Pauvre type

Je vous arrête tout de suite : non,  je ne suis pas sponsorisée par Radiohead ! Mais comme aujourd'hui c'est le jour où l'on peut réclamer des friandises en échange de pas de tour de cochon, je choisis donc, à la demande, de ressortir un vieux « Creep » du placard, pas moisi du tout. Il est clair que mis à part son titre évocateur (uniquement quand on le sort de son contexte), ce morceau n'a vraiment rien à voir avec Halloween. Sauf que dans cette vidéo de leur tout premier passage télé en France, en janvier 1994, Thom Yorke nous faisait carrément son Creepshow: tignasse d'épouvantail peroxydée, poses à la Quasimodo et voix qui part en vrille (après le passage haut en vocalises vers la fin du morceau où il se met à chevroter). Version très écourtée, certes, et amputée d'un couplet et d'un refrain, mais qui, par rapport à l'officielle trop propre et assagie, y gagne en décibels et en fureur à réveiller les morts (c'est le but un jour pareil, non ?). Noisy et trash. Les amateurs d'autres styles musicaux ou de soupe préféreront sans doute poursuivre en sourdine la lecture de ce texte empreint de tant de sensibilité (je fais allusion aux paroles de cette chanson bien sûr). P****n, même les anges pleurent !

Creep

La dernière fois que t'étais là,
Je n'arrivais pas à te regarder en face.
Tu ressembles à un ange,
Ta peau me fait chialer.
Tu flottes comme une plume
Dans un monde magnifique.
Je voudrais tant être quelqu'un d'exceptionnel,
Et toi, putain, qu'est-ce que tu l'es !

Mais je ne suis qu'un pauvre type, un vrai naze.
Bon sang mais qu'est-ce que je fous là ?
Je ne suis pas à ma place ici.

Je m'en fous si ça fait mal,
Je veux pouvoir décider.
Je veux un corps parfait,
Je veux une âme parfaite.
Quand je ne suis pas là,
Je veux que tu le remarques.
Putain, qu'est-ce que t'es exceptionnelle !
J'aimerais tant l'être aussi.

Mais je ne suis qu'un pauvre type, un vrai naze.
Bon sang mais qu'est-ce que je fous là ?
Je ne suis pas à ma place ici.

Et la voilà qui prend la porte en courant.
Elle s'enfuit,
Elle court, court, court, court...

Tout ce qui te fera plaisir,
Tout ce que tu voudras.
Putain, qu'est-ce que t'es exceptionnelle !
J'aimerais tant l'être aussi.

Mais je ne suis qu'un pauvre type, un vrai naze.
Bon sang mais qu'est-ce que je fous là ?
Je ne suis pas à ma place ici.
Je ne suis pas à ma place ici.

Thom Yorke, 1992

À propos de cette chanson

Inspiré du vécu personnel de Yorke, ce morceau aurait été écrit vers la fin des années 80 alors que les membres du groupe étaient encore tous étudiants à l'université. Curieusement, il ne figurait sur aucune de leurs premières démos ni même sur la liste des morceaux joués en concert à l'époque. Il séduisit pourtant suffisamment leur maison de disques pour qu'elle décide d'en faire leur premier single et les signe pour un album.

Sorti tout d'abord en édition limitée, fin 1992, "Creep" passa quasiment inaperçu au Royaume-Uni pour finir carrément blacklisté par la BBC qui l'aurait jugé « trop déprimant » (sic). Ce n'est donc qu'après sa réédition en 1993, avec l'album Pablo Honey, qu'il devint le succès mondial qu'on connaît mais pas tant qu'aux États-Unis où il fit un véritable carton après un passage sur MTV. Pour l'occasion, Yorke avait même dû modifier les paroles afin de remplacer le mot « putain » par une expression plus politiquement correcte2.

Pourtant, si ce titre lança assurément la carrière de Radiohead, il faillit également la briser. Connus uniquement pour cette « chanson à la con »3 (sic), ils s'éreintaient à parcourir des milliers de kilomètres pour jouer devant un public qui ne venait que pour entendre "Creep" puis s'en allait sans écouter le reste de leur répertoire. On comprendra aisément le rapport que les musiciens entretinrent par la suite avec ce morceau qu'ils finirent rapidement par exécrer mais qu'ils se sentaient néanmoins obligés de jouer — parce qu'ils lui étaient redevables et parce que ça restait malgré tout une bonne chanson. 

