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Pages tournées en 2024

Toujours dans l'énergie des bilans de l'année passée, je vous partage celui de mes lectures de 2024 (une majorité d'auteurs français) sous forme d'un classement par ordre de préférence. 

Ne figure pas à ce palmarès, qui compte près d'une quarantaine de livres en tout, l'Homme qui voulait être heureux, le roman initiatique de Laurent Gounelle. Sont également exclus les BD (la série U4, les premiers albums de la Rose écarlate de feue Patricia Lyfoung, la fameuse trilogie des Artilleuses d'également feu Étienne Willem avec Pierre Pevel — dont j'ai fait une vidéo — et la trilogie Vieille Bruyère et Bas de Soie du même auteur terminée en début d'année) et les ouvrages de non-fiction (Vous pensez trop, Pourquoi trop penser nous rend manipulable et J'ai pas les codes de Christel Petitcollin et The Reveal de David Icke, un gros pavé que je n'ai pas encore terminé). 

1. The Running Grave

Ce dernier opus en date des enquêtes de Cormoran Strike (non disponible en français pour l'instant) est pour moi, à ce jour, le meilleur de la série. Et, bien qu'il fasse plus de 900 pages, j'y ai passé des jours et des nuits, incapable de le lâcher ! Une intrigue extrêmement bien ficelée, une écriture fluide, un suspense haletant, un sujet d'actualité traité avec un réalisme qui donne froid dans le dos (âmes sensibles, soyez prévenues) et porté par des protagonistes attachants dont on aime à suivre l'évolution de la relation de livre en livre et qui rend cette série si addictive. Du grand art de la part de J.K. Rowling sous le pseudonyme de Robert Galbraith.

Le détective privé Cormoran Strike est contacté par un père inquiet dont le fils, Will, est parti rejoindre une secte religieuse au fin fond de la campagne du Norfolk. 
L'Église humanitaire universelle est, en apparence, une organisation pacifique qui milite pour un monde meilleur. Pourtant, sous la surface, Strike découvre des aspects extrêmement sinistres et des morts inexpliquées. 
Pour tenter de libérer Will, Robin Ellacott, l'associée de Strike, décide d'infiltrer la secte et se rend dans le Norfolk pour vivre incognito parmi eux. Mais ce faisant, elle n'est pas préparée aux dangers qui l'attendent ni au tribut qu'elle devra payer...

Robert Galbraith, 2023 - Sphere Books - 960 pages

2. Sang d'encre 

Encore un « page-turner » impossible à lâcher et selon moi, le second meilleur de la série. Elle-même victime de harcèlement en ligne, Rowling y traite de ce problème endémique avec intelligence, lucidité et courage. Comme d'habitude, son intrigue est extrêmement bien conçue avec de nombreux rebondissements inattendus. Et la relation centrale entre Strike et Robin toujours aussi captivante.

Lorsqu’Edie Ledwell entre dans le bureau de la détective Robin Ellacott, elle est dans tous ses états. Cocréatrice d'un dessin animé très populaire nommé Sang d’encre, Edie est harcelée en ligne par un mystérieux personnage, qui se présente sous le pseudonyme d'Anomie, dont elle cherche désespérément à découvrir l'identité. 
Robin lui explique que l'agence ne peut rien pour elle, mais quelques jours plus tard, elle apprend une terrible nouvelle : Edie a été tuée dans le cimetière londonien de Highgate, là-même où se déroule l’intrigue de Sang d’encre. 
Robin et son associé Cormoran Strike se lancent alors sur les traces d'Anomie sans imaginer que cette traque va s’avérer plus complexe et périlleuse que prévu. Entre les secrets de la toile, les intérêts commerciaux et les conflits familiaux, Strike et Robin se retrouvent embarqués dans une affaire qui va les mettre en grand danger. Mais est-ce qu'adversité rimera enfin avec amour ?

Robert Galbraith, 2022 - Grasset - 1008 pages

3. NOUS

Le roman tant attendu dont nous parlait Christelle, qui lui a été inspiré durant l'écriture de la Passe-miroir et fait le pont avec Ici et seulement ici. NOUS, c'est l'esprit de ruche, la conscience collective poussée à l'extrême qui nie toute individualité avec l'implant matriciel du sauveur appelé ici, Instinct. On y retrouve également une critique acerbe de la bienpensance et de la religion dans tous ses abus et son hypocrisie — un thème déjà omniprésent dans la Passe-miroir avec le personnage de Dieu (impossible d'expliciter sans spoiler) qui s'y positionnait comme antagoniste principal et source de chaos.

NOUS est une Fantasy dystopique et vintage. Je renoue avec mes vieilles amours en vous invitant dans un monde qui a ses propres lois, ses propres possibles, ses propres interdits et de bons vieux baladeurs à piles. 
NOUS est une humanité qui ressemble à la nôtre à un détail près – et pas des moindres : tout le monde a un Instinct, au service de la collectivité.
NOUS c’est aussi et surtout l’histoire de Claire, une confidente un peu trop secrète, de Goliath, un protecteur un peu trop casse-cou, et de bien d’autres destinées qui vont se lier à la leur.
Et puis dans NOUS, tout est parfait.
Tout est parfait ? 

Christelle Dabos, 2024 - Gallimard Jeunesse - 576 pages

4. U4

Un exercice de style périlleux que de raconter une même histoire en quatre volumes mais du point de vue de chacun des quatre protagonistes et sous la plume d'un auteur différent pour chaque livre, comme je vous l'avais expliqué dans ma vidéo. Le résultat fonctionne plutôt bien même si, de fait, le suspense disparaît un peu après la lecture du premier tome dont l'ordre importe peu. Contagion, le recueil de nouvelles qui vient compléter la série apporte de nouveaux éléments souvent extérieurs aux points de vue de Jules, Stéphane, Koridwen et Yannis et ce qu'ils sont devenus par la suite.

Jules, Koridwen, Yannis, Stéphane ont entre 15 et 18 ans. Ils ont survécu au virus U4, qui a décimé 90 % de la population mondiale. Ils ne se connaissent pas, mais ils se rendent pourtant au même rendez-vous.

Carole Trébor, Vincent Villeminot, Florence Hinckel & Yves Grevet, 2015 - Nathan - 1656 pages

5. Projet Starpoint

Une trilogie captivante pour ados (et éternels ados), dans laquelle on ne s'ennuie pas une seconde et qui nous fait basculer d'un monde à l'autre en changeant notre angle de vision. Au sens littéral du terme puisque ses jeunes protagonistes empruntent les angles morts des surfaces réfléchissantes pour glisser vers un monde parallèle et en revenir. L'autrice dit s'être inspirée de l'ami imaginaire et des univers-refuges que l'on se crée durant l'enfance et aussi de la physique quantique. Ce n'est donc pas un hasard si l'un des savants à l'origine du fameux Projet Starpoint ressemble très étrangement à Nassim Haramein dont les théories ont révolutionné ce domaine.

Pythagore Luchon, 15 ans, entre en seconde. Il se réjouit à l'idée de retrouver sa meilleure amie Louise, mais cette dernière l'ignore, lui préférant la compagnie de Foresta Erivan. Au contact de ce dernier, elle s'isole et commence à s'absenter du lycée. Une nuit, Foresta vient annoncer la disparition de Louise à Pythagore : pour la retrouver, ils doivent passer par l'angle mort des miroirs.

Marie-Lorna Vaconsin, 2017 - La Belle Colère - 1093 pages

6. La Passeuse de Mots

J'ai découvert la Passeuse de Mots grâce à Christelle (Dabos) qui m'en avait fait l'éloge lors de son passage à Paris en 2023. Elle et son inséparable acolyte Camille Ruzé avaient d'ailleurs invité ses deux auteurs dans leur émission Que ma muse m'amuse sur Twitch. Écrite à quatre mains, cette saga culte de sept tomes annoncés (dont quatre plus un préquel ont déjà été publiés) possède un certain lyrisme envoûtant, mêlant allègrement à peu près tous les sous-genres de la fantasy pour basculer progressivement dans la fantasy noire. Pour l'anecdote, contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est à Jennifer que l'on doit surtout les scènes d'action, son compagnon se complaisant davantage dans les grandes envolées lyriques.

