Micmac en cuisine

Tous nos mots ne sont que miettes qui tombent du festin de notre esprit.

Khalil Gibran

À quelques semaines — passées ou à venir — de l'Action de grâce (au Canada) ou de Thanksgiving (aux États-Unis), quoi de plus normal, pour les dindons de la farce, que de rendre grâce aux toqués de la matrice ? Ces marmitons sans visage qui, à l'instar de Ducros, se décarcassent avec tant d'avidité pour nous traiter aux petits oignons et mettre les petits plats dans les grands, afin d'extraire, de la corne d'abondance, le maximum de gouttes du précieux nectar. La cuisine au loosh est une affaire qui tourne à plein régime, comme en témoigne le Roi de carreau ce mois-ci : figure du stratège ambitieux et prospère. Pour nous, cette carte serait plutôt une invitation à avancer malgré les doutes, un encouragement à passer à l'action sans se laisser mariner dans l'inaction, et à rester droit dans les tempêtes de l'existence matricielle.

Cauchemar dans l'assiette

Du latin classique coquina devenu cocīna, la cuisine se rapporte à l'élaboration des mets tandis que la gastronomie, du grec gastèr, « ventre, estomac », et de nomos, « loi », est littéralement « l'art de régler l'estomac », associant une certaine ingéniosité à préparer les repas, sélectionner des produits plus ou moins travaillés et la manière de les déguster. 

Ainsi cuisine ne rime pas forcément avec gastronomie, certaines s'appliquant plutôt à dérégler l'estomac. On parle alors de malbouffe ou, plus récemment, de cuisine écoresponsable. Il ne s'agit plus seulement d'aliments transformés, d'OGM, de conservateurs, pesticides ou autres ingrédients toxiques mais, désormais, d'aliments synthétiques et de farines d'insectes qui viennent s'ajouter à la longue liste de poisons lents incorporés à notre « nourriture ». Alchimie de la mort serait d'ailleurs plus approprié pour qualifier cette tambouille mortifère.

La plus belle réussite en cuisine est d'arriver à remplir les estomacs avec de l'imagination.

José Manuel Fajardo

Mais il suffit d'y mettre les formes — un décor accueillant, des tables bien dressées, des mets savamment disposés et des noms exotiques stimulant les mémoires gustatives — pour que l'hypervigilance militante se voit soudain frappée d'amnésie et de sélectivité cognitive, ignorant la chaîne en amont. Interdisez-leur d'aller au restaurant et ils oublieront la poudre de grillon que vous voulez leur faire avaler. Trop fiers de braver les interdits, ils se rueront alors, de leur plein gré, là même où vous les attendiez.

Qui mange qui ?

L'autre piège redoutable consiste à faire croire à l'humain qu'il se trouve au sommet de la chaîne alimentaire, alors qu'il en constitue la principale ressource. Tandis que certains, mus par des considérations éthiques, s'imaginent, à tort, sortir du cycle de prédation en ne consommant que des végétaux. 

Mais manger des fruits et légumes, c'est aussi manger la « vie ». Nous n’avons pas d’autre choix que de puiser dans l’énergie des autres règnes (animal comme végétal) pour nous sustenter, car nous sommes conçus ainsi.

L'homme et les animaux sont un passage et un conduit de nourriture, des auberges de mort, des gaines de corruption, faisant de la vie avec la mort d'autrui.

Léonard de Vinci

La seule différence entre une alimentation carnée et une alimentation végétalienne réside dans la présence ou non de sang, donc de mémoires qui viennent polluer les corps subtils et abaisser la vibration. C’est avant tout un choix individuel, qui se fait en conscience : absorber des mémoires — qui, à leur tour, vous absorberont — ou les transmuter. Mais malheureusement, ce choix est devenu un prétexte supplémentaire pour polariser et diviser les humains entre eux.

Guides étoilés et cuisine-réalité

Ainsi, de simple impératif biologique, la cuisine est devenue un enjeu de division à plusieurs niveaux : entre ceux qui n’ont rien à manger et ceux qui mangent trop ; entre ceux qui « bouffent » par nécessité et ceux qui « dégustent » par plaisir ; entre ceux qui absorbent des mémoires et ceux qui les brûlent.

Mais surtout, elle constitue désormais un pilier culturel incontournable — un spectacle à part entière, un « chaud business » où les appétits de l’ego prennent le pas sur ceux du ventre. On ne se nourrit plus : on se met en scène. On ne savoure plus la substance : on exhibe la forme sur Instagram. Quand la cuisine devient un divertissement, c’est que la faim ne réside plus dans l’assiette, mais dans l’âme.

Derrière le culte du bien-manger, se cache la même mécanique de contrôle : éveiller le manque, puis le combler artificiellement. La gastronomie n’est plus qu’un maillon de la grande chaîne alimentaire matricielle — une liturgie du goût qui attise la faim sans jamais la satisfaire.

Tout comme le gratin militaire ou hollywoodien, les Top Chefs ont eux aussi leurs étoiles. Qu'elles s'épinglent aux toques ou aux uniformes, ou qu’elles soient incrustées dans un dallage de ciment, toutes renvoient à la même voûte : celle du ciel archontique. Ces étoiles, qu’on brandit comme symboles d’excellence, sont en réalité les sceaux d’un asservissement brillant. 

On n’élève plus les consciences : on les fait miroiter. Et peu importe la somme de miettes qu'on nous octroie : la note est toujours salée, et le goût, amer.

Le Dernier Repas

Et puisque tout finit toujours autour d'une table, qu'il s'agisse d'aveux forcés ou de vœux pieux formulés dans les vapeurs d'alcool (qui maintiennent dans un état de conscience diminué), aucune recette archontique n'a été plus savamment mijotée que celle du dernier repas. Sous prétexte de communion et de partage, la Cène n’a jamais été qu’un protocole d’assimilation. Car le sang, bien avant d’être un symbole de vie, est un vecteur de mémoire.

Dire « ceci est mon sang » revient à offrir ses mémoires à l’absorption, à l’intégration. Et qui boit ce sang, boit aussi l’égrégore qui l’habite. Ainsi s’est fondée la première grande cuisine du karma : un festin vibratoire où l’humain, croyant communier, s’est relié par le sang à l’intelligence archontique qu’il vénérait.

Le vin n’y était qu’un code, une signature. Derrière la promesse d’un salut collectif se cachait le projet d’une ruche : un seul corps, un seul esprit, un seul réseau. L’assimilation n’était pas métaphorique. Elle était cellulaire.

S’il faut rire ou chanter au milieu d’un festin,
Un docteur est alors au bout de son latin :
Un goinfre en a toute la gloire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.

Nicolas Boileau-Despréaux

Et tandis que les convives lèvent encore leurs coupes en croyant trinquer à la « vie », les archontes, eux, savourent leur repas : l’humanité al dente.

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