Idiotisme et idiocratie : vers l'avènement du Novlangue

L'idiotisme n'a absolument rien de crétin. L'idiocratie1, par contre, est le règne absolu de la bêtise et c'est, malheureusement, ce vers quoi nous allons tout droit à vitesse TGV si nous n'y mettons pas le holà : un monde d'où le bon sens sera banni ; un monde où penser par soi-même sera interdit, où l'amour des mots sera considéré comme une déviance et le langage correct une offense caractérisée. Vous ne me croyez pas ? Et bien, c'est que vous dormez ou que vous vivez dans une grotte. Non pas que ce soit une mauvaise idée par les temps qui courent...

Non, mais regardez un peu comment écrivent les jeunes d'aujourd'hui ! Je ne parle même pas des fautes d'orthographe : c'est carrément de la phonétique pataugeant allègrement dans l'anarchie grammaticale la plus complète. On met les mots à la suite au petit bonheur la chance et hop, ça fait une phrase et comprenne qui pourra. De toute manière, l'important n'est pas de faire passer un message — on s'en tape du lecteur — ce qui compte, c'est de montrer qu'on est là, de faire le « buzz », de s'exprimer quoi ! Je ne pense pas mais je « tweete » donc je suis. Heu, si vous le dites...

Ajoutez à cela, le phagocytage grandissant des idiomes2 avalisé par les médias, voire plus encore, sponsorisé par la boite à abrutir qui ne se donne même plus la peine de traduire les titres des films et des séries américaines qu'elle diffuse quasiment en boucle du matin au soir et du soir au matin. L'avènement d'Internet et des nouvelles technologies numériques n'a fait qu'accélérer le processus.

Le parler Djeun ou quand les rebelles collaborent avec l'ennemi

« Genre tu kif le çaisfran ! Du coup tu taf grave3. » 

Bon, je ne mets pas tous les jeunes dans le même sac et je ne me moque pas de ceux qui ont basculé dans l'illettrisme le plus total sous l'indifférence des adultes, trop occupés à servir le système, mais simplement voilà ce qui arrive lorsque l'on perd le sens des mots, et en l’occurrence, la double signification du terme « progrès » dont on ne retient visiblement plus que l’étymologie de mouvement mais dont on occulte totalement la notion d'amélioration. Force est de constater que le progrès n'est, somme toute, rien d'autre qu'une ignoble farce, la seule chose progressant réellement dans ce bas monde étant l'agenda des Élites : l'Idiocratie du Nouvel Ordre Mondial.

D'aucuns, pas encore trop « SMS-isés » (ou « texto-isés »), se font les défenseurs farouches de ce système dystopique. On les reconnait sur les forums spécialisés à ce qu'ils traitent systématiquement « d'ordinosaures » ceux qui émettent des réserves sur l'obsolescence programmée4. Les internautes qui, par manque de moyens (ou pour toute autre raison de laquelle ils n'ont pas à se justifier) continuent d'utiliser un système d'exploitation Necrosoft obsolète (selon l'évangile de St Bill, cela s'entend) s'y font limite taxer de dangers publics. C'est tout juste si ce ne serait pas de leur faute si Jean-Kévin se chope des virus en allant mater des vidéos pornos ou en téléchargeant des logiciels piratés sur les sites russes. Quand vous êtes victime de phishing, c'est à cause de la Mère Michu, bien sûr, qui n'a pas fait les mises à jour de son Vingt-Doses. Beam me up, Scotty !5

Mais revenons au sujet qui nous intéresse : le langage.

Allons-nous vers l'avènement du Novlangue ?

On dirait bien, malheureusement, que oui.

Le principe [du Novlangue6] est simple : plus on diminue le nombre de mots d'une langue et plus on fusionne les mots entre eux, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels les gens peuvent réfléchir en éliminant les finesses du langage, plus on rend les gens incapables de réfléchir, et plus ils raisonnent à l'affect. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les gens stupides et manipulables par les instruments de propagande massifs tels que la télévision. C'est donc une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l'expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation de critique de l’État, l'objectif ultime étant d'aller jusqu'à empêcher l'« idée » même de cette critique7.

Hé madame, vous ne nous avez pas encore dit : c'est quoi un idiotisme ?

C'est bon, j'y viens ! Je vous ai volontairement entrainés dans ce long détour afin que vous saisissiez l'importance du « bien-parler » qui va beaucoup plus loin que le simple respect (essentiel) du lecteur. L'idiotisme, vous l'avez sans doute deviné, est paronyme8 d'idiotie mais synonyme d'idiomatisme. Voici ce qu'en dit le Wiktionnaire :

Construction, locution propre à une langue et particulière à son génie.
« Cette maison n'est plus un amas de pierres superposées architectoniquement ; non, ce mot est, dans, la langue des flaneurs, un idiotisme intraduisible. »

Honoré de Balzac

J'aime beaucoup cette définition qui parle de génie car finalement, toutes ces expressions idiomatiques, qui donnent souvent du fil à retordre aux traducteurs de tout poil, sont bien ce qui fait la richesse d'une langue ; elles nous apportent des indications précieuses quant à l'évolution d'une culture, ses croyances, ses priorités, etc. Les Inuits, par exemple, disposent d'une centaine de mots pour désigner la neige alors que les langues occidentales sont très loin du compte.

Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans un long essai barbant et prétentieux sur la comparaison des langues. Si le sujet vous intéresse, et si vous avez fait un peu d'anglais, je vous conseille un petit livre assez court qui vous instruira tout en vous divertissant. Il s'agit de Sky, my husband ! Ciel, mon mari ! de Jean-Loup Chiflet.

Je ne cite pas ce livre par hasard car il m'amène au sujet que je voulais aborder : celui de la traduction notamment celle des expressions idiomatiques qui donnent souvent lieu à des contresens et autres maladresses fort ennuyeuses.

Traducteur, trahisseur ?

Malheur aux faiseurs de traductions littérales, qui en traduisant chaque parole énervent le sens ! C'est bien là qu'on peut dire que la lettre tue, et que l'esprit vivifie.

Voltaire

J'imagine que la plupart d'entre vous avez déjà tenté de traduire un texte sur la toile à l'aide de Google Traduction ou toute autre application de traduction assistée par ordinateur du même acabit. Les résultats obtenus sont, presque immanquablement, inexploitables tellement ils sont incohérents mais n'en sont pas moins hilarants dans certains cas. Les traducteurs humains ne pourront pas être remplacés par des machines tant que les idiotismes perdureront car trop de paramètres entrent en ligne de compte.

Pourtant, ce qui m'irrite au plus haut point, ce sont ces « traducteurs du dimanche » incompétents, qui sous prétexte de rendre service à la communauté, la desservent certainement plus qu'ils ne l'aident. Si les conséquences d'une mauvaise traduction sont souvent très fâcheuses en informatique où elles peuvent s'avérer dommageables à l'utilisateur d'un logiciel et jeter le discrédit sur son concepteur, elles n'en sont pas moins préjudiciables dans les autres domaines car, au final, c'est toujours l'expression originale qui s'en trouve flouée et le lecteur que l'on bafoue en lui proposant du charabia imbuvable comme s'il était un sauvage incapable de faire la différence entre un bon et un mauvais cru.

Je ne mâche pas mes mots, certes, mais c'est bien l'impression qui me reste en travers de la gorge chaque fois que je lis un texte traduit à la va-vite (et je vais sans doute me faire taxer de prétentieuse par ceux dont l'ego ne supportera pas d'entendre une telle ignonimie). Pour moi traduire c'est rendre hommage au texte original en cherchant à la fois à en restituer le sens intégral tout en respectant le niveau de langue et ce qu'en littérature on appelle la « voix » de l'auteur, même si cela est quasiment impossible. Comme le dit George Borrow9, « La traduction est, au mieux, un écho. »

Le plus important pour tout acte traductionnel est de faire en sorte que l'effet laissé sur le lecteur par la traduction soit identique ou équivalent à celui laissé par le texte source. Pour ce faire, il faut adapter, acclimater et chercher des équivalences.

Jean Claude Margot, Traduire sans Trahir

Pour ceux que cela intéresse, le processus de traduction peut être découpé en trois phases successives :

  1. compréhension : assimilation du sens véhiculé par un texte, du vouloir dire d'un auteur… ;
  2. déverbalisation : oubli des mots et conservation du sens ; « Opération par laquelle un sujet prend conscience du sens d'un message en perdant conscience des mots et des phrases qui lui ont donné corps » ;
  3. réexpression : reformulation du vouloir dire en langue cible7.

Dédicace

Maintenant, je terminerai mon coup de gueule (car c'en était un !) par une dédicace spéciale à tous les donneurs de leçons, forts en arrogance, qui n'y connaissent rien mais qui se permettent néanmoins de critiquer avec aplomb quand le mot à mot n'est pas respecté ou quand le sens d'une expression traduite ne figure pas dans leur dictionnaire à eux — qui se targuent toujours d'être à la mauvaise page — et que, par conséquent, cela indique que vous êtes forcément à côté de la plaque et que toute la somme de vos expériences et de vos compétences ne vaut rien parce qu'eux savent beaucoup mieux car ils sont connectés 24H/24 au trou du c** du monde par l'oreillette de leur idiophone. Je leur dit donc :

Allez vous faire cuire un œuf coque (mais pas de coq) et revenez nous dire ensuite qui est apparu le premier de l’œuf ou de la poule !

Notes et références

  1. ^ Idiocracy est le titre original d'une comédie satirique américaine réalisée par Mike Judge (2007) qui se veut une parodie grinçante de la société américaine actuelle et de son abêtissement progressif.
  2. ^ Un idiome est la langue propre à une nation. (Source : Larousse).
  3. ^ Traduction : « C'est parce que tu aimes le français que tu travailles autant. » (Source : lepoint.fr)
  4. ^ L'obsolescence programmée (parfois aussi appelée « désuétude planifiée ») est le nom donné par abus de langage à l'ensemble des techniques visant à réduire la durée de vie ou d'utilisation d'un produit afin d'en augmenter le taux de remplacement. (Source : Wikipédia)
  5. ^ « Téléporte-moi, Scotty ». Célèbre réplique de StarTrek.
  6. ^ Traduction française du Newspeak, la langue officielle d'Océania, inventée par George Orwell pour son « roman » 1984 (publié en 1949).
  7. ^ Source : Wikipédia.
  8. ^ Paronyme : mot dont la ressemblance (en particulier phonétique) avec un autre mot entraîne de fréquentes confusions.
  9. ^ George Henry Borrow (1803-1881), écrivain britannique qui a beaucoup voyagé à travers l'Europe.

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