Dans le royaume de Hélios, les mots ont un pouvoir. Celui de créer, d’équilibrer, puis de détruire le monde. Lorsqu’on les prononce, aucun retour en arrière n’est possible.
Arya, une jeune fille de la capitale, est passionnée de livres. Elle en dévore chaque mot. Mais elle est loin de se douter qu’elle est la clé pour sauver son royaume, le seul qui ait restreint l’utilisation de la magie grâce à un traité. Un traité qui ne plaît pas aux rebelles, prêts à tout pour l’éradiquer. 
À l’aube des changements qui s’annoncent, les Mots se réveillent pour établir l’ordre dans le chaos, la vérité dans l’illusion.
Ils attendent leur Appel. Celui de la Passeuse de Mots.

Alric & Jennifer Twice, 2021 - Hachette Romans - 2958 pages

7. Midnight Sun

Stephenie Meyer a un problème : on dirait qu'elle n'arrive pas à rebondir après le succès phénoménal de sa saga Twilight et y revient sans cesse. D'abord avec À la vie, à la mort à l'occasion du dixième anniversaire de Fascination, en 2015, où Bella devient Beau et Edward, Edith. Puis en 2020, avec Midnight Sun où l'histoire est racontée du point de vue d'Edward, le vampire. Pour l'anecdote, elle avait commencé à écrire cette version en 2008 avant de tout arrêter quand les douze premiers chapitres avaient fuité sur Internet. Il aura fallu une pétition de centaines de milliers de personnes pour qu'elle décide enfin, une décennie plus tard, de reprendre son manuscrit. J'avoue que j'étais surtout curieuse de l'exercice de style. Bien que similaire en tous points, l'histoire est beaucoup plus longue car Edward analyse tout. L'expérience fut pour moi différente ayant choisi la version audio pour tester ma nouvelle liseuse.

La rencontre entre Edward Cullen et Bella Swan dans Fascination, le premier tome de la saga Twilight, a donné naissance à une histoire d’amour iconique. Mais jusqu’à présent, les fans n’avaient pu lire de cette histoire que la version de Bella. Ce conte inoubliable prend, à travers le regard d’Edward, un tour nouveau et résolument sombre. La rencontre de Bella constitue dans sa longue vie de vampire l’expérience la plus intrigante et la plus troublante qui soit. Plus nous apprenons de détails sur le passé d’Edward et la complexité de son monde intérieur, mieux nous comprenons que cet événement constitue le combat déterminant de son existence.

Stephenie Meyer, 2020 - Hachette Romans - 800 pages

8. Les Amants du Spoutnik

Un roman étrange, déroutant, choisi au hasard sur les conseils Rudy qui avait évoqué cet auteur comme se plaisant à entraîner ses lecteurs dans un monde où la frontière entre réel et surnaturel est si ténue qu'ils y perdent tous leurs repères. Le titre, qui me l'a fait choisir, fait référence au premier satellite artificiel lancé par l'URSS en 1957 et qui, en russe, signifie « compagnon de route ». Car les amants de ce triangle amoureux impossible sont comme des satellites qui ne font que graviter autour de l'objet de leurs désirs, s'en rapprochant puis s'en éloignant sans jamais vraiment parvenir à se rencontrer.

K. est amoureux de Sumire, mais dissimule ses sentiments sous une amitié sincère. La jeune fille est insaisissable, et voue un amour destructeur à une mystérieuse femme mariée. Un jour, Sumire disparaît, sans laisser de traces. K. part à sa recherche sur une île grecque, dans les rues de Tokyo, où tout le ramène à elle.

Haruki Murakami, 2004 - 10-18 - 272 pages

9. L'intégrale d'Arsène Lupin

« C'est le plus grand des voleurs, oui, mais c'est un gentleman. Il s'empare de vos valeurs sans vous menacer d'une arme » chantait Jacques Dutronc. Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, bandit romantique aux élans chevaleresques, est bien vite passé du statut de héros littéraire à celui de figure historique de la France de la Belle Époque. Adolescente, je dévorais ses aventures ainsi que celles de Fantomas et Rouletabille et c'est avec bonheur que j'ai passé des dizaines d'heures à les redécouvrir grâce à cet excellent recueil de nouvelles à écouter. Au moins les voleurs de l'époque avaient la classe et ne s'en prenaient qu'aux riches et corrompus.

Arsène Lupin ? Ce Robin des Bois moderne met son intelligence, sa force physique et son sang-froid au secours de "l'innocence persécutée". Un caractère à la fois séduisant, torturé et mystérieux, lui ont assuré son succès auprès de nombreux lecteurs. Ici sont rassemblées l'intégrale des 36 nouvelles qui mettent en scène le personnage d'Arsène Lupin, encore que parfois il se fasse passer pour un certain Jim Barnett...

Maurice Leblanc, 2020 - Compagnie du Savoir - 42 h 28 min.

10. Contes et récits du Paris des Merveilles

La Belle Époque toujours, mais celle du Paris des Merveilles que je vous avais déjà présenté en vidéo. Il s'agit ici de trois recueils de 6 nouvelles chacun, reprenant l'univers et les codes de la série de fantasy steampunk de Pierre Pevel. L'auteur en signe lui-même quelques-unes où l'on retrouve avec bonheur Griffont et Isabel mais aussi les Artilleuses tout droit sorties de leur BD et même le célèbre Rouletabille de Gaston Leroux et Arsène Lupin lui-même. Autant vous dire que j'ai « kiffé » !

Bienvenue dans le Paris des Merveilles, un Paris qui n’est ni tout à fait le nôtre, ni tout à fait un autre... et qui, désormais, n’appartient plus seulement à votre serviteur.
Dans ce recueil, vous découvrirez six nouvelles situées dans le monde du Paris des Merveilles. Je suis l’auteur de deux d’entre elles, les quatre autres étant l’œuvre de jeunes plumes – parfois débutantes mais toujours talentueuses – qui se sont approprié l’univers d’Isabel, Griffont et Azincourt pour, je l’espère, votre plus grand plaisir...

Pierre Pevel, 2019 - Bragelonne - 791 pages

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Les Artilleuses

Ceux qui me suivent sur mon compte Telegram se souviendront peut-être que le 1er juin dernier, je m'étais fait dédicacer (en image) le premier tome des Artilleuses par le dessinateur belge, Étienne Willem au Festi'BD en Ile de France. Ce n'est que récemment, en recherchant des crédits pour des extraits d'interviews figurant dans la vidéo ci-dessus, que j'ai été profondément choquée de découvrir que, quinze jours après cette ultime apparition publique, ce dernier avait tiré sa révérence. Un geste qui a laissé pantois tous ceux qui le connaissaient, aussi bien dans le monde de la bande dessinée et au-delà. Sa compagne, l'auteure et illustratrice Stéphanie Dunand-Pallaz, elle-même n'a rien vu venir. On ne peut que supposer que derrière cette façade débonnaire de personnage haut en couleurs, semblant tout droit issu d'une de ses planches, se cachait une toute autre réalité.

« Étienne avait 51 ans, un extraordinaire talent de conteur assorti à la modestie des vrais grands, un dessin magnifique, une improbable collection de kilts, une inépuisable gentillesse, une immense culture, des whiskys sublimes, une barbe qui vivait parfois une existence indépendante, un rire bas et chaleureux et l’œil pétillant de cet étrange mélange de malice et de désespoir qui faisait de lui quelqu’un de rare et précieux », témoigne Christophe Arleston, son directeur éditorial chez Drakoo.

J'avais découvert Étienne Willem après ma lecture des romans du Paris des Merveilles de Pierre Pevel, suite à quoi je m'étais rabattue sur les BD et avais été totalement séduite par la qualité de ses dessins, notamment la précision de son trait pour planter les décors d'un Paris et d'un Londres (Vieille Bruyère et Bas de Soie) que je connais et que j'aurais tant aimé pouvoir arpenter dans cet univers de fantasy/steampunk. 

« Une trilogie unique peut aussi être la première ». Cette phrase de Pierre Pevel dans la vidéo revêt un caractère bien différent maintenant. Les Artilleuses ne vivront pas de nouvelles aventures. Du moins, sous cette forme car, qui sait, Pierre Pevel pourrait décider de leur dédier une série de romans. Il l'avait d'ailleurs fait dans une nouvelle intitulée "Un gnome pour un autre" dans le recueil Les Malfaiteurs du Paris des Merveilles.

