Tu ne blâmeras point

J'avoue que pour cette quarantième session Eklabugs, choisir un sujet digne d'un devoir de philo, il fallait oser. J'assume donc entièrement cette proposition mais non le résultat des votes que je n'ai influencé en aucune manière ni par magouille, pression, incitation voire même vaudou. Que nenni. Un choix que nous allons tous regretter je le crains, mais auquel nous ne nous soustrairons pas puisqu'il s'agit de responsabilité et que nous sommes des gens bien comme il faut qui ne se cachent pas la tête dans le sable (même si nous en avons plus d'un grain dans le cerveau). Alors, êtes-vous prêts à visiter mon château branlant ? OK, tous à vos seaux, le devoir ma pelle !

Honni qui bien y pense

J'ai des soucis, j'ai des ennuis,
J'ai des tracas, j'ai des tourments,
J'ai pas le moral, j'ai pas d'argent,
J'ai pas de chance, j'ai pas d'amis,
J'ai pas de pot, j'ai des impôts,
J'ai mal au foin, j'ai mal aux dents,
Mais je ne veux pas changer de peau
Parce que j'aime les emmerdements.
Je suis un homme responsable,
Je cache pas ma tête dans le sable.
Je veux pas chanter comme grand-père
"Dans la vie faut pas s'en faire".

"Le Responsable", Jacques Dutronc (1969)

Dérivé de responsable du latin responsus (« qui doit répondre de ses actes »), du verbe respondere (« se porter garant, répondre de ») et apparenté à sponsio (« promesse »), le terme responsabilité véhicule l'idée de devoir « assumer ses promesses ».

Selon toutes définitions confondues, la responsabilité reposerait sur la notion de devoir ou d'obligation par rapport à des conséquences préjudiciables dont nos paroles ou actes seraient la cause ou l'origine et exigeraient une sanction en guise de réparation. Mais qu'en est-il au juste des conséquences utiles ? Selon le principe de rééquilibrage de cette notion consensuelle de la responsabilité, ne devraient-elles pas, en toute logique, faire l'objet d'une gratification ? Une question bien légitime qui trouvera sa réponse un peu plus loin. 

Le beurre, l'argent du beurre et le pain béni

Société : système ingénieux pour obtenir des bénéfices individuels sans responsabilité individuelle.

Ambrose Bierce

On parle ainsi surtout de responsabilité civile, de responsabilité pénale et de responsabilité morale, toutes relevant de codes sociétaux. Apparu à la fin du XVIIIe, le terme de responsabilité n'aurait d'ailleurs été transposé du vocabulaire de la morale à celui du droit qu'au siècle suivant. « Ses origines ont d'ailleurs profondément marqué l'institution qu'il désigne. Celle-ci a en effet été soumise, dans ses deux composantes, civile et pénale, à des conditions telles que la faute, l'imputation, l'imputabilité, qui sont directement issues de la morale individuelle » (source).

Selon Nietzsche dans La Généalogie de la morale, la responsabilité n'appartiendrait pas à « l'être de l'homme comme une propriété naturelle ». La société, par le moyen d'un implacable dressage, imposerait à cet animal « nécessairement oublieux » la discipline du devoir et rendrait son comportement « calculable ». L'aptitude à répondre de soi instaurait donc la morale et traduirait l'assujettissement (source).

Intéressant quand on examine d'un peu plus près la nature sémantique de quelques-uns des synonymes rattachés à l'adjectif responsable : sérieux, honnête, obstiné, coupable, autorisé. Des termes ramenant tous à une idée de poids, de chaîne, de fardeau, d'obéissance, de conformisme et de non-spontanéité. Ce qui est encore plus percutant avec l'anglais qui n'utilise pas moins de quatre termes distincts selon que l'on parle de responsabilité morale (responsible for), juridique (liable for), civique (accountable for) ou sociétale (in charge of). Être responsable reviendrait en quelque sorte à porter sa croix.

Plus édifiant encore, certains de ces synonymes ont pour antonymes : irréfléchi, léger, impulsif, désinvolte, paresseux. Là, tous les voyants devraient passer au rouge : ne serait-on pas face à un cas de dissonance cognitive caractérisé bien propre à cette sataniquée morale judéo-crétine dont nos esprits sont souillés bon gré (et surtout) mal gré, tous culs bénis et athées confondus ?

Je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire

Je me fonds dans la masse,
Comme un sucre, c'est la tasse !
Mais qu'est-ce que j'peux faire ?
J'sais pas quoi faire.
Qu'est ce que je peux faire ?

"J'sais pas quoi faire", Téléphone (1979)

« Liberté implique responsabilité », se plaisait à dire le grand dramaturge britannique, George Bernard Shaw, c'est là pourquoi la plupart des hommes la redoutent ».

Pas étonnant que le gros du commun des mortels cherche à fuir les responsabilités pesantes et contraignantes, préférant s'en remettre à une société pyramidale hiérarchisée où la responsabilité de chacun se limite toujours à son maillon supérieur. Mais au final, qui est responsable ? Celui ou ceux qui détiennent le pouvoir au sommet de l'édifice ? Même pas.

