Histoires de fous

Un jour, un hypertrophié du bulbe, ayant probablement trop longtemps séjourné dans le formol, est venu en ce lieu, où nul n'est contraint de s'attarder si la lecture ne lui plait point, m'intimer l'ordre de me « laver le ciboulot » (sic) car pour cette haute éminence grisâtre longuement infusée dans sa science — à défaut de l'avoir infuse — mes centres d'intérêt semblaient totalement indignes d'un esprit sain. De là à me traiter de cinglée, de zinzin, de barje, de chtarbée, de fada, de gogol, de toctoc ou encore de fêlée du bocal — la langue française n'étant pas avare de qualificatifs en la matière — le raccourci était tout tracé ; la parabole ratatinée en ligne droite même pas d'équerre avec le plancher, tout de traviole et vermoulu, de son indécente certitude de détenir, à lui tout seul, une vérité absolue que Dieu lui-même, dans son infinie sagesse, n'aurait su inventer. Ce qui revient quasiment à jouer les funambules somnambules sur une hyperbole de ouf en caoutchouc extensible, tendue telle un hamac entre deux baobabs. D'où les expressions de toute saison et à varier selon les pays : être mal de la terrasse1, bercé trop près du mur ou complètement fracassé. C'est même ainsi que l'on se retrouve avec une craque dans la tête2 et que l'on se met ensuite à yoyoter de la cafetière ou encore à clapoter du couvercle3. Rien de mieux pour perdre ses billes4 ou carrément la boule.

Ailleurs, et plus récemment, un courageux anonyme — sans doute, lui aussi, Mister Foldingue et Docteur Maboul à ses heures — m'a diagnostiqué un problème avec « les boyaux de mon cerveau » qui, selon lui, ne tourneraient pas rond. C'est très fâcheux, en effet, mais comme je préfère avancer plutôt que de jouer à Tournez manège, je le remercie du fond de ma cellule capitonnée de m'avoir rassurée sur ce point, d'autant qu'en plus la tournée était gracieusement offerte par la maison, toujours aussi noble et spirituelle dans ses intentions. Un fou dans une poche5 comme qui dirait.

Mais qu'est-ce donc que la folie ?

Qu'est-ce que la folie ? C’est d’avoir des pensées incohérentes et la conduite de même.

Voltaire

Si l'on s'en réfère à la définition classique du dictionnaire, « la folie est un ensemble de comportements, de représentations et d'expressions qui vont à l'encontre de la normalité et témoignent de troubles mentaux graves. [Ce terme, très utilisé autrefois, est tombé en désuétude, car il ne correspond à aucune réalité médicale précise. On lui substitue le terme général de psychose, qui recouvre toutes sortes de troubles mentaux (délire, obsession, manie, etc.).] »

Le Wiktionnaire, quant à lui, évoque « un dérangement de l'esprit, une lésion plus ou moins complète et ordinairement de longue durée des facultés intellectuelles et affectives, sans trouble notable dans les sensations et les mouvements volontaires, et sans désordre grave ou même apparent des fonctions nutritives et génératrices. »

Garde-fous et ravages bilatéraux

Le fou est dans ma tête,
Le fou est dans ma tête.
Vous soulevez la lame, vous opérez le changement,
En me réarrangeant jusqu'à ce que je sois sain d'esprit.
Puis vous fermez la porte et vous jetez la clef.
Il y a quelqu'un dans ma tête mais ce n'est pas moi.

"Brain Damage", Pink Floyd (1973)

D'un côté de la pièce les malades les plus jeunes, ceux que l'on dénomme les Aigus parce que les médecins ne les estiment pas encore assez atteints pour être immobilisés [...]

L'autre côté de la salle est réservé au rebut du Système : les Chroniques. Ceux-là, ce n'est pas seulement pour les mettre hors d'état de nuire qu'ils sont à l'hôpital : c'est pour les empêcher d'aller et venir librement car ils jetteraient alors le discrédit sur le Système dont ils sont le produit. De l'aveu même du personnel médical, les Chroniques sont ici pour de bon. On les divise en trois catégories : les Circulants, comme moi, qui sont encore capables de se déplacer si on les nourrit, les Brouettes et les Légumes. Les Chroniques — la plupart d'entre eux, tout du moins — ne sont ni plus ni moins que des machines présentant des malfaçons irréparables, des vices de constitution ou des fêlures qui sont venues de ce que, pendant des années le type s'est jeté la tête la première contre les obstacles, de sorte que, lorsque l'hôpital l'a découvert, il pourrissait sous la rouille dans quelque terrain vague.

Mais on compte aussi parmi les Chroniques des victimes d'anciennes erreurs de l'hôpital : il y a des patients qui étaient classés Aigus à leur arrivée et qui ont changé de catégorie.  Ellis, par exemple, est un ex-Aigu qui a été affreusement bousillé quand ils est passé à la Casserole, comme disent les moricauds pour parler de cette saloperie de machine à décerveler.