Bibliographie

Vieille Bruyère et Bas de Soie :

  1. La Tache noire, 2004
  2. Murder Party, 2006
  3. Le Cercueil des Souvenirs - Indrani, 2007

L'Épée d'Ardenois :

  1. Garem, 2010
  2. La Prophétie, 2012
  3. Nymelle, 2014
  4. Nuhy, 2015

Les Ailes du Singe :

  1. Wakanda, 2016
  2. Hollywoodland, 2017
  3. Chicago, 2019

La Fille de l'Exposition Universelle :

  1. Paris 1855, 2018
  2. Paris 1867, 2019
  3. Paris 1878, 2021

Les Artilleuses :

  1. Le Vol de la Sigillaire, 2020
  2. Le Portrait de l'antiquaire, 2021
  3. Le Secret de l'Elfe, 2021

Le Paris des Merveilles :

  1. Les Enchantements d'Ambremer 1/2, 2022
  2. Les Enchantements d'Ambremer 2/2, 2023

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Les coulisses d'une arnaque : que faut-il pour être un auteur à succès ?

J'aimerais vous parler du plus grand mensonge de l'édition que l'on voit apparaître dans les biographies et profils des réseaux sociaux de la quasi totalité des « auteurs » en activité aujourd'hui, à savoir le terme de « best-seller ».

Il ne s'agit pas de la partialité de la liste du New York Times (même si c'est le cas). Il ne s'agit pas non plus de la manière dont certains auteurs monnayent leur place dans les diverses listes d'ouvrages les plus vendus dans le pays en achetant leurs propres livres en grandes quantités (même s'ils le font effectivement). Non, il s'agit du titre bien plus insidieux de « Best-seller sur Amazon » et à quel point c'est totalement absurde.

Voici ce qui s'est passé dans l'industrie du livre ces dernières années (notez que cet article date de 2017 — N.d.T.) : Amazon ayant pris la tête du monde de l'édition, le statut de « Best-seller sur Amazon » est devenu synonyme de succès en librairie. Ce qui est faux et je peux le prouver.

Il y a peu, j'ai mis un faux livre sur Amazon. J'ai pris une photo de mon pied, je l'ai téléversée sur Amazon et en l'espace de quelques heures, j'ai atteint le statut de « N°1 des ventes » avec la bannière orange et tout.

Combien d'exemplaires a-t-il fallu que je vende afin de pouvoir appeler ma mère et fêter ma nouvelle réussite en tant qu'auteur ? Trois. Oui, trois exemplaires en tout pour devenir un auteur à succès. Et sur les trois, j'en ai acheté deux moi-même !

La raison pour laquelle les gens aspirent à se qualifier d'« auteur à succès » est parce que cela augmente considérablement leur crédibilité et leur « marque personnelle ». Cela peut faire de vous un leader d'opinion. Vous pouvez montrer que non seulement vous avez écrit un livre mais que le marché l'a estimé meilleur que les autres ouvrages disponibles. C'est là une marque de réussite bénéficiant du prestige d'un des plus anciens passe-temps de l'homme. Enfin, j'ai moi-même acquis ce titre tant convoité.

Je suis associé dans une entreprise de marketing appelée Brass Check. Au fil des ans, nous avons participé au lancement de best-sellers légitimes du New York Times (dont plusieurs à la très prisée première place). Ma société a contribué à la vente de 5 millions de livres et conseillé ou géré les lancements d'ouvrage de toutes les plus grandes maisons d'édition, Amazon y compris.

Au sein de mon entreprise, nous avons certaines règles fondamentales concernant les projets que nous prenons en charge. Nous ne travaillons pas avec les auteurs dont nous ne lirions pas nous-mêmes les livres et nous ne garantissons pas le statut de best-seller. Nous refusons plus d'offres de travail que nous n'en acceptons mais ces principes nous aident à éviter les « stars » artificielles d'un jour qui ne cherchent pas à écrire de bons livres mais plutôt à faire croire aux autres que c'est ce qu'elles font.

Mais ces jours-ci, ça commence à devenir peine perdue car ces auteurs sont partout. Ce n'est pas sans raison mon faux livre s’intitulait Putting My Foot Down (mettre le pied dessus) : je n'en pouvais plus de ces « auteurs » bidon, de ces escrocs et charlatans qui conspirent avec ces gens — cette industrie artisanale qui s'est développée autour d'eux à vendre des cours, des instructions et des bidouilles. Une rapide recherche sur Google renvoie des dizaines de « livres à succès », cours, forfaits, écoles, secrets, sommets et webinaires pour vous apprendre à devenir un « auteur à succès ». Je vous jure, ce type vous promet de vous montrer comment devenir un auteur à succès « même si vous n'avez aucune idée de livre, que vous ne savez ni écrire ni par quel bout vous y prendre » tout cela grâce à « une formule en cinq étapes ».

Contre seulement « trois versements de 1 333 dollars », Heart Centered Media (littéralement le « média centré sur le cœur » — N.d.T.) vous donnera le « statut garanti de best-seller » même s'ils vous font savoir que « les ventes de livres ne sont PAS garanties ». Denise Cassino promet que, grâce à ses services, « vous serez à jamais un "auteur à succès", une étiquette qui vous ouvrira des portes qui vous seraient autrement fermées »… pour juste 3 250 dollars. Jesse Krieger de Bestseller Campaign Blueprint vous encourage à « imagine[r] que vous alliez sur Amazon et découvriez […] votre livre dans les listes des meilleures ventes aux côtés de vos auteurs favoris » et vous fait savoir qu'il peut concrétiser ce rêve pour la modique somme de 997 dollars. Peggy McColl a « lancé sans doute plus d'auteurs à succès que n'importe qui d'autre » et vous apprendra comment pour seulement 2 497 dollars.

Soupir.

Autrefois, entrer dans la liste des best-sellers était une véritable marque de distinction parce qu'il y avait moins de listes et moins d'auteurs (et avant le format numérique, la tarification des livres était également assez universelle). Publiée sous une forme ou une autre, la liste du New York Times fait, depuis 1931, partie des plus prestigieuses. En 1942 est apparue une liste nationale compilée d'après les « résultats des plus grandes librairies dans 22 villes ». Au milieu des années 2000, plus de 4000 librairies étaient sondées chaque semaine afin de déterminer qui méritait de figurer sur la liste. Instaurée en 2009, la liste du Wall Street Journal repose sur Nielsen Bookscan (le système qui permet de connaître les ventes réalisées en librairie aux États-Unis — N.d.T.) et porte toujours sur un nombre plus restreint de catégories. Celle de USA Today est également prestigieuse mais davantage fourre-tout.

N'importe qui dans le milieu vous dira que ces listes ont leurs inconvénients. Il existe une partialité éditoriale à peine dissimulée. Sans raison apparente, Bookscan, la base de données qui compile les ventes de livres, n'inclut pas celle des livres électroniques sur Amazon. Une manipulation est toujours possible comme évoqué, en 2013, dans un article du Wall Street Journal intitulé "Le mystère du pic des ventes de livres". Toutefois, elles restent relativement difficiles à pirater. Dans la plupart des cas, votre livre doit non seulement être suffisamment bon pour qu'un éditeur légitime le publie mais vous doit se vendre mieux que tous les autres, passés et actuels même si vous payez de votre poche. Nous avons eu des clients qui ont vendu près de 10.000 exemplaires en une seule semaine et n'ont pas réussi à figurer dans ces palmarès.

En raison de cette barre haut-placée, le terme d'« auteur à succès » avait un certain poids et était perçu comme une distinction obtenue par un travail acharné. Mais aujourd'hui, cette désignation a été altérée. Un peu comme quand vous voyez un aliment qualifié de « naturel ». Cette appellation n'étant pas régulée par le FDA (agence américaine chargée de la surveillance des denrées alimentaires et des médicaments — N.d.T.), elle est sans signification réelle.

Il est temps que les lecteurs — et les médias qui reprennent en toute hâte les allégations de succès de ces auteurs — se réveillent. Je vais donc vous montrer comment je suis devenu N°1 des ventes sur Amazon en moins de cinq minutes pour 2 dollars avec une photo de mon pied (avec captures d'écran et preuves à l'appui). Espérons, comme le dit mon associé Ryan, qu'une fois que l'on a compris comment sont fabriquées les saucisses, on ne veuille plus en manger.

Étape 1 : Écriture de mon livre (~2 secondes)

Je n'avais pas envie d'écrire un livre alors je me suis contenté de prendre une photo de mon pied. J'ai intitulé mon livre Putting My Foot Down et ajouté une page avec, vous l'aurez deviné, une photo de mon pied.

Étape 2 : Téléversement et formatage sur Amazon (~3 minutes)

On dit que choisir un titre est l'étape la plus difficile de l'écriture d'un livre. Je ne le sais que trop !

