Le doigt sur son étoile

Pour cette nouvelle session Eklabugs du mois raccourci, nous avons décidé de nous extraire de la routine et sortir des sentiers battus pour aller explorer les voies nébuleuses de notre imagination avec pour seul guide cette image d'un jeune photographe-artiste visuel de génie dont je vous invite d'ailleurs à visiter la galerie sur DeviantArt. N'oubliez pas non plus de consulter les découvertes des autres participants dont vous trouverez la liste à la fin de ce billet.

Ne tirez pas sur la comète

Naufragé stellaire de la nuit des temps, surfant sur la Voie Lactée, entre gaz, poussières, naines bleues, blanches, rouges, jaunes, brunes ou noires — la tête encore dans les nuages et pleine de nébuleuses, à califourchon sur son astéroïde austère, ne cherchant qu'à décrocher la lune — l'aventurier singulier se fit happer par la gravité terrestre.

Ne vois-tu pas venir
Une comète éclatée ?
Voir de loin un danger
D'un monde ignoré.

"Black Sky", Indochine (2017)

Fauché en pleine orbite au dessus de l'Étoile par un tir de flashball malencontreux des foudres de Jupiter, l'homme des étoiles en vit une multitude en plein midi1 — de belles étoiles jaunes fluo — et puis plus rien. Trou noir supermassif.

À force de tirer sa comète par la queue, sa bonne étoile avait fini par pâlir2 avant de filer vers d'autres cieux moins belliqueux.

L'homme des étoiles

Il y a fort longtemps de cela — des années-lumières, alors qu'il n'était encore qu'un tout jeune prince, l'homme des étoiles hérita du trône de son père. Et il commença à se sentir bien seul sur sa toute petite planète tutti rikiki du fin fond du rectum de l'univers.

Une planète tellement minuscule et insignifiante qu'elle n'avait même pas de nom. Juste un code alphanumérique que lui avait attribué un jour un astronome turc après l'avoir longuement observée du bout de sa lorgnette.

Il y a un homme des étoiles qui attend dans le ciel,
Il aimerait bien venir à notre rencontre
Mais il pense que ça nous ferait péter un câble.

"Starman", David Bowie (1972)

S'occupant principalement à ramoner les volcans pour éviter qu'ils ne détruisent son astéroïde et à arracher les baobabs avant qu'ils ne l'envahissent, cette inlassable routine lui pesait si mortellement qu'il finit par broyer du noir. Beaucoup de noir. Si bien qu'un beau soir, par une nuit d'encre, surgit du sol rocailleux une rose noire sublime qu'il aima du feu de dieu3 jusqu'à la lune aller-et-retour4.

Mais la belle, nourrie au soufre, aimait tellement jouer avec le feu qu'elle lui en mit plein la vue. Elle lui fit voir la lune en plein midi5 et miroiter de s'envoyer en l'air pour atteindre le septième ciel.

J'ai demandé à la lune
Et le soleil ne le sait pas.
Je lui ai montré mes brûlures
Et la lune s'est moquée de moi.

"J'ai demandé à la lune", Indochine (2002)

Mais en guise de lune de miel, il n'eut qu'un déjeuner de soleil6 pour finir par devoir faire briller la lune7 lui-même et la prendre avec les dents8 pour en retirer une à une, les quatre épines de sa rose inconséquente.

L'Electrastar

La Lune s'étant éclipsée, il entreprit de compter les étoiles9 de la voûte céleste en hurlant à l'astre sélène qu'il finirait bien par l'avoir.

Alors commença son odyssée en quête de la lune et de la pluralité qui mettrait fin à sa singularité.

Là-haut sur la mer étoilée,
Sur mon bateau j'observerai
Dans l'espace et les galaxies
Où poser mon satellite.

"Satellite", Indochine (1996)

Mais avant même d'avoir posé quoi que ce soit sur Terre, il se retrouva terrassé par un éclair aveuglant et aussitôt placé en garde à vue, lui qui n'y voyait plus rien.

Ils essayèrent bien de lui faire cracher le morceau — qu'il avait pris dans l'œil (les sots), révéler le pot-aux-roses. À coups de castagnettes. Autant d'épées dans l'eau car il était également devenu sourd comme un pot.

Et puis, de toute manière, sur sa planète, il n'y avait ni pot ni sot ni eau. Juste une rose sulfureuse qu'il commençait finalement à regretter.

« Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : "Ma fleur est là quelque part…" Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient ! ».10

Ses paroles vibrèrent si sincèrement au diapason de son cœur si pur et si innocent qu'il conquit la Terre entière. Du moins, ceux des Terriens à qui il restait encore un soupçon d'humanité. C'est-à-dire pas beaucoup. Mais suffisamment pour inverser la vapeur, éteindre les volcans et déraciner les baobabs.

Qui sait, tu pourrais le trouver ici
Sur le rocher du Pays Noir
Il parait que la vue est incroyable
Mais tu pourrais changer d'optique.

"Black Country Rock", David Bowie (1970)

« Les yeux, ajouta-t-il, sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur. »11

Et ainsi, sans l'avoir cherché du tout, d'ailleurs, le prince éborgné, venu d'ailleurs, se retrouva roi au royaume des aveugles.

Notes et références

  1. ^ Voir des étoiles en plein midi : recevoir un coup violent qui éblouit.
  2. ^ Voir son étoile pâlir : voir sa chance tourner.
  3. ^ Du feu de dieu : terriblement.
  4. ^ To love to the moon and back again : aimer plus que tout au monde (expression anglaise).
  5. ^ Faire voir la lune en plein midi : abuser de la crédulité de quelqu'un.
  6. ^ Déjeuner de soleil : quelque chose qui dure peu.
  7. ^ Moonlighting : ramer, galérer (expression anglaise).
  8. ^ Prendre la lune avec les dents : faire l'impossible.
  9. ^ Compter les étoiles : entreprendre une action impossible.
  10. ^ Extrait du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry (1943), la source d'inspiration principale de cet article et sans doute mon tout premier livre de chevet avant même de savoir lire (il existait un coffret vinyle de l'histoire narrée par Gérard Philippe).
  11. ^ Ibid. 10.
  12. Autres sources d'inspiration, vous l'aurez deviné : les textes de Nicola Sirkis d'Indochine qui, avec son nouveau look capillaire, me fait penser de plus en plus au Petit Prince — et David Bowie, l'inventeur du Space Rock qui a inspiré cette image à l'artiste.

Projet EklaBugs #43

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Image couverture : Christophe Kiciak

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