Parce que la vraie responsabilité n'a rien à voir avec les notions évoquées plus haut qui ont été sciemment détournées et déformées dans le but d'asservir l'humanité au profit d'une élite fonctionnant suivant le principe du service à soi et non pour le bien commun de tout un chacun. C'est ainsi que dans cette société-prison (matrice) qu'ils ont façonnée à leur avantage, tout est fait pour nous déresponsabiliser et nous inciter à remettre volontairement notre pouvoir entre leurs mains. En anglais, on parle de disempowerment qui est bien plus explicite puisque le mot pouvoir (power) y est inclus.

Comme nous l'expliquent les deux physiciens français Georges Charpak et Henri Broch dans leur ouvrage commun, Devenez sorciers, devenez savants, « on assiste ainsi à une mystification de la connaissance qui a pour résultat une conception du monde dont de nombreux éléments sont irrémédiablement hors du champ de compréhension — donc du contrôle — de la majorité des individus. Cette pensée ésotérique induit une stratification du monde — ceux qui ont des pouvoirs, savent et agissent tout haut et, loin en dessous, ceux qui s'étonnent, admirent et suivent sans comprendre — débouchant sur le fatalisme béat et la déresponsabilisation des individus ».

Tomberont les croix

Tout le monde dans cette pièce
Me montre du doigt.
Je voudrais leur cracher à la figure
Et puis j'ai peur des conséquences.
J'ai une boule de bowling dans l'estomac,
Un désert dans la bouche.
Des personnages que mon courage
Désormais préferait renier.
Dans ces rues crasseuses, j'ai cherché un sauveur...
Sous ces draps crasseux, j'ai cherché un sauveur...
J'ai levé les mains
Pour enfoncer un autre clou
Comme Dieu le veut :
Une victime de plus.
Pourquoi nous crucifions-nous ?

"Crucify", Tori Amos (1992)

En effet, comme le soulignait le poète britannique John Ruskin, « plaider l'ignorance n'enlèvera jamais notre responsabilité » et notre sentiment d'impuissance n'est rien d'autre qu'une fausse croyance profondément ancrée dans notre psyché collective enlisée dans la peur de ne pas savoir gérer les conséquences de son propre pouvoir qu'elle préfère occulter. Parce que nous voulons tous être des gens bien et nous ne pouvons admettre que nous abritons en nous à la fois l'ombre et la lumière. Non, non, c'est la faute à Satan ! Non, non, c'est la faute au gouvernement ! Non, non, c'est pas moi, c'est lui ! Toutes ces excuses se trouvent toujours justifiées parce que, que cela nous plaise ou non, ce que nous croyons consciemment ou pas, se cristallise et constitue notre réalité extérieure. Et ça, c'est franchement la pilule la plus difficile à avaler. Rassurez-vous, elle passe difficilement chez moi aussi. Mais pourtant...

Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre [...] Sapere Aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières.

Kant

Responsables anonymes

Comment pouvez-vous dire que vous n'êtes pas responsables ?
Qu'est-ce que cela a à voir avec moi ?
Comment je réagis ?
Comment je suis censé réagir
Face aux dernières atrocités ?

Driven To Tears", The Police (1980)

Il faut savoir qu'en refusant d'exercer notre discernement, nous consentons implicitement à ce que nous subissons (ouille, ne tapez pas !). Je sais, c'est dur à encaisser, révoltant, mais les lois universelles n'obéissent à aucune morale, ne disposent d'aucun jury jaugeant d'éventuelles circonstances atténuantes qui pourraient nous décharger de toute responsabilité. Tout ce que nous pensons, ressentons, émettons, créons n'est que de l'énergie et les lois universelles reposent uniquement sur un équilibrage des forces et sont dépourvues de toute notion de bien ou de mal. Je sais que certains vont buter là-dessus mais c'est la seule chose à comprendre pour quiconque souhaite reprendre le contrôle de sa destinée.

Et comprenez aussi que je ne cherche en aucun cas à dédouaner ceux qui nous trompent, nous manipulent, exercent une pression brutale ou psychologique sur nous et nous font subir toutes ces horreurs, injustices à nous personnellement ou à l'humanité en général. Mais si nous voulons espérer y mettre un terme et restaurer l'équilibre des choses, alors nous devons accepter notre responsabilité en cessant d'endosser le rôle de victimes pour être les « gentils ». Nous devons faire le choix de désobéir et de ne respecter que les seules lois qui comptent, à savoir celles qui régissent toute chose dans l'univers car nous sommes une seule et toutes choses.

Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes.

Martin Luther King

Voilà, la visite est terminée. Vous n'oublierez pas de laisser un petit pourboire sous forme de commentaire au guide et d'aller jeter un œil (que vous pourrez récupérer en sortant) chez les courageux aventuriers qui auront su assumer la responsabilité de leur choix en votant pour ce thème et en écrivant un article dont vous trouverez la liste ci-dessous.

Projet EklaBugs #40

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