Vol au-dessus d'un nid de coucou, Ken Kesey

L'expérience de Rosenhan

« En termes concrets et comme l'a démontré l'expérience de Rosenhan, les psychiatres sont incapables de distinguer les personnes saines des personnes atteintes d'aliénation mentale dans les hôpitaux psychiatriques. Ayant entendu parler des résultats de l'expérience initiale, les membres d'un CHU reconnu ont affirmé que de telles erreurs n'auraient pas pu se produire dans leur établissement. Rosenhan a alors pris contact avec eux et leur a proposé d'identifier le ou les pseudo-patients qui allaient tenter de se faire admettre au cours des trois mois suivants. Le personnel médical devait, pour chaque admis, déterminer s'il était imposteur ou s'il était vraiment malade. Sur les 193 patients, 41 personnes ont été considérées comme des imposteurs et 42 suspects [...] Rosenhan n'a pas envoyé un seul pseudo-patient, et les personnes identifiées comme imposteurs ou suspects étaient probablement toutes authentiques. Cela a conduit à la conclusion que "tout procédé de diagnostic qui se prête trop facilement à des erreurs massives de ce genre ne peut pas être fiable". Des études menées par d'autres sur la problématique des diagnostics ont eu des résultats similaires. » (Source : Wikipédia)

Avec un trou dans la tête
Tu ne risques pas de crier,
On te mâche le boulot
Et si tu ne sais pas, électrochocs,
Si tu ne sais pas, électrochocs.

"Electric Co.", U2 (1980)

Quand le fou sert d'excuse

Qui perd le nord se retrouve complètement à l'ouest : tel semble être le cheminement erratique du Fou dit le Mat, l'arcane sans nombre du tarot divinatoire que l'on nomme également Excuse dans le tarot populaire et qui a donné naissance au Joker, représenté par un bouffon ou fou du roi dans nos jeux de cartes traditionnels.

« Diverses hypothèses peuvent être retenues concernant l’absence d’un nombre qui peut indiquer soit que cet arcane s’échappe du système dans lequel sont empêtrés les autres arcanes, soit que cet arcane est rejeté par le système, soit qu’il n’y est pas encore, soit qu’il y est extérieur. Dans tous les cas, cet arcane est libre, contrairement aux autres arcanes qui, eux, sont reliés et dépendants les uns des autres. Sans nombre, le Mat évolue sans contrainte sociale ; le système instauré par les autres arcanes n’est pas compatible avec la personnalité du Mat. Le système ne peut ni l’étiqueter, ni la manipuler, ni la diriger, ni la corrompre, ni la retenir. Le Mat échappe à tout contrôle et emprise. [...] Le MAT est comme hors jeu, il évolue à l’écart des affaires humaines et il vit dans l’instant présent. Il semble dépourvu de peur et de préjugé. » (Source : Tarot Ressource)

Et il ne les écoute jamais
Car il sait que ce sont eux, les fous
Qui ne l'aiment pas.
Le fou sur la colline
Assiste au coucher du soleil
Et dans sa tête, ses yeux
Voient le monde tourner en rond.

"The Fool On The Hill", The Beatles (1967)

Plus on est de fous plus on rit

Mais de quelle folie parlons-nous au juste ? Il existe une autre définition qui convient davantage à mon état d'être un peu chamboulé, certes, légèrement azimuté aussi — mais ni complétement barré ou frappadingue et pourtant suffisamment givré pour ne pas risquer la surchauffe fatale et bien assez allumé aussi pour toujours y voir bien clair même dans la nuit noire. Il s'agit, par essence, d'une « gaieté vive dans laquelle on fait ou dit des choses propres à divertir », d'un « goût exclusif, passionné », d'une « idée en laquelle on se complaît ». Alors même si certains, bien pensants, me considèrent comme totalement à côté de la plaque, c'est d'autant plus rassurant qu'en supposant que j'en arrive à avoir les fils qui se touchent ou que je pète un câble, aucun risque que je ne disjoncte et que, ce faisant, je ne perde l'électricité à certains étages.

On dit aussi que « tête de fou ne blanchit jamais » parce qu'il reste toujours enfant grâce aux jouets qu'il conserve dans son grenier6 quand d'autres se donnent un mal fou à empêcher leurs araignées de descendre du plafond ou à conserver leurs chauve-souris dans le beffroi7. Tous ces savoureux cakes aux fruits8 et autres jolis pots fêlés à la noix,9 qui travaillent dur du chapeau et déhottent parfois de la touffe,10 n'ont assurément pas la moindre case ou vis manquante,11 voire même vide ou desserrée12 ; ils ne sont pas plus siphonnés que marteaux ou encore bien tarés, mais tout juste assez timbrés pour s'affranchir de la bêtise de nombre de leurs congénères, trop préoccupés de ne jamais déborder du moule pour se poser la question de ce qu'il adviendra du contenu après démoulage. Qu'on se le dise : la cuisine maison l'emportera toujours sur la tambouille industrielle. C'est fou, non ?

Notes et références

  1. ^ Expression espagnole : « Estar mal de la azotea » (ne pas être bien dans sa tête).
  2. ^ Expression québécoise.
  3. ^ Expression belge.
  4. ^ Expression anglaise : « To lose one's marbles » (perdre la boule).
  5. ^ Expression québécoise (prendre quelqu'un pour un imbécile).
  6. ^ Expression anglaise : « To have a toy in the attic » (avoir une araignée au plafond).
  7. ^ Expression anglaise : « To have bats in the belfry » (idem).
  8. ^ Expression anglaise : « Nutty as a fruitcake » (complètement cinglé).
  9. ^ Expression anglaise : « Nut as a crackpot » (tordu et cinglé).
  10. ^ Expression suisse.
  11. ^ Expression espagnole : « Le falta un tornillo » (il lui manque une vis).
  12. ^ Expression anglaise : « To have a screw loose » (avoir un boulon desserré).

© La Pensine Mutine. Tous droits réservés. Reproduction interdite.

Partager :

Aucun commentaire:

À l'affiche

La panthère du lac

À l'approche d'Halloween, je comptais publier un article d'Alanna Ketler sur la symbolique véritable du chat noir que je m'...

Derniers articles

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *