Voyage au bout de la nuit

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Souvenez-vous au printemps dernier, nous parlions de lumière. Eh bien, ce mois-ci, dans le cadre du projet Eklabugs, nous allons passer une nuit blanche à évoquer cette période de révolution terrestre qui porte conseil et où tous les chats sont gris (mais sobres). Vous ne voyez pas de quoi je veux parler ? Normal, dans le noir, par définition, on n'y voit rien. À moins d'être un chat. Ou une chouette. Ou de porter des lunettes à infrarouges. Ou les trois à la fois.

Le jour a des yeux, la nuit a des oreilles.

Proverbe persan

Nuit des froids

Depuis des temps immémoriaux, la nuit plonge les hommes dans un mélange de terreur et de fascination. L'absence de lumière abolissant les frontières entre visible et invisible, tangible et intangible, elle réveille ainsi des peurs ancestrales dans un monde de dualité où l'astre de jour (le Soleil) fut jadis vénéré comme un dieu (Râ) cédant, chaque nuit, son trône au Seigneur des ténèbres et à sa cohorte de créatures fantastiques (korrigans, gnomes, vampires, loup-garous, génies, démons...) qui peuplent notre imaginaire collectif et alimentent contes, légendes, mythes et autres superstitions à travers le monde.

À l'heure où l'on fait dormir
Des enfants de tous les empires,
À l'heure où l'herbe respire,
Où le vent souvent se retire,
À l'heure où tout se ressent
Comme une blessure
Plus profonde encore,
À l'heure où plus rien n'est sûr,
Quand la nuit descend
Par une fissure...

"La Nuit des fées", Indochine (2002)

De nos jours, on redoute toujours la nuit mais les peurs ont changé. Les monstres imaginaires ont été remplacés par des monstres bien réels qui profitent souvent du couvert de l'obscurité et du sommeil des justes pour commettre leurs méfaits. En fait, contrairement à l'expression consacrée, le crime n'a point d'heure. Si la nuit effraie, c'est parce que la plupart des gens dorment et que leur conscience alors en veille, laisse place à leur inconscient qui vient alimenter le champ unitaire contenant les mémoires de l'univers. Et la nuit, comme le disait le poète belge Louis Scutenaire, « l'inconscient se venge ». En sortant les poubelles de notre mental.

L'éveilleur de nuit

Certes, s'il est préférable de dormir la nuit pour un tas de raisons (principalement d'ordre biologique), il est des régions du globe où c'est tout bonnement impossible puisqu'aux alentours du solstice d'été, le soleil ne s'y couche pas pendant au moins un mois. Par contre, à l'approche du solstice d'hiver, il y fait la grasse matinée pendant une trentaine de jours. De quoi flipper sa race comme qui dirait !

La nuit se lève, la lune s'élève,
Les plus mauvaises nuits.
Maudits soupirs, maudits matins,
Les plus mauvais matins...

"Les Plus Mauvaises Nuits", Indochine (1990)

Outre les hautes latitudes situées au-delà des cercles polaires arctique et antarctique, la nuit tend à perdre dramatiquement du terrain dans les zones de grande urbanisation où l'illumination (artificielle) des villes est telle qu'elle affecte préjudiciablement la santé des hommes et les écosystèmes, tout en nuisant à l'observation astronomique et naturelle du ciel étoilé. La pollution lumineuse croissante est désormais considérée comme une nuisance et la nuit comme « bien commun et patrimoine de l'humanité » ou encore un « bien environnemental à protéger ». Un concept qui fait son chemin avec notamment la création de réserves de ciel nocturne pour observer les étoiles et l'introduction progressive de mesures anti-pollution lumineuse dans les textes de loi.

Moralité, « œuvrer pour la lumière » n'est pas très clair tant que l'on ne précise pas de quelle lumière on parle à savoir lumière inversée qui nuit ou lumière de vérité qui met à jour.

L'ignorance est la nuit de l'esprit, et cette nuit n'a ni lune ni étoiles.

Proverbe chinois

Précisons, pendant qu'on y est, qu'il n'y a pas vraiment « plusieurs vérités » comme certains objectent chaque fois qu'on heurte les convictions qui leur servent d'alibi, mais plutôt des faits erronés (ou mal rapportés) et des interprétations subjectives desdits faits.

Le grand huit

Comme je le dis souvent, le langage est le reflet de notre vision du monde et de nos focalisations inconscientes. Ainsi dans une majorité de langues occidentales, le terme nuit (qui, en français, se trouve également être l'homonyme parfait de la troisième personne du singulier du verbe nuire) présente la curieuse particularité d'être composé du chiffre huit auquel on rajoute un n initial (eight/night en anglais, acht/nacht en allemand et en néerlandais, ocho/noche en espagnol, aetta/natta en suèdois, oito/noite en portugais, otto/notte en italien que l'on retrouve aussi dans le ok/nokto de cette langue universelle qu'est l'espéranto).

D'aucuns parleront de pure coïncidence tandis d'autres invoqueront le latin nox au nominatif singulier et noctes au nominatif pluriel faisant de nocte, ne+octor signifiant  « qui n'est pas le jour ». Peu convaincant, d'autant que ça ne fonctionne que pour les langues latines comme le français, l'espagnol, l'italien ou le portugais.

La nuit, c’est le salut de l’âme.

Les Mille et une nuits

Sans rien affirmer ni infirmer, je préfère de loin la thèse du huit que je trouve intéressante en ce sens qu'en mathématique, le symbole de l'infini ∞ est représenté par un 8 horizontal.

Dans sa symbolique, le chiffre huit est l'image même de la dualité. Il représente l'alliance de deux états (en dessous comme au dessus et au-dessus comme en dessous). C'est le signe de la lumière qui se reflète.

On peut y voir deux 3 dont l'un est inversé comme dans un miroir, le trois étant le chiffre de la création (la fameuse trinité). Soit la lumière divine de la Source et la lumière des ténèbres ou lumière inversée.

C'est aussi la représentation du sablier.

Selon les Égyptiens, ce serait le nombre de l'équilibre et de l'ordre cosmique.

Le huit est également le symbole de l'incarnation de l'esprit dans la matière. Sa conception « repose sur des lignes, des mesures et normes géométriques sacrées propres à son essence qui rendent sa vibration, ses fréquences et son onde de forme en parfaite harmonie avec nos corps et bien plus encore… énergie cosmique » (source).

En numérologie, le 8 correspond encore à la lettre H ou Heith de l'alphabet hébreu représentant « la  vie qui circule librement entre les mondes humains et divins » (source).

Ce qui cadre plutôt bien avec la nuit où, par le biais du sommeil, nos consciences s'en vont explorer d'autres dimensions pas moins réelles que celle de l'éveil (la notion de réalité étant relative à l'instant présent où se trouve la conscience). C'est sans doute pour cela aussi que la nuit fascine autant et pourquoi ceux qui tirent les ficelles de ce monde ont tant à cœur de contrôler nos rêves.

La nuit détend

Par milliers, tes baisers
Te diront avec le vent,
Les oiseaux,
« Bonne nuit... bonne nuit... »

"Tallula", Indochine (2005)

Il est tard, mes amis. Nous avons déjà passé le seuil de l'heure fatale que les anglophones appellent « heure des sorcières » et que je me contenterai, pour ma part, d'appeler « heure magique ». N'entendez-vous pas le hululement des hiboux en lisière des bois ? Ne voyez-vous pas le clignotement des lucioles dans les hautes herbes ? Ne sentez-vous pas le parfum suave des chèvrefeuilles agités par la brise ?

Ne succombez pas de suite à l'appel des ténèbres. Gardez encore un peu les yeux ouverts pour aller lire la prose des autres participants dont vous trouverez la liste-ci dessous.

Puis faites de beaux rêves (ou d'affreux cauchemars si vous faites partie de ceux qui ne commentent jamais niark niark niark !).

Projet EklaBugs #48

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Image couverture : Espace des sciences

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