Dans le film Matrix, la pilule rouge symbolise le réveil, la sortie de l’illusion. Mais ce que l’on oublie souvent, c’est que cette sortie se fait à travers une autre substance : un programme alternatif, un autre filtre posé sur la réalité. Une pilule, peu importe sa couleur, reste un élément ingéré qui modifie notre perception. Elle peut être un remède qui nous ouvre les yeux, ou un poison qui nous enferme dans une autre illusion, parfois plus insidieuse que la première.
Les pilules et la dépendance aux vérités externes
L’analogie des pilules, utilisée sur les réseaux sociaux, suit un schéma binaire très simpliste :
- La pilule bleue représente ceux qui « dorment », qui acceptent l’illusion du système sans se poser de questions. Elle correspond aux narcoleptiques, calmants et autres somnifères dans l'industrie pharmaceutique.
- La pilule rouge est vue comme le symbole de l’éveil, mais dans la réalité, elle devient souvent un dogme : une croyance où l’on pense « avoir compris », où l’on cherche à « convertir » les autres. Elle serait à rapprocher des amphétamines, stimulants et autres produits dopants.
- La pilule noire, nouvelle venue dans l'arsenal de division et dernière itération de cette dynamique, est celle des désillusionnés qui rejettent tout, y compris ceux qui se disaient « éveillés ». Ce serait le poison.
Mais dans tous ces cas, il y a une constante : on continue d’avaler quelque chose qui vient de l’extérieur, sans jamais se demander s’il est vraiment nécessaire d’ingérer quoi que ce soit.
Étude de cas : la manipulation derrière la pilule noire
Si l’on écoute cette vidéo qui prétend exposer la pilule noire, on pourrait croire qu’elle cherche à clarifier la situation. Mais en réalité, elle ne fait qu’inverser le processus qu’elle dénonce, et cela de plusieurs façons.
March 15, 2025
L’un des premiers pièges de ce discours est son incohérence logique.
D’un côté, elle dit que les pilules noires « ne croient en rien ». De l’autre, elle affirme qu’elles « pensent que tout est une conspiration ». Comment peut-on à la fois ne croire en rien et avoir une croyance absolue sur quelque chose ?
Cette contradiction sert à décrédibiliser d’entrée une posture qui remet en question les récits dominants.
La vidéo accuse les pilules noires d’être émotives et manipulables, tout en affirmant qu’elles démoralisent les chercheurs de vérité. Mais si les chercheurs de vérité peuvent être démoralisés par ces idées, cela signifie qu’ils sont eux-mêmes dans l’émotion et la réactivité.
En réalité, l’émotion et la polarisation sont présentes partout, et ce discours en joue en projetant cette faiblesse sur un groupe spécifique.
« Ils n'ont pas la capacité de distinguer ce qui est bien de ce qui est mal ».
Ils ne polarisent pas et ça c'est problématique pour la matrice qui repose sur la polarisation. Le bien, le mal. La vérité, le mensonge.
Enfin l’argument du « manque de pensée critique » et de la « paresse intellectuelle » est une technique classique pour invalider quelqu’un sans répondre à ses arguments.
Le propre d’un individu en quête d’intelligence réelle est justement de ne pas croire en un dogme, mais d’observer et d’analyser. Or, ici, on associe remise en question profonde avec paresse alors que c’est tout l’inverse.
Cette inversion du réel est une technique de propagande bien connue : accuser l’autre de ce que l’on fait soi-même...
À travers cette attaque contre les « pilules noires », la vidéo cherche en réalité à diviser et invalider toute critique globale du système. Elle présente une vision dans laquelle il faut choisir un camp (rouge ou bleu, mais pas noir). Elle nie la possibilité qu’un individu puisse ne pas adhérer du tout à cette structure binaire.
Pourquoi tant d’agressivité d'ailleurs contre ceux qui rejettent tout en bloc ?
Parce qu’ils n’ont pas de zones taboues.
Les « pilules rouges » aiment se croire chercheurs de vérité, mais leur quête a des limites bien définies. Il y a des sujets qu’ils ne veulent pas aborder, sous peine de mettre en péril leur propre structure mentale.
Parce que si l'on considère ces deux choses que sont l'idéologie politique et l'idéologie religieuse, elles créent des zones interdites où vous n'irez pas faire de recherches, où vous n'irez pas poursuivre. Parce que si vous le faites, il y a de fortes chances que cela mette votre idéologie politique ou religieuse en danger.
