Il joue de l’harmonica… mais il joue aussi de la gâchette.
Cheyenne, Il était une fois dans l’Ouest
Égarée dans l'archipel des Caraïbes, à la recherche d'un vaisseau fantôme, l'héroïne s'appelle Calamity Eyael. Sauvée de justesse des griffes du Capitaine Barbossa, elle se retrouve propulsée (par la DeLorean du Doc) dans le Kansas natal de son grand oncle Charley1, sur la piste du Con, de l'Abruti et du Tyran. Et déjà, elle entend siffler les balles dans la grand-rue. Planquons-nous derrière le bar, on dirait que quelqu'un va bientôt mordre la poussière ! Fallait s'y attendre avec ce satané six de carreau, porteur d'imprévus et de changement, qui appelle, ce mois-ci, à la prudence dans les rapports sociaux. Mieux vaudrait donc éviter de froisser tous les excités de la gâchette. D'autant que le shérif du patelin m'a tout l'air d'être un sacré couard.
L'Ouest sauvage
Au risque de casser l'ambiance, sachez qu'un cow-boy n'est rien d'autre qu'un vacher ou un bouvier, soit un garçon de ferme s'occupant du bétail bovin dans les grands espaces de l'Ouest américain. Tout de suite, ça fait un peu moins glorieux ! Cette profession, nous explique la Bible en ligne2, dérive de celle de vaquero, en vogue au Nouveau-Mexique aux XVIe et XVIIe siècles, mais s'en distingue en ce sens que ces derniers ne sont pas des ouvriers agricoles. En effet, au XIXe siècle les élevages de l'ouest alimentaient l'ensemble du pays. En l'absence de chemin de fer, le cow-boy avait donc pour mission de conduire les bêtes à travers le sud des Grandes Plaines. Cette transhumance, qui cessa aux alentours de 1890, a donné du cow-boy une image d'homme libre, solitaire et nomade, en certains points éloignée de la réalité.
Ainsi, contrairement au mythe véhiculé par la littérature, les bandes dessinées et le grand écran, les cow-boys n'étaient pas du tout des héros, tireurs d'élite prêts à dégainer pour sauver la veuve et l'orphelin des Peaux-rouges sanguinaires.

Tout d'abord, la plus grande menace pour ces gardiens de vaches ne venait pas des Indiens ni des voleurs de bétail mais du bétail lui-même. La nuit, le moindre hurlement de coyote ou grondement de tonnerre dans les Grandes Plaines pouvait effrayer le troupeau qui, pris de panique, risquait alors de les piétiner. Retrouver ensuite les bêtes enfuies pouvait leur prendre plus d'une semaine.
Traverser les rivières et les fleuves constituait un autre défi majeur, avec des risques de noyade autant pour le bétail que pour les humains. Parfois, c'était le manque d'eau qui pouvait mettre leurs vies en péril. Ce à quoi venaient s'ajouter les morsures de sconses porteurs de rage et les attaques de loups.
Une fois, je me suis fait descendre par John Wayne.
"Western Stars", Bruce Springsteen (2019)
Ouais, c'était vers la fin.
Cette unique scène m'a payé un millier de verres
Et m'a piégé,
Mais je vais te le dire, l'ami,
À tous les cow-boys, cavaliers pris dans le tourbillon,
Ce soir, les étoiles de l'Ouest brillent à nouveau de mille feux.
Mais finalement, le pire danger n'était pas tant cette nature sauvage et indomptée que les sirènes et démons de la « civilisation ». Ces villes de pionniers qu'on vous montre dans les westerns avaient, en fait, très mauvaise réputation. Un journaliste de passage à Kansas City3, autour des années 1870, rapporte qu'« après la tombée de la nuit, la terre civilisée connaît peu de spectacles de débauche aussi débridés et éhontés qu’un dancing dans les villes de la frontière ».
On parle même de « Sodomes de l'Ouest » dans lesquelles le cow-boy solitaire succombe aux plaisirs éphémères du confort citadin et dilapide, en quelques jours, son salaire durement gagné, dans le jeu, les prostituées — et surtout : l'alcool.
Toujours la même histoire, en somme. Il n'y a que le décor qui change. On tourne en rond mais les aveugles appellent cela le « progrès ». Et à force de tourner en rond, on finit toujours sur le (six de) carreau…
Règlements de compte à K.O. Parking
Force est de constater que nos villes occidentales ressemblent de plus en plus au Far West d'antan. Mais pas celui de Lucky Luke ni des westerns spaghetti ou du fantasme hollywoodien incarné par les John Wayne, Gary Cooper et autres James Stewart — plutôt la version low-cost des cités des enfants perdus, souvent issus de l'immigration d'apparence incontrôlée mais parfaitement contrôlable par la matrice qui se nourrit principalement du chaos, et nous ressert toujours les mêmes scripts : rodéos urbains, embuscades à dos de scooter, règlements de compte sur bitume défoncé.
Le vent souffle en Arizona,
"Nouveau Western", MC Solaar (1994)
Un état d'Amérique dans lequel Harry zona.