Vérification des droits et choix des catégories

Amazon dispose de son propre classement pour les livres en fonction des catégories. Si vous figurez dans le Top 100 de votre catégorie Amazon, vous verrez un « classé meilleures ventes » sous le titre. Un livre de n'importe quelle catégorie arrivant en première position sera étiqueté de la bannière « N°1 des ventes » à côté du titre. Ce qui informe les clients potentiels que le livre figure dans la liste des meilleures ventes de cette catégorie. Quand un livre demeure en haut de cette catégorie pendant des mois, ça a du poids. Mais y figurer pendant une heure (ce qui correspond à la fréquence d'actualisation des classements sur Amazon), en faire des captures d'écran et se prétendre ensuite « auteur à succès » pour la vie ? Heu…

Autres points à connaître si vous souhaitez essayer vous-même :

  1. Amazon propose plus de 500 catégories de livres avec des trucs aussi pointus que les mouvements trans-personnels et les études franc-maçonniques (comme vous verrez ci-dessous).
  2. Quand vous publiez sur Amazon, la plateforme vous permet de choisir la catégorie qui sied à votre livre.
  3. Vous pouvez fixer le prix de votre livre à hauteur de 0,99 $ minimum.

J'ai décidé que mon pied était digne de figurer dans les sous-catégories Trans-personnel de la catégorie Psychologie et Franc-maçonnerie & société secrètes de la catégorie Sciences sociales. J'ai toujours rêvé d'être affilié aux francs-maçons.

Création de ma couverture

Amazon propose un générateur de couverture bien pratique pour ajouter du texte à n'importe quelle image et créer une couverture en quelques secondes. J'ai choisi la photo de mon pied.

En attente de l'approbation d'Amazon

La pire étape de la procédure, c'est l'attente. Et si Amazon rejetait mon pied ?

Peu importe, on est approuvés !

La page Amazon est en ligne

À peine quelques heures plus tard, un nouveau livre vient s'ajouter à l'extraordinaire catalogue d'Amazon. Un petit pas pour moi… un pas de géant pour le monde numérique.

Étape 3 : Demander à trois amis d'acheter le livre (~1 minute)

Aaron me soutient toujours sans poser de questions :


— Suis en train de dîner. Qu'est-ce qu'il y a?
— Besoin que tu achètes le livre écrit
par mon pied avec juste une photo de mon pied.
— Fait.

Le temps investi dans cette promotion aurait pu être encore plus court si Nick n'avait pas posé tant de questions irritantes.


— Est-ce que tu pourrais, s'il te plaît, acheter le livre
de mon pied qui est une photo de mon pied ?
— Ha ha ha quoi
Ha ha
Laisse tomber la colle, tu veux bien

Étape 4 : Vente de quelques exemplaires

Je fais irruption sur le marché avec trois exemplaires vendus dans les premières heures. Visez un peu cette croissance en crosse de hockey !

Étape 5 : ON Y EST ARRIVÉS ! N°1

Bingo ! Les gosses, juste pour rappel : si vous travaillez dur, disposez d'un iPhone avec une caméra qui fonctionne et que vous n'avez aucun scrupule, vous aussi vous pouvez devenir des auteurs à succès. Quel pied de voir cette bannière « N°1 des ventes » ! C'est le moment de me passer Drake en boucle et d'actualiser mon profil LinkedIn pour y inclure « Auteur numéro 1 des ventes ».

Et pas juste sur une seule liste. Le livre était si populaire qu'il est également arrivé deuxième et troisième dans la catégorie Franc-maçonnerie.

En tête de peloton. Désolé Monika et Ken.

Amazon est le plus gros détaillant au monde pour la vente de livres. Il propose plus de 33 millions de titres qu'il expédie presque partout dans le monde. En même temps, Amazon permet aussi aux auteurs de publier leurs titres directement sur sa plateforme sans l'aval des éditeurs, correcteurs classiques ou, comme le démontre mon livre de pied, sans la moindre barrière. En 2014, tout les cinq minutes, un nouveau livre était ajouté sur Amazon.

Fini le temps où il fallait être sélectionné pour sortir un livre. Fini le temps où il fallait se déplacer en librairie pour voir ce qu'on pouvait acheter. Aujourd'hui, on peut le faire en ligne avec des critiques en temps réel ET des classements de « meilleures ventes » en temps réel. Il n'est pas surprenant qu'avec l'abaissement des barrières pour pénétrer le marché du livre, il en soit de même de la qualité des ouvrages produits. Actuellement, plus d'un million de livres sont publiés chaque année dont au moins la moitié en auto-publication. Compte tenu du volume, il va de soi qu'on puisse manipuler les règles pour se retrouver en tête d'une catégorie avec très peu de ventes. Et pourtant, en dépit du fait que ce soit aussi facile que je l'ai démontré de devenir tête des ventes sur Amazon, ces mêmes personnes tirent profit de la côte d'estime et du prestige conférés par le titre d'« auteur à succès ».

Je n'ai pas écrit ceci pour rendre mon pied célèbre. J'ai écrit cet article parce je suis las des titres de vanité et du succès sans qualité. Je voulais également démontrer combien il est simple de se prétendre auteur à succès dans l'espoir que les personnes qui achètent des livres fassent davantage preuve de discernement dans leurs achats. N'oubliez pas que si je peux faire de mon pied un succès de vente pour moins de 3 dollars et quelques minutes de travail, vous devriez afficher quelque réserve envers quiconque se présentant comme tel.

Aux auteurs, j'espère que mon histoire montrera que la meilleure tactique de marketing pour un livre est d'écrire un ouvrage de qualité qui se vendra sur le long terme. Il est facile de se laisser séduire par les listes de meilleures ventes, les chiffres de vente, les honoraires de conférence et tous les éphémères dans cette industrie. Ne laissez pas tout cela vous faire perdre de vue l'importance de la qualité et de l'autorité dans votre travail. Tout le monde peut être star d'un jour ; concentrez-vous sur la création d'un livre qui se vendra pendant des décennies.

En ce qui nous concerne, mon pied et moi, nous attendons l'appel d'un studio de cinéma pour les droits d'adaptation et travaillons d'arrache-pied à une suite dont le titre provisoire est Put The Right Foot Forward (avancez du bon pied). Liste du New York Times, nous voici !

Texte original de BRENT UNDERWOOD traduit de l'anglais par EY@EL
© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

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U4

Depuis le début de l'année, je suis prise d'une boulimie de lecture. En moins de cinq mois, j'ai bien dû dévorer pas loin d'une trentaine de bouquins, fiction et non-fiction tous confondus. Ouvrages de psychologie (Christel Petitcollin), romans initiatiques (Haraki Murakami, Laurent Gounelle), thrillers (J.K. Rowling alias Robert Galbraith), BD, fantasy et surtout beaucoup de sagas françaises dites « jeunesse »  comme la Passeuse de Mots, Projet Starpoint et U4 que j'ai eu envie de vous présenter sous forme vidéo. Ceci dit, la version texte ci-dessous comporte des extraits choisis en bonus.

U4, une série chorale

U4 est un ensemble de quatre romans, parus en 2015, de quatre auteurs français, écrits au présent, à la première personne et pouvant se lire indépendamment. Chaque livre se déroule au même moment, dans le même univers et avec cette particularité que le personnage principal de l'un devient un personnage secondaire des trois autres.

L'univers de U4 est un contexte post-apocalyptique où, en quelques jours, plus de 90% de la population mondiale est décimée par un filovirus méningé appelé U4, tuant, en moins de 48h, tous ceux qu'il infecte. Les seuls survivants sont des adolescents et certaines factions protégées de l'armée et du gouvernement.

Je ne te dis pas qu’on va construire d’un claquement de doigts un monde qui nous convienne. Mais au moins, on essaye d’être autonomes, de s’en sortir, de gérer un peu tout ce merdier, parce que, après tout, on ne les connaît pas, les adultes qui ont survécu, les soldats, les politiques qui ont bénéficié d’une protection spéciale. Imagine, s’il s’agit de despotes ou de pervers qui abusent de leur pouvoir. Je ne vais pas laisser ma vie entre leurs mains.

Déjà la nourriture et l'eau potable commencent à manquer. Puis c'est au tour des réseaux de communication et de l'électricité de s'éteindre.

Les rats envahissent les villes. Les chiens redevenus sauvages s'organisent en meutes et s'en prennent aux humains.

