Enfer privé

Mesdames et messieurs, laissez-moi vous escorter jusqu'à mon humble demeure » vous dirait sans doute le Diable. Non, tout compte fait, vous trouverez bien le chemin sans lui. Car seules les voies du Seigneur sont impénétrables. Certes, si Sartre s'évertuait à démontrer que « l'enfer, c'est les autres », un peu d'introspection objective vous permettra sans doute de convenir que l'enfer est surtout une affaire d'ordre privé. D'une rare qualité littéraire et d'une extraordinaire lucidité pour un musicien de rock sortant alors tout juste de l'adolescence, les paroles de cette chanson me sont soudain revenues en mémoire alors que je comparais mes souffrances personnelles à celles de copines dans des situations bien pires que la mienne. De cette relativisation apaisante sur l'instant, qui ne fait pourtant que réprimer ce qui demande plutôt à être exprimé et affronté, le paradoxe de ce système qui conditionne notre ego et notre psyché m'est apparu d'un coup, clair et net dans toute sa perniciosité. Ne jamais se plaindre parce qu'il y aura toujours pire que soi et ne jamais se sentir satisfait non plus parce qu'il y aura toujours mieux que soi. Alors oui, en ce sens, l'enfer, c'est les autres. Pourtant, c'est bien dans la solitude que chacun vit le sien, non ? Cherchez l'erreur.

Ey@el

Private Hell

Collée au miroir, tu observes
L'image de celle que tu voulais devenir
Au fil des jours, toujours un peu plus.
De toute manière, tu ne t'en souviens plus.
Tes doigts suivent les lignes,
Explorent les sillons
De ton visage vieillissant.
Ce visage autrefois si beau,
Toujours là mais méconnaissable :
Ton propre enfer.

L'homme que tu as aimé
Est gros et chauve et rarement là.
Comme d'habitude, il travaille tard.
Ton intérêt a disparu, tu es tendue.
Les ressorts du lit craquent
Lorsqu'il lui arrive de s'allonger sur toi.
Tu fermes les yeux
Sans rien d'autre à l'esprit
Que ton propre enfer.

Tu penses à Emma,
Tu te demandes ce qu'elle est en train de faire,
À son mari Terry et à tes petits enfants.
Tu penses à Edward
Qui est toujours à l'université,
Aux lettres que tu lui envoies
Et auxquelles il ne répond jamais
Parce qu'il s'en fout.
Ils s'en foutent tous
Car ils traversent
Leur propre enfer.

La matinée t'échappe
Dans un nuage de Valium,
De catalogues et d'innombrables tasses de café.
L'après-midi, les provisions de la semaine
Viennent s'empiler dans des sacs
À mesure que tu descends la rue, la tête ailleurs.
Dans les vitrines des magasins,
Le reflet de cet hôte anonyme,
Cadavre de ton placard
Tout droit sorti de ton imagination,
Victime de ta souffrance
Et de ton propre enfer.

Il est six heures, tu es seule,
Une tasse t'échappe des mains.
Tu la regardes se briser en mille morceaux
Et là tu craques,
Tu ne peux plus continuer
Mais tu passes le balai.
Enfin à l'abri dans ton propre enfer !
Enfin un peu d'ordre dans ton propre enfer !

Texte original de PAUL WELLER traduit de l'anglais par EY@EL
© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Aucun commentaire:

À l'affiche

La panthère du lac

À l'approche d'Halloween, je comptais publier un article d'Alanna Ketler sur la symbolique véritable du chat noir que je m'...

Derniers articles

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *