous-même répondrait à un besoin de focaliser notre attention et de nous concentrer et serait extrêmement bénéfique pour notre processus de pensée en permettant à notre cerveau de travailler de manière plus efficace comme l'a démontré une étude parue dans le Quarterly Journal of Experimental Psychology (revue trimestrielle de psychologie expérimentale).4

La solitude à plusieurs

« Ce grand malheur de ne pouvoir être seul !….. » dit quelque part La Bruyère, comme pour faire honte à tous ceux qui courent s’oublier dans la foule, craignant sans doute de ne pouvoir se supporter eux-mêmes.

« Presque tous nos malheurs nous viennent de n’avoir pas su rester dans notre chambre, » dit un autre sage, Pascal, je crois, rappelant ainsi dans la cellule du recueillement tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle.

Charles Baudelaire

En réalité, ceux qui disent ne jamais entendre de voix dans leur tête sont non seulement hypocrites mais leur déni et leur peur du regard des autres les rendent plus vulnérables à tout ce qu'ils redoutent le plus tout en n'osant se l'avouer, à savoir le jugement, la manipulation, la confusion voire même la névrose.

Sans aller jusque-là, qui entretient le bordel dans sa tête en y laissant pousser n'importe quoi s'expose donc, à terme, à patauger dans le potage et à s'enliser dans des paradoxes irréconciliables. Un terrain propice à la dissonance cognitive et à la fameuse doublepensée orwellienne en référence à « une capacité à accepter simultanément deux points de vue opposés et ainsi mettre en veilleuse tout esprit critique. C'est aussi une rupture avec le "principe de non-contradiction" sur lequel repose toute la science démontrable ».5

Et comme vous pouvez le constater dans ce nouvel ordre mondial ubuesque qui est en train de s'instaurer sous couvert d'urgence sanitaire, ceux qui ne pensent pas « en dehors de la boite » (comme disent les Anglo-saxons) sont en train d'acheter leur ticket en première classe pour l'Enfer.

Alors comment trier le bon grain de l'ivraie ?

© L'oud

Par le dialogue avec soi-même. En interrogeant, avec bienveillance et en toute impartialité, ses propres pensées, peurs, croyances comme si chacune était un de vos enfants. Car toutes disposent d'une signature vibratoire qui leur est propre et que vous apprendrez vite à distinguer en vous observant et en restant à l'écoute de vous-même. Non pas par la méditation où tout le monde est réduit au silence mais en situation réelle où chacun a droit de citer.

Toutefois, comme dans une classe d'enfants indisciplinés, toutes ces voix qui cherchent à s'exprimer en même temps et à se dominer les unes les autres, peuvent vite engendrer une cacophonie épouvantable, basculer dans l'anarchie la plus totale et vous contraindre à fuir votre royaume intérieur.

Pour y remédier vous pouvez toujours recourir à la fameuse Pensine du Professeur Dumbledore, sorte de cloud qui permet d'alléger son disque dur. Mais il existe une solution bien plus efficace : le symposium ou colloque avec Soi-Mëme, Petit Soi, Grand Soi et Soi tout court.

Souvent, il y a tellement de monde dans ma tête que je ne m'entends carrément plus penser et ça me met hors de moi. Donc, pour ne pas me faire éjecter de mon trône de souveraine intérieure et les empêcher de tous parler à la fois, je les prends chacun un par un et je converse avec eux à voix haute. Croyez-moi, il n'y a pas mieux pour apaiser les tensions, les doutes, les malaises, la confusion.

Je leur parle comme je le ferais avec une personne physique en face de moi. Je leur pose des questions et je les laisse me répondre de manière automatique, sans le filtre intérieur du mental juge. Cela peut paraître bizarre mais c'est très productif. Et plus on apprend à s'entendre, plus la vie devient facile.

En fait, la seule chose qui peut freiner est notre mental-ego soucieux de la réaction de l'entourage pour ceux qui n'ont pas le luxe de pouvoir s'isoler. Alors à vous de voir : passer pour un fou pour le bien de votre santé mentale ou devenir fou pour ne pas avoir l'air de l'être ?

L'envers solitaire

Ça doit faire mille ans ou plus
Que personne n'a frappé à ma porte.
Tout apprêté et nulle part où aller,
Bienvenue dans ce One Man Show !
Prenez place, c'est toujours gratuit.
Aucune surprise, aucun mystère,
Dans ce théâtre que j'appelle mon âme,
C'est toujours moi qui suis en vedette.
Je me sens tellement seul...

"So Lonely", The Police (1978)

Je pourrais également vous parler des différents types de solitude physique, morale, spirituelle... de la super, de l'hyper, et même de l'ultra-solitude.

Comme aurait pu dire Coluche, la solitude, on connaît. La super-solitude, c'est quand en plus d'être seul, on est plus seul que les autres — genre tu es un héros de la solitude. L'hyper-solitude, ça devient limite hystérique... hip ! hip ! houla... Et l'ultra, ça doit être l'élite de la solitude quand t'es tellement seul qu'il n'y a que les chiens qui peuvent t'entendre : « Ohé ! Y'a quelqu'un ? »

Mais si on suit la logique du spectre établi par les doctorants, pourquoi n'y aurait-il pas d'infra-solitude — genre tu es tellement seul que tu deviens invisible et qu'il faut des lunettes spéciales pour te voir ?

Finalement, la solitude ordinaire, c'est pas si mal.

Dans l'aire du Ver Sot

Vas-y que j'te chouchoute,
Que j'te fais des courbettes,
Mais moi j'suis dans ma peau,
Personne peut y rentrer.
Je suis seul en dedans.
Marrant ou pas marrant.
Seul, seul, seul....

Seul", Téléphone (1979)

Alors oui, j'aurais aussi pu en rajouter une couche avec l'étymologie (soli-terre) qui d'un simple glissement de dentale peut rendre un solitaire solidaire.

Ou encore vous ressortir la panacée urticante du réducteur de ciboulot à la sauce freudo-kafkaïenne ou que sais-je encore (on s'en bat le coquillage), le tout saupoudré de ciboulette hachée menue. Au lieu de cela, j'ai préféré une entrevue en seule à seul avec un ex-père en lames à tiers.

Le ver solitaire qui, décidément très sot, après avoir été mis à pied pour agression envers le ver à moutarde qui lui montait au nez (« Si je te chope, on va devoir te mettre en bière » qu'il lui a dit) se pique désormais de jalousie envers le mille-patte.

Rendez-vous compte, ce ver rouillé psycho-patte, complètement moulu, a également menacé le ver luisant de lui faire voir trente-six chandelles. Heureusement, un courageux ver à soi a remis ce ver téniasse à sa place.

Alors prenez bien soin de vous et ne vous laissez surtout pas squatter par ce genre de parasite qui s'attrape facilement par les temps qui courent (et non, ce ne sont pas des conneries : un Américain s'est vraiment fait retirer un ver solitaire qui était venu se loger dans son cerveau6).

Je vous demanderais donc maintenant de bien vouloir aller voir chez les autres participants (dont vous trouverez la liste ci-dessous) si j'y suis.

Notes et références

  1. ♫ "The Bends", Radiohead (1995)
  2. ♫ "Message In A Bottle", The Police (1979)
  3. www.lexpress.fr
  4. www.demotivateur.fr
  5. wikipédia.org
  6. www.futura-sciences.com

Projet EklaBugs #64

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