Des pilleurs en bandes organisées s'attaquent aux commerces et aux habitations pour s'accaparer les biens de première nécessité mais également les armes. Certains jeunes des quartiers appellent cela le Grand Retournement où sans le pouvoir de l'argent, qui ne sert désormais plus à rien, ceux qui ont toujours dû se battre pour survivre deviennent les favorisés. Mais en réalité, c'est toujours le même monde du chacun pour soi, de la haine, de la peur et de l'ego.

Jusqu’à aujourd’hui, je croyais me battre pour une justice méritée après des années de galère, à trinquer pour les autres et à enrager contre ceux qui ont eu la vie facile depuis leur naissance. Qui ont toujours obtenu ce qu’ils ont demandé pour Noël. Pauvres contre riches, ça me paraissait une vengeance équitable. Sauf que parmi ces riches ou ces gens plus aisés que nous se trouvent aussi des gens comme Yannis, qui n’ont jamais fait de mal à personne. Est-ce que nous devons les juger parce qu’ils ont plus d’argent que nous ? les condamner pour une chose dont ils ne sont pas responsables ? Pourquoi facilitons-nous la tâche de U4 ? Pourquoi nous détruisons-nous comme le fait ce virus en tuant de manière anonyme et injuste ?

Cette population d'ados traumatisés et manipulables est pain béni pour les militaires qui, peu à peu, sous prétexte de protéger les survivants des maladies et des gangs ultra-violents, mettent en place une loi martiale implacable, digne des pires dystopies.

La vision des affiches Wanted collées sur les murs du lycée Claude-Monet surgit dans mon esprit. Elles encouragent les survivants à aider les militaires à traquer les terroristes. Jérôme y voit un « appel à délation » et il nous a alertés : « Nous ne savons pas si ce sont vraiment des terroristes, nous ne sommes pas à la solde de l’armée, donc nous ne dénonçons pas. » Telle est la ligne de la communauté. Nous qui sommes des hors-la-loi, sommes-nous aussi considérés comme des terroristes désormais ?

Le 1er novembre, avant-dernier jour de fonctionnement du réseau mondial Internet, les joueurs de niveau Expert d'un jeu en ligne appelé Warriors of Time (les Guerriers du Temps) reçoivent un message d'espoir de Khronos, le maître du jeu, leur donnant rendez-vous, le soir de Noël, sous la plus vieille horloge de Paris pour remonter le temps et changer le cours des événements.

J’aimerais un monde différent d’avant. Un monde où j’aurais les mêmes chances… que toi, par exemple. Que tout le monde. […] Un monde où tout serait simple, parce qu’on n’aurait pas besoin de grand-chose, finalement. J’aimerais vivre comme Elissa. Plonger mes mains dans la terre pour y faire pousser à manger, pour moi, pour ma future famille, pour d’autres gens aussi, qui ne sauraient ou ne pourraient pas le faire. Un monde où les seules choses qui compteraient, ce seraient le vent, le soleil, la pluie, les rivières, les saisons. Les amis.

Venus des quatre coins de France, Jules, Koridwen, Yannis et Stéphane font partie de ces Experts et U4 est leur histoire.

Les romans et recueil de nouvelles

  • Jules de Carole Trébor, 2015
  • Koridwen de Yves Grevet, 2015
  • Yannis de Florence Hinckel, 2015
  • Stéphane de Vincent Villeminot, 2015
  • Contagion (collectif), 2016

Les BD inspirées des romans

  • Jules, 2022
  • Koridwen, 2022
  • Yannis, 2022
  • Stéphane, 2022
  • Khronos, 2022

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Ici et seulement Ici (3)

Les profs fantômes

EYAEL : Les profs ont l'air de fantômes. Un peu comme s'ils faisaient juste partie du décor ou bien qu'ils appartenaient à une autre dimension.

CHRISTELLE DABOS : Ça fait partie des choses qui m'avaient été beaucoup reprochées par des enseignants. Il y a des enseignants qui ont lu le livre et n'ont pas apprécié parce que, justement, ça ne donnait pas une belle image du corps enseignant.

Mais moi, au moment où j'ai écrit le livre — encore une fois, le titre original, c'était les Contes d'Ici et seulement Ici, ce n'était pas une sorte d'état des lieux du système pédagogique actuel.

Je me rappelle que quand j'étais au collège, tout ce qui était le corps professoral, c'était des fantômes. Je n'ai pratiquement aucun souvenir des cours, de ce que j'ai appris. Je me souviens des cours de récréation. Je me souviens de ce qui se passait entre les heures du cours. C'est ce qui m'a personnellement beaucoup marquée. Et je me dis qu'en fait, c'est là que se faisait une grosse partie de l'apprentissage. Ce n'était finalement pas avec le savoir théorique en classe.

Et donc dans cette histoire-là, clairement, ce sont doublement des fantômes. D'abord parce que c'est une volonté de ma part de les mettre vraiment à la marge. Et également parce que, comme c'est écrit du point de vue des jeunes, pour eux aussi, en fait. Les enseignants sont plus présents qu'ils ne le pensent. C'est juste qu'eux aussi ont des angles morts. Ils ne voient que ce qui est leur réalité immédiate. Ils en font en partie quand même.

J'en ai eu plusieurs retours d'enseignants qui m'ont dit, « Oh la la, ça ne fait pas envie. Et ça ne donne pas une belle image de notre métier. » Je me suis quand même sentie mal parce que ce n'était tellement pas mon intention. Je n'avais aucune volonté dénonciatrice, mais pas du tout.

C'est un peu comme dans — excuse-moi le parallèle — Batman. Pour que la figure de Batman émerge, il faut un système policier qui soit au mieux incompétent, au pire corrompu. Si le système faisait correctement son job, la figure de Batman ne pourrait pas émerger. Et c'était un peu le but aussi. Si ça avait été un collège où tout se passait bien, avec une communication et tout, peut-être que ce n'aurait plus du tout été la même histoire. Ce n'est pas ça que j'allais raconter.

En fait, le problème Ici, ce n’est pas tant que ça ne change pas. C’est plutôt que tout recommence. Et j’ai peur.

~ La remplaçante

Je n'ai aucune volonté dénonciatrice, à tout point de vue, parce que c'est plutôt le système qui se met en place. Cette mécanique qui se reproduit de cour de récréation en cour de récréation ; de génération en génération. Et c'est comme un cycle sans fin. Les gens se voient vite coller cette étiquette. Il y a évidemment les victimes, les bourreaux et les personnes qui ne rentrent ni dans cette catégorie ni dans l'autre mais qui sont prises entre deux feux.

Intemporalité sans internet

EYAEL : Cette histoire pourrait se transposer n'importe où n'importe quand sauf que les technologies actuelles ne semblent pas en faire partie. Et avec cette dimension d'Internet, penses-tu que l'histoire aurait pu se terminer de la même manière ?

CHRISTELLE DABOS : Alors, effectivement, j'avais vraiment envie de donner une dimension la plus intemporelle possible. D'ailleurs, à la base, le titre originel n'était pas Ici et seulement Ici mais les Contes d'Ici et seulement Ici.

Et en fait, j'ai quand même fait mention de certaines choses pouvant  laisser entendre qu'ils ont peut-être des téléphones. Mais c'est très discret. Par exemple, je dis à un moment donné, qu'il y a un trafic de vidéos dans la classe. Ils s'échangent des vidéos mais je ne dis pas quoi. Il y en a un qui a une console de jeu. On va dire que ce sont de petits indicateurs que l'on n'est pas au début du XXe siècle.

Mais clairement, pour moi, ce n'était pas ce que j'avais envie d'explorer. Il faudrait presque faire un roman dédié pour parler de cyber-harcèlement. Je me suis dit, « non, je ne vais pas rentrer dans cette dimension-là. Je vais juste rester sur le terrain de Ici ». Surtout que le but, c'était vraiment parler du lieu. Je me suis dit, « là, avec Internet, on risque de sortir un petit peu de ça ». Mais effectivement, ça pourrait être intéressant d'explorer une histoire, partir sur le même postulat mais cette fois-ci, en y allant à fond avec Internet.

C'est tellement difficile pour moi déjà d'imaginer ce qu'ils peuvent vivre avec cette dimension d'internet très présente par rapport au collège. Donc je ne sais pas honnêtement.

EYAEL : Cela ne risque-t-il pas d'être un obstacle à l'identification des jeunes de maintenant ?

CHRISTELLE DABOS : Je sais que moi, quand j'étais une collégienne, je n'avais aucun problème à m’immerger dans des romans qui parlaient d'univers de collège mais au XIXe siècle.

