Barre-toi, Jack et ne reviens plus jamais !

Toujours à la pointe de l'actualité, le projet Eklabugs (que je ne vous présente plus désormais) renouvelle l'expérience concluante lancée cet été, à savoir celle de se livrer à l'exercice périlleux mais jouissif de la narration fictive de contes. J'ai donc choisi de ressusciter cette vieille légende d'Halloween racontée du point de vue d'un de ses protagonistes. J'espère, comme le chantaient les Stones, que vous devinerez son nom car il est légion.

♦ ♦ ♦


Saviez-vous qu'autrefois, je fus le grand chouchou du vieux ? Jusqu'à ce qu'il me maudisse sous prétexte que je devenais trop zélé et que je lui faisais de l'ombre. Moi, l'éblouissant, génialissime Porteur de Lumière, la mettre en veilleuse ? Nicht ! Pas question ! Ni de me laisser plomber les ailes. Alors, avec quelques potes, je tentai vainement de faire valoir pacifiquement mes droits, ce qui fut fort mal pris par sa bande de faux derches et dégénéra très vite en bataille de polochons dérangée dans laquelle nous laissèrent toutes nos plumes. La suite vous la connaissez : je fus viré sans tambour ni trompette du Paradis et décidai de créer le mien sous terre pour lui damner tous ses pions.

Te voilà tombé du ciel, astre brillant, fils de l'aurore ! Tu es abattu à terre, toi, le vainqueur des nations ! Tu disais en ton cœur : je monterai au ciel, j'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; je m'assiérai sur la montagne de l'assemblée, à l'extrémité du septentrion ; je monterai sur le sommet des nues, je serai semblable au Très Haut. Mais tu as été précipité dans le séjour des morts, dans les profondeurs de la fosse.

Isaïe

Au cours d'une de mes nuits portes ouvertes annuelles, dans une taverne irlandaise du bourg de Wicklow, je tombai sur ce riche avare égocentrique de Jack Stingy (alias Jeannot le Pingre chez vous), venu une fois de plus se noyer la glotte et satisfaire ses autres vices (si vous voyez ce que je veux dire). Le client parfait. Je lui déballai donc mon baratin avant de lui sortir mon contrat en mauvaise et indue forme.

« D'accord pour signer, qu'il me dit, à condition que ce soit vous qui payiez le dernier verre. »

Tu l'as dit, bouffi ! Sur ce, hop hop, je me transformai en pièce de six pence que ce fumier, plus sobre que je ne l'aurais cru, fourra dans sa poche où, Ô Paradis et délation, reposait une de ces p*** de croix d'argent de m*** à l'eau bénite qu'avait dû lui refiler un de ces c*** de suppôts du vieux. Aaaaarrrgggghhh !!!!! Voilà que je me retrouvai coincé de chez coincé comme un vulgaire djinn dans une bouteille.

Ceci dit (et je me dit que) vu sa consommation de carburant à l'heure, ce @$%* allait vite finir par la rendre, l'âme. Et à moi, tant qu'à faire, ça aurait été mieux.

Il dut se dire la même chose parce que finalement il me proposa de me libérer. En échange de... DIX ANS de sursis ! P***, la s*** de hyène qui se fout du chacal !

D'un autre côté, je n'eus pas trop le choix (et p*** comme je le haïs et le hais encore). Et puis, dans certains cas, la gnôle, ça peut conserver longtemps (d'autant que ce sont les suppôts du vieux qui l'ont inventée — eau de vie qu'ils appellent ça — Lazare a même été ressuscité comme ça, ce qui lui a valut d'être canonisé et même d'avoir sa gare et ses trains). Donc si je voulais garder la face, je me devais d'accepter le pile... pire... deal — 'scusez, je ne sais plus ce que dit... aaaaarrrgggghhh !!!!! N'empêche qu'en rentrant ce soir-là, je piquai une profane colère de tous les Moi.

Dix ans plus tard, comme convenu, toujours vénère, je vins prendre ce qui me revenait de droit et le chopai donc au détour d'un chemin, adossé au pied d'un pommier à s’empiffrer du fruit défendu. Parfait, me dis-je, à moi la bonne cueillette. Me reconnaissant, il se souvint de notre accord mais réclama une dernière pomme pour se goinfrer. Comme il n'y en avait plus aucune à terre, en bon prince des ténèbres que je suis (et trop content de damner enfin son fou au vieux), je me fis un plaisir d'aller lui décrocher moi-même la plus belle au sommet de l'arbre du péché. Ssssss.... Mais cet enflure en profita encore pour me niquer avec une de ses saloperies de croix de m*** que cette fois, il s'empressa de graver sur le tronc et rebelote. Aaaarrrgggghhh !!!!! Même pas en mesure de bouillir ni exploser : figé dans le bois, je me trouvai. Je l'aurai, je l'aurai, mauvais dieu de m***, je l'aurai, me jurai-je alors.

Et là, soit il finit par se dire que si le vieux m'avait viré moi, son plus bel ange, son chef d'œuvre de la création, il y avait de grandes chances qu'il ne l'accepte jamais dans ses cieux, lui, ce misérable rebut — ou bien il était juste très con parce que voilà ce qu'il me sortit :

« Je vous rends votre liberté si vous renoncez à tout droit sur mon âme et ce, à tout jamais. »

Qui me trompe une fois, honte à lui ; qui me trompe deux fois, honte à moi. Jamais deux sans trois, la troisième, tu ne l'emporteras point au paradis.

« D'accord » lui répondis-je à contre-rien avant de regagner mes pénates, furax, la queue entre les pattes.

Mais à se croire plus malin que le Malin et à jouer avec mon élément (le feu), Jacko se niqua finalement tout seul. Ha ! ha ! Bien fait ! À son trépas, qui devait fatalement arriver un jour, le vieux lui claqua bien entendu la porte au nez et ce mécréant s'en vint donc, tout penaud, frapper à la mienne.

« Aurais-tu oublié les termes de notre contrat ? En aucun cas et selon tes dernières volontés, je ne puis prendre ton âme. Jamais. Repars d'où tu viens et ne remets plus les pieds ici. Plus jamais. »

Barre-toi, Jack et ne reviens plus
Jamais jamais jamais jamais jamais...

"Hit The Road Jack", Ray Charles (1961)

« Et puis tiens, prends ça ! »

Et là je lui balançai une braise incandescente que ce couillon parvint à saisir sans se cramer les pognes et enferma dans un navet évidé pour s'en servir de lanterne. Comme s'il espérait trouver une sortie, le con !

♦ ♦ ♦


C'est ainsi que naquît la légende de Jack à la lanterne et de son âme apatride que l'on voit errer, à chaque veille de Toussaint, devant la brèche qui sépare le monde des morts de celui des vivants, en attente du Jugement Dernier qui lui accordera ou non le droit d'asile au paradis (fiscal de préférence) ou en enfer. Mais dieu (ou diable), que la justice est lente !

Tomberont les croix
Mon rêve réussira
Tombera le Diable
Les dieux n'existent pas

"Song For A Dream", Indochine (2017)

Projet EklaBugs #27


Cet article participe également au Concours d'histoires spécial Frissons organisé par Le petit monde d'Ella.

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