À tel point que sur l'album suivant, The Bends, dans un titre intitulé "My Iron Lung", écrit au retour de leur tournée US, Yorke laisse exploser violemment sa rancœur, n'hésitant pas à s'en prendre à ce public puéril qui suce leurs « pouces d'ados très cons à qui on a appris à aller sur le pot » et pour qui la musique n'est qu'un produit de consommation comme un autre. « Quand il n'y aura plus de jus, on se contentera de fredonner » chante-t-il.

« Il est inévitable que les gens nous perçoivent comme un groupe à tube unique parce c'est tout ce qu'ils connaissent de nous », explique Phil Selway, batteur du groupe. « Mais après huit ans de "Creep" dans nos vies, nous n'avons cessé de progresser. Je pense que The Bends remet "Creep" à sa place. »

Musicalement, "Creep" s'inspire partiellement et consciemment de "The Air That I Breathe" des Hollies mais tire son originalité des célèbres dérapages furieux du guitariste Jonny Greenwood avant chaque refrain, la légende allant jusqu'à l'accuser de tentative de sabotage intentionnel d'un morceau qu'il aurait jugé trop calme et trop mièvre à son goût. En réalité, ces fameuses distorsions proviendraient non pas de cordes de guitare mais de cordes de piano même si, par la suite, l'idée de martyriser sa guitare sembla lui plaire et qu'il ne s'en priva point — initiative que Pete Townshend, tortionnaire de guitares notoire, a certainement dû apprécier !

Une autre crêpe un peu relevée


Il ne faut pas croire tout ce qu'on vous raconte. En fait de pleurer, les anges sont morts de rire, ouais ! Et en tombant par hasard sur quelques photos (et une vidéo) de Thom Pouce et d'Ed A'Fleck, côte à côte, pour une remise de prix, mon imagination s'est quelque peu enrayée et m'a fait prendre la version à contresens. Ne m'en voulez pas trop si le choc des photos a rajouté du poids aux mots, cela reste bon enfant. Allez, ne pleure pas petit Thom, moi aussi j'ai souvent besoin d'un escabeau.

Voir la vidéo "Q Awards 2002"

À chaque fois que t'es devant moi,
Je ne peux pas te regarder dans les yeux.
T'as l'air d'un dieu,
Tes abdos me font chialer.
Tu culmines comme l'Everest
Au-dessus de ma tête.
Je voudrais tant être balaise,
Et toi, putain, tu l'es sacrément !

Mais je ne suis qu'une crêpe, un crapaud.
Bon sang mais quel enfer je vis,
Je ne suis pas à ma place ici.

Je m'en fous si ça fait mal,
Je veux me faire rallonger les guiboles.
Je veux un corps parfait,
Je veux une gueule parfaite.
Que tu sois là ou pas,
Je veux qu'on me remarque.
Putain, qu'est-ce que t'es balaise !
J'aimerais tant l'être aussi.

Mais je ne suis qu'une crêpe, un crapaud.
Bon sang mais quel enfer je vis,
Je ne suis pas à ma place ici.

Et le voilà qui se barre en souriant.
Il revient
Avec un escabeau, beau, beau, beau...

Tout ce qui me ferait plaisir,
Tout ce que je voudrais...
Putain, qu'est-ce que t'es balaise !
J'aimerais tant l'être aussi.

Mais je ne suis qu'une crêpe, un crapaud.
Bon sang mais quel enfer je vis,
Je ne suis pas à ma place ici.
Je ne suis pas à ma place ici.

Notes et références

  1. ^ Creepshow (1982) est un film d'horreur et d'humour noir américain de George Romero dont le scénario a été écrit par Stephen King, visiblement pas au meilleur de sa forme mais bien dans l'esprit moderne (et récupéré) d'Halloween.
  2. ^ « Fucking special » fut remplacé par « very special ».
  3. ^ « That Creep song ».

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