Je me souviens, par exemple, du Petit Chose d'Alfonse Daudet où ça commence vraiment dans une sorte de pensionnat où au début, le Petit Chose est un pion. Bon, clairement, c'était très loin d'atteindre ce que moi je vous pouvais connaître mais les thématiques étaient là. C'était le bouc émissaire. Et pour moi, l'identification, elle était totale.

Ou Poil de carotte (de Jules Renard). Poil de carotte, je l'ai adoré. Je l'ai lu au collège justement. Je l'ai lu et relu. C'est extrêmement dur.

Le harcèlement scolaire

EYAEL : Le harcèlement scolaire est un sujet tabou dont on parle beaucoup en ce moment mais, en réalité, rien n'est vraiment fait. Du coup, ton livre tombe un peu à pic.

CHRISTELLE DABOS : En fait, avec cette thématique du collège, de ce qui se passe entre ses murs dont notamment le harcèlement mais pas que — c'est là que je me rends compte (en fait peut-être moins aujourd'hui) qu'il y quand même une sorte de tabou parce que c'est quelque chose que je n'ai abordé avec personne pendant très longtemps. Avec toutes les personnes, les amis que je me suis fait par la suite, on n'aborde pas ces sujets-là.

Et du coup, lorsque le livre est sorti et que j'ai eu des foules de témoignages de personnes qui m'ont dit, « voilà pour quelle raison ce livre m'a secoué », je trouve que c'est presque inquiétant. En fait, je me rends compte que neuf personnes sur dix ont très mal vécu leurs années-collège. Proportionnellement, ça fait peur.

Et là, je me suis dit, « tiens, mais moi, j'ai l'impression d'être toute seule ». Quand j'étais au collège, je me sentais très isolée. J'avais l'impression que ça se passait bien pour tout le monde sauf pour moi. Et là je réalise que c'était souffrance pour beaucoup de personnes.

De mon ressenti, c'est une sorte de micro-société où on va retrouver tout ce qui se passe à un plus grande échelle par la suite. L'école primaire ne prépare pas du tout à ça. On passe d'un côté très entouré, très enveloppé, très encadré et puis tout à coup, il y a de nouveaux codes mais ils ne sont pas dits. Ils sont extrêmement tacites. Et quand on n'a pas le mode d'emploi, ce n'est pas évident.

Moi, j'ai eu la chance de ne pas connaître les réseaux sociaux quand j'étais au collège. Vraiment, je me dis, « oh la la, aujourd'hui au collège, vivre avec tout ça ». C'est du harcèlement ce truc-là. Ça veut dire qu'avant, quand on quittait le lieu, on le quittait. L'idée d'y retourner n'était pas agréable mais une fois qu'on l'avait quitté … Alors que là, avec les réseaux sociaux, ça poursuit jusque chez soi. Il n'y a plus de coupure, en fait. Ça peut continuer. C'est là, je me dis, ça devient assez terrifiant.

EYAEL : Mais est-ce que les personnes qui ont été victimes de harcèlement scolaire ont vraiment envie de se replonger là-dedans ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, même toute la question qui s'est posée pour ce roman,
c'était justement « qui est le public cible finalement ? » On s'est posé la question et on se la pose toujours.

En fait, pour la Passe-Miroir, en fin de compte, c'était beaucoup des parents — beaucoup des mamans qui avaient lu le livre, qui voulaient juste voir si c'était adapté pour leurs enfants et qui finalement sont devenues mes premières lectrices. Et après, elles ont transmis le livre à leurs enfants. Mais lorsque les mamans lisent Ici et seulement Ici, elle se disent « Je n'ai pas envie que mon enfant lise ça. Ça me fait peur ».

Ça fait peur soit parce qu'ils s'apprêtent à rentrer au collège, soit parce qu'ils sont en plein dedans et elles ont peur de faire peur à leur enfant. Donc Gallimard avait estimé qu'à priori ça s'adressait plutôt à des personnes qui étaient en train de sortir du collège ou qui en étaient vraiment sorties. Finalement, le public cible n'était pas le collégien mais plutôt des personnes déjà à l'étape d'après.

Il y a des gens qui portent ça très longtemps en eux. À mon niveau à moi qui n'est pas forcément extrême, je me rends compte que j'ai traîné le collège à l'intérieur de moi pendant presque toute ma vie. Et en fait, pour pouvoir en sortir, il a fallu que j'écrive ce livre. Je me suis dit, « tiens ça y est, maintenant je peux dire que je suis sortie du collège ».

EYAEL : Je ne sais pas si te souviens de "College Boy", ce fameux clip d'Indochine au début des années 2000, qui montrait un collégien harcelé par ses camarades et qui finit littéralement crucifié avant d'être fusillé. Ça avait fait un scandale et ça avait été carrément censuré en France.

CHRISTELLE DABOS : Toi, tu parlais du clip d'Indochine. Moi, je pense à des dramas japonais, coréens sur lesquels je suis tombée. Il y en a beaucoup qui abordent cette thématique de façon très frontale, je trouve. Eux, ils vont ! Vraiment, ils montrent des scènes — la façon dont ça se met en place. Donc très vite, quelqu'un peut se retrouver mis en marge d'une classe. Et toutes les violences d'abord psychologiques voire physiques qui peuvent s'ensuivre. Parfois ça va très, très loin. Et il y en a beaucoup. Pour moi, ça a été même étonnant. Ce n'est pas si souvent que je vois une mise en scène ainsi, que c'est traité, montré. Effectivement, c'est très dur mais ça correspond à quelque chose — à une réalité.

C'est ce qu'on disait tout à l'heure. Au final, c'est un microcosme qui est le reflet de quelque chose qui se passe à une plus large échelle. Ça commence à se mettre en place à ce moment-là.

Nouveau livre à venir

EYAEL : Est-ce que tu as d'autres projets d'écriture en cours ?

CHRISTELLE DABOS : Ce que je peux au moins dire car ça, à priori, je pense que c'est sûr, c'est qu'il y a un roman qui va sortir chez Gallimard Jeunesse en novembre.

C'est le fameux roman dont je parlais au tout début, que j'avais commencé juste après la Passe-Miroir et qui a été interrompu momentanément par l'écriture de Ici et seulement Ici.  Du coup, il fait assez trait d'union entre les deux.

Après, en termes d'univers, au sens strict, c'est de la fantasy puisque ce n'est pas notre monde et ce n'est pas exactement notre humanité. Ça y ressemble beaucoup mais c'est un peu comme pour la Passe-Miroir. Ça ressemble beaucoup mais ce n'est pas.

Sauf que cette fois-ci, je me suis beaucoup inspirée des années 80 en terme d'ambiance générale. C'est mon enfance hein! J'ai dit « je veux des baladeurs, je veux des rollers, je veux des minitels… » En termes de coloration, j'avais un peu envie de cette texture-là des années 80. Mais voilà, au sens strict, c'est de la fantasy et Gallimard Jeunesse, je pense, va davantage spécifier en parlant plutôt de dystopie.

Comme ça s'est écrit juste après la Passe-Miroir et avant Ici et seulement Ici, ça devrait se sentir même si je l'ai repris après avoir fini Ici et seulement Ici. Je pense qu'on va sentir effectivement qu'il y a un côté Passe-Miroir et un côté Ici et seulement Ici et qu'en même temps, ça ne ressemble à aucun des deux.

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Ici et seulement Ici (2)

Le pourcentage de vécu

EYAEL : Dans ce livre, on sent vraiment  que tu vas chercher très loin dans l'émotionnel et qu'il y a forcément une grande part de vécu là-dedans. Quel pourcentage d'après toi ?

CHRISTELLE DABOS : Les chiffres, c'est pas du tout mon truc donc je ne vais pas me hasarder vers un pourcentage. Mais je pense qu'il n'y a pas une seule page du livre qui ne contienne pas une allusion  à quelque chose que j'ai soit vécu directement ou dont j'ai été témoin et qui m'a marquée. Après, c'est très transformé parce que tout ne m'est pas arrivé textuellement et parce qu'il y a quand même une dimension magique dans ce texte. J'ai puisé joyeusement dans ce vécu-là.

C'est vrai qu'il n'y a pas très longtemps, j'ai l'occasion de lire un extrait du livre alors que je ne l'avais pas relu depuis et je suis dit, « oh, c'est moi qui ai écrit ça ? Ah oui, c'est vrai. C'est chaud quand même ! » En fait, avec le recul, c'est vrai que c'est quand même assez fort de café. Au moment de l'écriture, ce n'était pas vécu du tout pareil. Et c'est là que j'ai remarqué un décalage extrême entre ce que moi j'ai ressenti à l'écriture et la façon dont ça a pu être vécu du côté de la lecture.

