Donner sans compter, ça ne compte pas

Prendre pour argent comptant. Tenir pour acquis. Deux expressions idiomatiques qui résument assez bien le paradoxe humain alimentant le courant alternatif de la dissonance cognitive. 

On veut tout mais si on nous le donne, on n'en veut pas car si c'est gratuit, ça n'a aucune valeur.

Qu'il s'agisse d'objets manufacturés, de services, d'information, de divertissement, d'aide ou même d'écoute et d'attention, si c'est gratuit, offert sans contrepartie, on prend sans vergogne sans jamais dire merci. Inconsciemment, on va se faire penser que si c'est gratuit, c'est parce que c'est invendable et donc de moindre valeur. De là à suspecter cette générosité d'abriter un motif caché, il n'y a qu'un pas que beaucoup franchissent allègrement. Normal puisque rien n'est gratuit en ce bas monde. 

Pire : non contents de prendre tout comme un dû, d'aucuns auront le culot de se plaindre là où, par ailleurs, pour un service payant médiocre, ils auront moins d'exigences. Leur argument sans faille étant : « Personne ne t'oblige à faire ça gratuitement » ou encore : « On ne t'a rien demandé  ».

Les signaleurs de vertu dans toute leur splendeur. Comme dirait Audiard… vous connaissez la phrase. Sinon, ça fera 100 € pour que ce soit crédible à vos yeux !

Finalement, la gratuité dérange parce qu’elle est un miroir. Elle révèle le confort de celui qui prend et l’effort de celui qui donne.

Dans cette profusion de tout — car oui, même le manque, la pauvreté, la violence, les abus et le « Mal » sont en surabondance du fait du jeu des polarités sur lequel reposent les fondations de ce monde matriciel — et dans cette culture du moindre effort, on finit par ne plus savoir distinguer ce qui relève d’une démarche consciente ou d’une régurgitation automatique. C’est là tout l’art du bruit : rendre le vrai inaudible.

Ce monde inverse tout : il valorise le superficiel, oublie le vrai, et soupçonne la bonté de cacher une intention.

Iso V. Sinclair

Plus c’est rare, plus c’est cher, donc plus c’est précieux. Mais si quelque chose est rare ET gratuit ? Là, les neurones buggent car on a été conditionnés à croire que toute chose a un coût et que tout don cache une dette.

Un ami bienveillant (qui se reconnaîtra ici) a récemment hésité à partager une de mes vidéos, souhaitant entretenir la rareté de sa présence en ligne sous peine de décrochage de son audience. Et il a raison sur ce point : le flux constant tue la réception. Trop de présence égale moins d’impact. 

Peut-être devrait-on se demander si ce n’est pas l’attention elle-même qui fait désormais office de nouvelle monnaie. Et par conséquent, la valeur finale est déterminée davantage par l'audience plutôt que par le service ou l'information proposés… gratuitement.

Cela s'étend à la disponibilité en général. Il y a ceux qui ne sont jamais là, mais s’offusquent de ne plus être invités. Et il y a les chiens fidèles qui sont toujours là comme des évidences immuables… jusqu’au jour où ils ne le sont plus. Et alors, tout s’effondre : « Tu as changé ! » s'entendent-ils reprocher. Sans doute. Ou bien, il est possible qu’avant, ils ne regardaient pas vraiment.

Être disponible ne signifie pas être négligeable.

Finalement, ce n’est pas tant la gratuité qui dérange… que le fait que certains donnent sans rien demander d'autre que d'être écoutés, entendus. Vraiment. Que l’on prenne en conscience. Pas comme un dû, mais comme une chance.

En anglais, « gratuit » se dit free, qui veut aussi dire « libre ». Or, ce qui est libre n’entre dans aucun circuit, échappe à la logique du troc, de la dette, de la redevabilité… donc aussi au contrôle.

Le don sans attente ne produit pas de loosh, cette énergie générée par nos émotions et récupérée par la matrice. Il ne sert aucun programme. Il libère.

Peut-être est-ce pour cela, au fond, qu’on s’en méfie tant.

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

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