Et c'est ce que l'on constate avec la soi-disante droite en politique, qui a complètement détourné les médias alternatifs, en termes de promotion algorithmique et de financement.Il y a certains domaines qu'ils n'iront pas explorer, qu'ils ne remettront pas en question. Il y a des domaines dans lesquels ils n'exigeront aucunes réponses qui pourraient menacer ou mettre en cause leurs héros, Trump, Musk, etc.
David Icke
Les « pilules noires » sont perçues comme dangereuses car elles ne laissent aucune place au confort intellectuel.
Les Américains utilisent le terme « hopium », contraction de hope (espoir) et opium pour désigner cette illusion d’espoir qui anesthésie. Et encore une fois, l'espoir est une attente extérieure à soi et qui ne cadre pas avec la notion d'être souverain.
Les « pilules rouges » ont besoin de croire qu’elles ont compris et qu’elles vont « gagner ». Elles s’accrochent à des narratifs qui leur donnent un espoir contrôlé, mais sans danger pour leur vision du monde.
La pilule rouge n’est qu’un autre programme de la matrice : un anesthésiant mental qui donne l’illusion d’une prise de conscience tout en empêchant de voir trop loin.
Pourquoi certaines vérités ne peuvent pas être acceptées ?
Tout individu a un seuil au-delà duquel sa psyché bloque, sous peine de provoquer une dissonance cognitive insupportable.
Les « pilules rouges » veulent exposer des mensonges, mais ne peuvent pas aller au bout du processus : elles doivent garder une structure narrative cohérente pour éviter de s’effondrer psychologiquement. Certaines réalités sont trop radicales pour être intégrées sans un travail profond de détachement.
Elles ont besoin d’un « ennemi identifiable » et d’une « solution envisageable » pour ne pas sombrer dans l’impuissance.
Les « pilules noires » leur renvoient le fait qu’elles ne sont pas prêtes à aller jusqu’au bout.
L’illusion de l’éveil : changer de programme sans changer de système
Ceux qui prennent la pilule rouge pensent souvent qu’ils sont sortis du jeu. Mais si cette prise de conscience reste enfermée dans un nouveau récit, un nouvel ennemi, une nouvelle mission, alors c’est juste un changement de programme à l’intérieur de la matrice.
Même la pilule noire peut devenir un piège : ceux qui s’identifient à elle tombent souvent dans le cynisme et le rejet systématique. Ils croient voir au-delà, mais en réalité, ils restent dans un mécanisme de réaction, ce qui signifie qu’ils sont encore influencés par ce qu’ils combattent.
Ce que montre bien la vidéo, c’est que la dynamique des « pilules » n’est qu’un jeu d’opposition : la pilule noire, qui pense s’être libérée de l’arnaque des rouges, tombe en réalité dans une autre illusion, celle du rejet total. Elle croit voir plus loin, mais en réalité, elle est toujours enfermée dans un schéma de réaction, qui ne fait que renforcer la matrice.
- La pilule bleue croit tout aveuglément.
- La pilule rouge pense avoir compris et veut convaincre les autres.
- La pilule noire rejette tout et se coupe de toute forme de discernement.
Dans tous les cas, c’est encore une façon d’être manipulé, car au lieu de chercher à voir par soi-même, on adopte une posture binaire (croyance totale vs rejet total). Le véritable éveil ne consiste pas à choisir une nouvelle pilule, mais à comprendre pourquoi on continue de croire qu’il faut en prendre une.
Le sevrage : sortir du besoin de pilules
Si l'on veut vraiment sortir de l’illusion, il faut réaliser que toute vérité préfabriquée, même alternative, reste une construction mentale à laquelle on adhère par besoin de sécurité.
Se libérer, c’est voir sans filtres, sans vouloir à tout prix classer le monde en catégories.
Se libérer, c’est arrêter de chercher des solutions extérieures et développer une autonomie de pensée qui ne repose pas sur des croyances empruntées.
Là où les « pilules rouges » veulent convaincre, et où les « pilules noires » veulent dénoncer, il y a une autre voie : celle de la neutralité lucide, du regard qui observe sans se laisser enfermer.
Tant qu’on joue à ce jeu, on reste prisonnier du système des pilules.
La seule véritable sortie n’est pas une pilule d’une autre couleur, mais le refus d’avaler quoi que ce soit.
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