Je sais que dans la toute première version, quand j'avais voulu écrire une histoire sur le collège avant la Passe-Miroir, j'avais clairement un parti pris. Je pense que j'avais de la rancœur. Un mélange de rancœur et de culpabilité. Et j'avais envie de régler des comptes, ce qui est une très mauvaise raison. Et heureusement, ça ne s'est pas fait. De toute manière, très vite, ça sonnait faux à l'intérieur et très vite, je me suis arrêtée.

Alors que là vraiment, lorsque ce livre m'est venu, je n'avais pas envie du tout de régler mes comptes mais plutôt de voir les choses de leur point de vue. Je me dis que peut-être ce n'était pas si facile non plus, que c'est une sorte de jungle finalement, et que c'est un mécanisme de défense comme un autre.

Alors après, je n'irai pas jusqu'à cautionner tout. Mais comprendre un autre point de vue que le sien, je pense que c'est ça qui m'a le plus libérée. C'était de sortir de moi,
de ma petite histoire personnelle, me désengager de ça. Me dire, « OK, je vais revenir dans l'arène mais avec d'autres points de vue qui n'étaient pas forcément les miens et tous les personnages ne me correspondent pas. »

Les personnages n'ont rien à voir avec moi mais ça me permet tout d'un coup de voir les choses différemment. C'est un autre angle de vue et on peut comprendre. Ce qui ne veut pas dire cautionner. Il n'y a pas de jugement. Disons que ce n'est pas autobiographique qu'au sens strict. Sinon j'aurais fait un récit de vie et personnellement, j'aurais trouvé ça beaucoup moins intéressant.

Mais le but, c'était effectivement de sortir du prisme étroit de ce que moi, j'avais vécu, la façon dont j'avais perçu et de me demander, « tiens, ces personnes que j'ai côtoyées, comment de leur côté, c'était perçu ? Comment ça a été vécu ? » Et pour moi, l'incarner du point de vue de l'écriture, ça a été passionnant. Je me suis dit, « tiens, là vraiment, je sors complètement de ma petite histoire personnelle et ça devient plus vaste que moi toute seule ».

Ça veut pas dire forcément que je vais taper juste mais j'essaye. J'essaye de voir des choses sous un autre angle que le mien au sens strict.

Influences

EYAEL : Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec Ça de Stephen King. Même si les univers sont différents, les thématiques sont les mêmes à savoir les adultes qui ferment les yeux et manquent totalement de présence ; les cycles qui se répètent ; les disparitions ; et même quelque chose de similaire aux fameuses « chiottes de l'enfer ».

CHRISTELLE DABOS : Alors, je dois faire une confession, je n'ai lu, je crois, aucun roman de Stephen King. Je pense que le seul que j'ai lu, c'est son essai sur l'écriture.
En fait, je connais très très mal son univers. Mais c'est troublant. Vraiment troublant.

EYAEL : Ça m'a aussi fait pensé à Haraki Murakami, un auteur japonais que m'a fait découvrir un ami — parce qu'on est en plein réalisme et pourtant on glisse sans s'en rendre compte vers une dimension un peu surnaturelle sans pour autant être dans un roman fantastique à proprement parler. La frontière entre les deux est vraiment ultra floue.

CHRISTELLE DABOS : Pour la dimension surnaturelle, je m'en suis pas rendu compte sur le moment. Ce n'est qu'après coup quand on m'a posé la question. On m'a dit, « Mais en fait, c'est quoi le genre du livre ? » Donc avant même que ça sorte en librairie, avec Gallimard Jeunesse, on s'est beaucoup interrogés. Et en fait, c'est vrai, c'est quoi ?

Et en réfléchissant, j'ai pensé au réalisme magique qui est un courant littéraire sud-américain. Et en fait, lorsque j'étais étudiante, j'ai fait quelques années d'études d'espagnol et j'ai lu des romans issus de ce courant littéraire. Je pense à notamment Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Je pense qu'on peut y inclure la Maison aux esprits d'Isabel Allende. Et il y a un roman que j'ai adoré qui s'appelle Maison de campagne de José Donoso qui a cette atmosphère … exactement ce genre de lieu clôt où il y a une sorte de cohabitation entre une réalité très dure, très crue, et une dimension, un petit pas de côté qui fait qu'on se pose la question de l'interprétation — de se dire, « Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est vraiment cette dimension surnaturelle ? Ou est-ce que ce sont les personnages qui partent dans un délire ? » C'est très difficile de trancher. Et moi j'adore ça. Cette incertitude.

Mais l'incertitude n'est pas toujours bien vécue. Je pense qu'il y a des lecteurs qui préféreraient que ce soit plutôt tranché et que ce soit dit. Le fait, qu'en quelque sorte, ce soit à eux de décider, il y en a certains qui aiment et d'autres qui n'aiment pas du tout. Je pense que je ne ferai pas toujours systématiquement les mêmes fins mais là, en l'occurrence, pour moi, ça avait du sens. Après, c'est comme une sorte de balance et que je la fait quand même pencher plus d'un côté que de l'autre. Mais voilà, les fins complètement fermées ou qui apportent des réponses très binaires, ce n'est pas là où je me sens le mieux. J'ai envie de proposer autre chose.

Les personnages

EYAEL : Vincent et Sofie sont, pour moi, les deux personnages les plus importants dans cette histoire dans le sens où ils font vraiment évoluer les autres ainsi le récit lui-même. Pourtant, il ne font pas partie des narrateurs de ce roman choral. Était-ce intentionnel ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, avec le recul mais pas au moment de l'écriture, je me rends compte qu'en fait, je ne parle pratiquement que de binômes.

Parce que pour le personnage d'Iris, toute son histoire est par rapport à sa sœur — sa frangine ; pour Madeleine, c'est par rapport à Louise ; pour Guy, c'est par rapport à Sofie ; et pour Pierre, c'est en fonction de Vincent. Et là je me suis dis, « tiens, mais tous les personnages, en fait, se construisent aussi par rapport à un autre personnage ».

Et comme tu dis, les personnages de Vincent et de Sofie sont hyper intéressants. Ils proposent autre chose. Quelque chose qui sort complètement des codes du collège. Et quelque part, ils sont dans une zone un peu dangereuse. En l'occurrence, Vincent met en danger Pierre. C'est à la fois fascinant et dangereux.

Et Sofie, c'est la voie du milieu. C'est un de mes personnages préférés. Je pense que j'aurais adoré avoir une Sofie dans ma classe au collège. Elle voit clair. Elle voit que c'est une sorte de grande illusion finalement, que tout ça est un jeu — une sorte de pièce à théâtre où chacun a un rôle. Elle dit, « OK, non, c'est un jeu. C'est juste que moi, je ne rentre pas dedans. »

EYAEL : Les personnages ont tous des prénoms très évocateurs par rapport à ce qu'ils sont.

CHRISTELLE DABOS : Pour la Passe-Miroir, j'avais choisi tous les noms des personnages à l'oreille parce que ça sonnait bien. Et après, on s'est rendu compte que ça avait énormément de sens du point de vue étymologique et ce n'était pas voulu du tout. Ou alors, effectivement, c'est mon inconscient qui était sur le coup.

Là, je me suis dit, « non, je veux vraiment choisir les prénoms de façon extrêmement consciente et assumée ». Et je sais pourquoi je leur donne à chacun ce prénom-là.

EYAEL : Donc pour Iris, c'est celle qui voit tout…

CHRISTELLE DABOS : C'est exact !

Sofie m’a écouté avec… comment on dit déjà ? intensité. On dirait qu’elle touche mes mots de toute sa peau et qu’elle capte quelque chose par-dessous, un genre de sens caché qui moi m’échappe complet. J’écoute vraiment pas comme elle.

~ Guy

EYAEL : Sofie, la voix de la sagesse… Mais pourquoi avec un "F" ?

CHRISTELLE DABOS : Pour Sofie, j'avais fait une recherche. Je voulais juste connaître le nom le plus donné au monde pour les filles. Et il y avait Sofie, Sofia mais avec un F du coup, le PH étant extrêmement français. Je voulais que ce prénom soit le plus universel possible.

Je suis l’impair, le valet de pique, le pouilleux et personne peut me reprendre ça.

~ Pierre

EYAEL : Pierre, la dureté ?