Cow-boy dingue du bang bang, du flingue
De l'arme, du cheval et de quoi faire la bringue,
Poursuivi par Smith & Wesson
Colt, Derringer, Winchester & Remington,
Il erre dans les plaines, fier, solitaire,
Son cheval est son partenaire.

On troque les fameuses boots contre des baskets Nike-ta-mère ; les saloons contre des McDo ou des kebabs — mais le scénario reste inchangé : l'ego à fleur d'arme, le surin facile, l'injustice expéditive du talion aveugle, privé d'électricité à tous les étages et qui s'éclaire aux bougies d'allumage du carburateur des bagnoles qu'il fait cramer quand il est content (ou pas content) plus quelques balles perdues en guise de ponctuation.
Ce serait presque drôle si c'était une caricature de Charlie Hebdo. Sauf que non. Mais les descendants de l'Adam démiurgique s’habituent à tout. Trop de fragments à rassembler, pas assez de conscience pour y parvenir. À quoi bon d'ailleurs ? La « vie » est bien trop courte pour espérer reconstituer le puzzle à temps. Voilà pourquoi la matrice préfère écourter la durée de simulation et recycler plus souvent, quitte à saturer les âmes. En d'autres termes, mourir jeune réduit les risques de prises de conscience inopinées.
Le cow-boy de minuit moins le quart4
Le cow-boy urbain des temps modernes ne chevauche plus que son ego planétaire.
Dans de nombreux endroits aux États-Unis et certainement dans d'autres endroits du monde, l'image du cowboy est devenue, pour certains, négative. Le mot « cowboy » implique un individu fort et têtu dont l'individualisme dépend de la capacité à faire tomber l'individualisme des autres.
Viggo Mortensen
Il n'a rien de solitaire : il se déplace en meute de prédateurs prédatés. Il se veut rebelle et fort, mais ce n'est qu'un lâche de la pire espèce — un collabo à la solde du système, avec plus de boutons de contrôle que le tableau de bord d'un avion de ligne.
Sauf qu'il lui manque tellement de cases que la partie s'apparente davantage à un vieux PacMan sous amphétamines (ou à une partie de Démineur) qu'aux échecs.
Je suis un cow-boy,
"Dead or Alive", Bon Jovi (1992)
Je chevauche une monture d'acier.
Je suis recherché mort ou vif.
Recherché mort ou vif ? Qu'importe ! Même pas un aventurier de l'identité perdue. Juste un figurant, qui se figure être la star du film — celui qui tourne en boucle.
Mais voici un scoop : tant qu’on croit que le chaos est dehors, on reste dans le film. Et c’est rarement nous qui écrivons la fin.
Les Mystères de l’Ouest
Qui se souvient de cette fameuse série culte des années 60 mettant en scène James West et Artemus Gordon, deux agents secrets opérant dans l'Ouest américain de 1869 à 1877 ? Remise au goût du jour avec Will Smith dans un remake explosif (et quelque peu chaotique) à la fin des années 90, elle transformait le western poussiéreux en un laboratoire d’expérimentations rétro-futuristes. L’Ouest y devenait un décor prétexte à toutes les folies technologiques et conspirations absurdes — comme si la fiction avait flairé que ce Far West-là n’avait jamais été réel, mais déjà simulé.
Et si c’était là le vrai mystère de l’Ouest ? Un territoire déjà hors-sol, peuplé de mythes, de cow-boys surjoués, de machines improbables et de justiciers au brushing impeccable. Bref, un théâtre mental, parfait pour tester des récits de pouvoir, de contrôle et d’héroïsme codé.
Quarante-sept loques,
"Wild Wild West", The Escape Club (1988)
Entassées dans une ruelle.
Au nord, à l'est, à l'ouest, au sud,
Tous logés à la même enseigne,
Patientant en coulisses
Jusqu'au grand boum.
Moi, je suis dans une chambre
Et j'attends ma copine.
C'est une vraie garce mais je m'en fous.
J'adore ses yeux et sa crinière rebelle.
Danser sur nos rythmes préférés,
Parés pour les années 90,
Et la vie dans le grand Ouest sauvage.
Peut-être que l’Ouest n’a jamais existé autrement que comme décor — un décor que la matrice recycle à volonté. Aujourd’hui encore, elle le décline dans nos villes, nos écrans, nos fantasmes d’indépendance.
Même spirale. Même casting. Nouveau décor. Rien de neuf à l’Ouest du cube démiurgique.
Comme aurait pu dire Jean Yanne, s’il avait survécu à TikTok : « On est tous des cow-boys… sauf qu’on s’est fait chourer la selle et qu’on tire à blanc. »
Notes et références
- ^ Ceci est véridique : mon grand-oncle, né à la fin des années 1890, s'appelait réellement Charley et était bien originaire du Kansas.
- ^ Wikipedia.
- ^ Philippe Jacquin, Vers l’ouest : un nouveau monde
- ^ Clin d'œil croisé aux films Midnight Cowboy (Macadam Cowboy en français) de John Schlesinger (1969) avec Jon Voight et Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ de Jean Yanne (1982) avec Coluche.
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