CHRISTELLE DABOS : Alors, pour le personnage de Pierre, c'est le nom du valet de pique dans le jeu de cartes. En fait, je savais que les figures des jeux de cartes avaient des noms. Je connaissais ceux des rois et des reines mais pas des valets. Et quand j'ai vu que Pierre était celui du valet de pique1, je me suis dit, « alors là c'est parfait ! »

Par contre, c'est côté français. Je pense que ce n'est pas le même nom pour l'international2. Donc, ça, je crois que malheureusement, quand ça a été traduit, ils ont conservé les prénoms français. Ça aurait pu avoir du sens d'adapter les traductions en fonction des pays. Après, ce n'est pas très grave.

Pour Pierre, du coup, effectivement, ça tombe plutôt bien, parce que comme il est tout le temps voûté, il a ce côté un peu roc qui se pose là.

Et les coups, j’aime déjà pas particulièrement les donner, alors les recevoir…

~ Guy

EYAEL : Guy, le parasite ?

CHRISTELLE DABOS : En fait, pour la classe de Guy, je me suis énormément inspirée
de Robin des Bois. C'est vraiment une classe où il y a ces deux clans — ceux d'en haut et ceux d'en bas — avec cette collecte, ces impôts très lourds. Sauf que c'est une classe de Robin des Bois mais sans Robin des Bois.

Par contre, dans la légende de Robin des Bois, il y a un personnage un petit peu difficile à caser qui s'appelle Guy de Gisbourne et qui, en fonction des versions, est soit un mercenaire ou un cousin du shérif. Mais il est un petit peu ambivalent. On ne sait pas trop parfois dans quel camp il se positionne. Et pour ce personnage-là, je me suis dit, « tiens, lui, clairement, c'est pas un Robin des Bois ».

C'est pour ça que, d'ailleurs, il y a la figure du Prince. C'est vraiment le prince Jean.

C’est soit elle, soit moi ; il ne peut pas y avoir deux Choisies Ici.

~ Madeleine

EYAEL : Madeleine, comme Marie-Madeleine, la martyre ?

CHRISTELLE DABOS : Alors pour Madeleine, je me suis vraiment inspirée de Sainte Marie-Madeleine que dans ma tête, j'ai mixée — mais ce n'est pas dans le prénom — avec Jeanne d'Arc. Ce sont vraiment deux figures de saintes qu'on peut fusionner en une.

Vincent fredonne pendant toute la trigo. La haine qui embourbe la classe n’a aucune prise sur lui. C’est une île, Vincent, ça l’a toujours été ; du pacifisme en chair et en os, mais surtout en chair. Séparément, on est des impairs. Ensemble, on est rien.

~ Pierre

EYAEL : Vincent me fait penser à Saint Vincent, mort en riant et en chantant des supplices qu'on lui a infligé.

CHRISTELLE DABOS : Ah, non, je ne savais pas. Alors, pour Vincent… je ne sais plus pour la classe de Pierre. C'est un nombre forcément impair, je crois qu'il y est dans une classe de 25. Et en fait, Vincent, c'est tout bête : c'est 20-100. C'est un nom-chiffre. Il y a des noms, comme ça. C'était vraiment une question de chiffre aussi pour que dans cette classe-là, Pierre se retrouve impair.

Notre preuve de la distorsion du champ de réalité intra-muros est une substance non identifiée que nous avons appelée « le schmoïlle ». Le schmoïlle est à l’origine même de la fondation du Club Ultra-Secret, lorsque Numéro Un a découvert son existence forti… fortuitement dans un caniveau du collège qui évacue les eaux usagées. Le schmoïlle a ceci de sépi… spéfi… spécifique qu’il ne s’écoule dans le caniveau qu’une seule et unique fois par semaine, toujours un jeudi et toujours à 14 h 28 très exactement, mais jamais pendant les vacances scolaires.

~ Le Club Ultra-Secret

EYAEL : Et le Club Ultra-Secret sont un peu « complotistes », non ? En ce sens où qu'ils se posent plein de questions, investiguent et remarquent toutes les choses bizarres que les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir. Cette histoire avec le « schmoïlle », notamment, ne pourrait-elle pas faire penser à la pollution des nappes phréatiques ?

CHRISTELLE DABOS :  En fait, moi-même quand j'étais enfant — c'était juste avant d'entrer au collège, avec mon petit frère et mes voisins, on explorait un peu notre quartier et on est tombés sur une substance hyper bizarre dans un ruisseau. Et pour nous, ça ne faisait pas un pli : c'était soit des extraterrestres, soit une substance fantomatique. Et comme on venait de voir SOS Fantômes au cinéma…

Le truc, c'est qu'on ne se rappelait pas du terme. Le véritable terme, c'était « slime ». Mais nous, on l'avait oublié. Et du coup, c'était devenu « schmoïlle ». On l'a complètement déformé. On a pris des échantillons dans des tubes. Mon voisin avait la boite du Petit Chimiste et il a procédé à des expériences pour voir « tiens, si je mélange avec ça… »

Bon, ça rien donné, hein ! Mais s'il vous plaît, ne faites pas ça chez vous. Si vous trouvez une substance bizarre dans un ruisseau, ne touchez pas à ça !

On ne se rendait pas compte.

Je dois avouer que c'était vraiment un souvenir d'enfance que j'ai ré-injeté. Honnêtement, pour qu'on tombe sur cette substance bizarre, mes voisins, mon frère et moi, quand même, c'est qu'il y a un problème. Des enfants ne devraient pas tomber sur des substances ainsi hautement suspectes.

J'avoue que j'ai beaucoup rigolé avec le Club Ultra-Secret. Ils m'ont bien fait rire.

D'ailleurs, entre parenthèses, on ne connaît jamais leurs noms. C'est vraiment Numéro Un, Numéro Deux, Numéro Trois, Numéro Quatre… Et du coup, par conséquent, je ne voulais pas non plus qu'on connaisse forcément leur genre. Je ne précise jamais, à part pour le Numéro Trois. Et à cette exception près, pour les autres, on ne sait pas si ce sont des garçons ou des filles. Je ne le précise pas et ce n'est pas important.

Ceci dit, la question, c'était posée pour le livre audio parce que comme ils avaient engagé des comédiens — il me semble qu'il y avait une voix de fille. Mais voilà, moi à la base, comme c'était écrit, je me disais comme ça, on ne connaît pas du tout leur identité et ce n'est pas important.

Mais par contre, ils vont vraiment très, très loin dans leur réflexion. Et parce que là aussi, il y a cette dimension autobiographique. Moi, quand j'avais 13 ans — c'est l'année où je suis tombée sur des livres dans la bibliothèque de ma grand-mère où je me suis dit, « oh la la ! » Pour moi, si quelque chose était écrit dans un livre, c'était forcément vrai. Il y avait absolument zéro esprit critique de ma part. Si c'était écrit, si c'était imprimé, c'était forcément une vérité.

Je suis tombée sur des livres qui parlaient de toutes sortes de sujets ésotériques. Il y avait vraiment de tout. Et du coup, j'ai eu une phase adolescente où je voyais vraiment des signes partout. Pour moi, c'était le petit mix entre Madeleine et le Club Ultra-Secret. J'étais vraiment dans ces trucs-là.

Et là où je suis amusée avec eux, c'est que quelque part, ils n'arrêtent pas de prédire une apocalypse mais ils y participent. Ils restent dans les coulisses mais quelque part, ils ne sont pas si observateurs neutres que ça.

C'est vrai que l'humour va être très important. Ce n'est pas ce que j'ai écrit de plus léger, je dois dire, mais l'humour… Indépendamment d'eux, pour moi, il y avait des choses que j'ai écrites dans certains textes qui m'ont beaucoup fait marrer. Mais entre moi qui me tape sur les cuisses et le lecteur qui, peut être, se fend vaguement d'un petit sourire, il y a sans doute un petit décalage. Mais, bon clairement, avec le Club Ultra-Secret, je suis partie loin. Et j'ai beaucoup ri.

Et à ce niveau-là, j'ai beaucoup aimé ce qui a été fait avec le livre audio. D'ailleurs, toutes les personnes qui ont découvert Ici et seulement Ici en version audio ont toutes en commun qu'elles ont adoré l'histoire (ce qui est effectivement mon cas — Ed.) Effectivement, j'avais écouté les enregistrements et je trouvais que ça restituait vraiment bien l'esprit. Moi, c'est comme ça que je les entendais parler dans ma tête.

À suivre : troisième et dernière partie à paraître prochainement.

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